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La secrétaire générale de La Cimade dénonce : les enfermements arbitraires, les violences et les mises à l’isolement répétées, un climat de stigmatisation grandissante, les expulsions illégales

Solidarite avec Mimmo Lucano

Source : le monde - Julia Pascual - 30/12/2022

Récit : Dans ses locaux modernes et fonctionnels en Seine-Saint-Denis, la Cour nationale du droit d’asile reçoit chaque année des milliers d’étrangers qui cherchent refuge en France et teste la fiabilité de leurs récits.

« Vous avez imaginé ces choses, ou bien vous les avez vraiment vécues ? » Les pieds d’Aslan – tous les prénoms des demandeurs d’asile ont été modifiés – s’agitent sous sa chaise. Il n’aura pas d’autre occasion de convaincre les trois juges en costume, assis face à lui, qu’il risque sa vie s’il retourne en Tchétchénie. Devant la question du magistrat, il reprend ses explications, laborieusement. Il parle de son cousin abattu par des dignitaires du régime, au début des années 2000. Avant de mourir, celui-ci aurait eu le temps de l’appeler pour dénoncer ses meurtriers. Une confidence qui vaudrait à cet homme de 32 ans d’être aujourd’hui menacé dans son pays.

Si le statut de réfugié ne lui est pas accordé à l’issue de son audience devant la Cour nationale du droit d’asile (CNDA), il se retrouvera sans titre de séjour et risquera, avec sa femme et ses quatre enfants, une expulsion. Les juges reviennent sur les arrestations qu’il dit avoir subies. « Vous indiquez que la milice vous conduit dans un commissariat en 2019. Lequel ? Où est-il situé exactement ? Comment ça se passe ? Vous y restez combien de temps ? » Les questions sont autant de coups de canif dans le récit fragile du jeune homme. Il ne sait plus combien de jours a duré son calvaire, assure avoir perdu connaissance à force d’être frappé et s’être réveillé à l’hôpital.

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Un requérant turc à la Cour nationale du droit d’asile, à Montreuil (Seine-Saint-Denis), le 14 décembre 2022.

Son avocate tente de lui venir en aide. « Il a été soulevé des imprécisions et des incohérences. Tous les détails n’ont pas été donnés sur tel ou tel élément de torture, concède-t-elle. Mais on sait que le stress post-traumatique peut amener à des troubles de mémoire, des difficultés à s’exprimer. » Elle évoque son traitement médicamenteux, la cicatrice d’une brûlure de cigarette ou encore le risque de conscription militaire pour son client. La décision sera mise en délibéré.

Décisions tranchantes

Quelques instants plus tard, devant les mêmes juges, Aboubacar, un Malien de la région de Kayes, cherche à convaincre qu’il a fui l’esclavage. Sa famille, asservie par des « nobles », aurait notamment été contrainte de céder ses récoltes de mangues. D’après lui, ce conflit a provoqué un drame : ses chiens ont attaqué et tué un de ses maîtres, ce qui l’aurait contraint à s’exiler. En représailles, sa mère et trois de ses frères auraient été abattus. D’emblée, les juges soulèvent des points de faiblesse : « Vous nous dites que votre père et votre grand-père ont pu échapper à la condition d’esclave. Qu’est-ce qui fait que vous ne pourriez pas ? », demande le président. « Quand on est là-dedans, on n’a pas le choix », répète Aboubacar à son auditoire, circonspect. « Monsieur ne sait ni lire ni écrire, intervient son avocate. Il y a un certain nombre de choses qu’il n’a pas précisées. Il dormait sur des tapis de feuilles mortes, dans une petite case. C’était l’homme à tout faire. La famille est décimée, il ne peut pas retourner au Mali. » A côté d’elle, son client pleure.

Sans transition, la cour se penche aussitôt sur le cas de Fatimata, une Mauritanienne de 42 ans. Mariée de force à 14 ans, divorcée et mère de cinq enfants, elle aurait fui les discriminations infligées par les autorités du pays aux minorités noires. Empêchées notamment de se faire recenser, celles-ci sont de fait privées d’existence légale. « Je ne peux pas voyager, ouvrir un compte bancaire, ni même travailler, énumère Fatimata. Même mes enfants n’ont pas pu aller à l’école. » Elle évoque aussi les menaces de ses oncles, qui lui reprochent d’avoir été serveuse dans un bar de Nouakchott soupçonné d’abriter de la prostitution. « Mon père a toujours voulu qu’on soit comme des religieux, mais moi, j’ai voulu être libre », revendique-t-elle.

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Un requérant somalien et sa traductrice (à gauche) à la Cour nationale du droit d’asile, à Montreuil (Seine-Saint-Denis), le 14 décembre 2022.

En l’espace d’une matinée, ces bouts de vie donnent un aperçu de l’étendue des situations examinées par la juridiction administrative. En 2021, la CNDA a ainsi rendu plus de 68 000 décisions relatives aux risques de persécution encourus par ceux qui cherchent refuge en France et qui ont essuyé un premier rejet de leur demande d’asile devant l’Office français de protection des réfugiés et des apatrides (Ofpra).

Installés en un lieu unique, à Montreuil, en Seine-Saint-Denis, les locaux de la CNDA n’ont rien d’un tribunal à l’ancienne, riche en boiseries et en dorures. Ici, tout est lisse et fonctionnel. Les décisions sont à l’avenant : tranchantes, froides. Quelques semaines après avoir été entendus, Aslan le Tchétchène et Aboubacar le Malien apprendront qu’ils n’ont pas obtenu le statut de réfugié. Fatimata, elle, sera protégée par la France.

« Une part de doute »

Le 28 octobre, lors d’un colloque organisé à l’occasion des 70 ans de la Cour au Palais du Luxembourg, à Paris, le sénateur (LR) François-Noël Buffet s’inquiétait d’un « dévoiement » du droit d’asile et du statut de réfugié « dans un contexte de progression continue de l’immigration irrégulière ». « La frontière entre demandeurs d’asile et travailleurs immigrés s’est brouillée », estimait-il. Pareil discours revient souvent, depuis des années, chez certains politiques. Avec l’arrêt de l’immigration économique à partir des années 1970, les voies légales d’arrivée en France se sont resserrées autour des motifs familiaux et de l’immigration étudiante. « Dans ces conditions, pour qui ne relève pas de ces catégories particulières, la procédure d’asile est devenue la dernière voie légale d’accès [à un droit au séjour] », analysait déjà un rapport du Sénat à la fin des années 1990.

Lire l’éditorial du « Monde » : Dire la vérité sur l’immigration

Dans son projet de loi immigration, qui doit être examiné au Parlement début 2023, le gouvernement entend réformer en profondeur la CNDA, en répartissant ses trente-deux chambres sur le territoire ou encore en généralisant les audiences de juge unique, au détriment des formations collégiales. Un texte qui suscite l’inquiétude des professionnels de l’asile.

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« Le terme de dévoiement [du droit d’asile], je le laisse aux politiques, balaye Mathieu Hérondart, président de la CNDA depuis juillet, passé par les cabinets des ministres de la justice Nicole Belloubet et Rachida Dati. Nous, juges de l’asile, notre mission est d’examiner, avec empathie, impartialité et fermeté. » La singularité de la CNDA tient aussi à la place centrale qu’y occupe l’oralité. « Quand quelqu’un a quitté une zone de conflit et a eu un parcours compliqué, il ne peut pas arriver avec une tonne de pièces, poursuit M. Hérondart. Le récit tient donc une part très importante. » Les juges s’appuient par ailleurs sur le travail d’un centre de recherche et documentation, qui produit des notes d’analyse géopolitique sur tous les pays pour éclairer les magistrats. En 2021, 21,1 % des personnes passées devant la cour ont obtenu une protection. « A la fin, il y a une part de doute qui demeure », admet toutefois M. Hérondart.

En formation collégiale

Me Marianne Lagrue plaide depuis vingt ans le droit d’asile. Lorsqu’on croise cette avocate, à Montreuil, elle est venue défendre cinq dossiers. L’un d’eux concerne un Tunisien qui dit avoir fui son pays parce que l’homosexualité y est passible de trois ans de prison. Il y a aussi le cas de Mamadou, membre de l’Union des forces démocratiques de Guinée (UFDG), parti d’opposition à la junte militaire au pouvoir depuis 2021. L’Ofpra a rejeté sa demande d’asile en raison notamment de « propos lacunaires », mais, devant la CNDA, cet homme de 24 ans se montre prolixe, décrivant en détail l’interpellation arbitraire qu’il aurait subie en 2018, le traitement discriminatoire et violent que lui auraient infligé des policiers en raison de son appartenance ethnique à la minorité peule, son entrée dans le militantisme, ses arrestations, sa fuite, le décès de son père, en avril, violenté par des policiers… « Je suis un exilé politique, clame-t-il. J’ai lutté contre la division ethnique de mon pays, j’ai financé l’UFDG, j’ai beaucoup mobilisé les jeunes pour instaurer la démocratie. [Si je rentre], ils vont me remettre en prison. »

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Mamadou ne s’arrête plus de parler. Il s’emporte. « On a compris, le coupe le président. Vous êtes très énervé. » Mamadou ne tient plus sur sa chaise, cède, pleure. Mais il doit encore se justifier sur les conditions de sa détention à la prison de Conakry. Il raconte avoir été attaché à une corde, rasé, torturé. Il dit les cigarettes écrasées sur son corps, les coups portés sur ses fesses, sur ses doigts, la crosse de fusil blessant son visage. Les juges insistent : combien de personnes se trouvaient dans la cellule ? Combien de bâtiments comptaient la prison ? Combien de repas étaient servis tous les jours ? Son parcours politique est lui aussi passé au crible. Quelles étaient ses responsabilités au sein de l’UFDG ? Combien de candidats se sont présentés contre lui au poste de secrétaire à la communication et à l’information ? Combien de suffrages a-t-il remportés ? Combien de membres du bureau ont-ils été élus ? Quelles étaient leurs fonctions ? Le président d’audience finit par lâcher en souriant : « Bon, je vais arrêter », semblant signifier la fin d’une joute d’experts. Le jeune Guinéen, lui, tient à ajouter quelque chose : « Je remercie mon avocat, la cour, la République de France. La France m’a donné la sécurité. En un mot, c’est vive la France. » « Il plaiderait à ma place », ironise son avocate. La CNDA lui accordera le statut de réfugié.

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Un requérant ougandais et sa traductrice (à gauche) devant la Cour nationale du droit d’asile, à Montreuil (Seine-Saint-Denis), le 14 décembre 2022.

Certains dossiers sont plus faciles que d’autres. Le jour d’après, une audience particulière se tient à la cour. De celles pour lesquelles on déplace momentanément une cloison pour faire de la place à un collège de neuf juges. Ces « grandes formations » sont réunies lorsque des décisions doivent trancher des cas complexes et faire jurisprudence. Ce matin-là, il s’agit de savoir si deux jeunes filles d’origine rom âgées de 20 ans et 21 ans, Silvana et Skurta, doivent perdre leur statut de réfugié après que celui-ci a été retiré à leurs parents.

« Peur de retourner là-bas »

Arrivé en France en 2005 en provenance de Serbie, le père avait été mobilisé de force par l’armée serbe en 1999, victime de mauvais traitements et contraint de creuser des tranchées. L’épouse avait en outre subi de « graves sévices » de la part de membres de l’organisation paramilitaire kosovare UCK (Armée de libération du Kosovo). Le statut de réfugié leur a été retiré en 2021, car il existerait des « raisons sérieuses » de penser qu’ils constituent « une menace grave pour la sûreté de l’Etat ». Les dernières « notes blanches » des services de renseignement, lues à l’audience, reconnaissent toutefois qu’il n’a pas été établi de lien avec la mouvance djihadiste. Le tribunal administratif a déjà annulé par deux fois les obligations de quitter le territoire français prises à l’encontre du père, et la commission départementale d’expulsion des étrangers – composée de magistrats – a même rendu un avis défavorable à son renvoi.

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Devant la CNDA, l’avocat de la famille, Me Jean-Philippe Petit, plaide la persistance des craintes de persécution au Kosovo et en Serbie. Si le père n’est plus un réfugié statutairement, les menaces qui pèsent sur lui et sur ses filles sont toujours réelles. Pendant l’audience, les juges s’attardent sur le cas de Silvana, en décrochage scolaire depuis 2016, verbalisée en 2017 pour avoir porté un voile intégral, et signalée pour son « fondamentalisme religieux ».

« Madame, pour vous c’est quoi, être radicalisée ?, l’interroge une assesseure.

– Je ne connais pas ce mot. Une fois j’ai été convoquée à la gendarmerie, il m’a expliqué que c’était un islam en excès. Moi, je suis musulmane, je suis normale. »

Sa petite sœur, Skurta, a quitté l’école à 12 ans. « Je voulais m’inscrire au collège, ils m’ont dit d’aller en IME [institut médico-éducatif] et ça ne me plaît pas. J’ai vu des élèves pas trop de mon style, des malades. Je n’ai pas accepté. » La guerre au Kosovo ? Les deux sœurs en ont vaguement entendu parler, suffisamment pour avoir « peur de retourner là-bas », même si le conflit est terminé depuis longtemps. « Vous avez remarqué qu’elles ne peuvent pas avoir les réponses, plaide encore Me Petit. Mais, que vous le vouliez ou pas, ce sont nos enfants et il faut les protéger. » La CNDA décidera le contraire. Les deux jeunes filles ont depuis perdu leur statut de réfugié.

 


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