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Source : médiapart - Manouk BORZAKIAN, Gilles FUMEY. Renaud DUTERME, Nashidil ROUIAI - 06/01/2023

Il y a plus de trente ans, Michel Rocard prononçait une phrase devenue célèbre pour défendre le durcissement de la politique migratoire de son gouvernement. Reprise de nombreuses fois, cette formule sur « la misère du monde » méritait une exégèse révélant son sens résolument xénophobe. C'est chose faite grâce à un implacable essai publié chez Anamosa. (Manouk Borzakian).

3 décembre 1989. Michel Rocard est l’invité de l’émission politique Sept sur Sept. Dans le contexte de la montée du Front National – près de 10% des voix au premier tour des législatives de 1986 et 1988 – et du durcissement des politiques et des discours sur les migrations, le premier ministre de François Mitterrand affirme : « Nous ne pouvons pas héberger toute la misère du monde. La France doit rester ce qu’elle est, une terre d’asile politique […], mais pas plus.[1] »

Aucune équivoque : il s’agit d’affirmer la fermeté du gouvernement socialiste face à l’immigration et de se défendre des accusations de laxisme de la droite et de l’extrême-droite. Le premier ministre se félicite au passage des quelques dizaines de milliers de personnes refoulées ou expulsées du pays en 1988. Et défendra son propos à plusieurs reprises. Relégué dans l’opposition après les législatives de 1993, il tentera de redorer son image humaniste en amendant la citation d’origine – et en accusant ses adversaires politiques et les médias de l’avoir dénaturée.

Xénophobie inassumée

Trente ans plus tard, le budget de Frontex, la police des frontières de l’Union européenne, augmente à un rythme exponentiel, les morts s’entassent par milliers au fond de la Méditerranée et dans le Sahara et les barrières frontalières s’alignent sur des milliers de kilomètres en Europe et dans le monde. Dans ce contexte de « rebordering » et alors que l’immigration continue d’accaparer le débat public, la phrase de Michel Rocard ressurgit, plus ou moins fidèlement, dans la bouche des responsables politiques de gauche comme de droite.

Une bonne raison pour s’y intéresser de près. Le philosophe Pierre Tevanian et le juriste Jean-Charles Stevens, dans un petit livre diablement efficace, reprennent un par un les mots de la formule rocardienne – un mot par chapitre – pour en extraire le sens véritable. De ce rigoureux exercice d’essorage sémantique émerge l’impensé xénophobe de l’auteur de la phrase, mal dissimulé derrière ce qui se présente comme une gestion rationnelle de problèmes objectifs.

À commencer par ce « Nous », fausse évidence et vraie « entourloupe ». Postulant l’existence par défaut d’une communauté nationale partageant des intérêts communs, le « Nous » de Rocard – dont on voit mal la différence avec celui du slogan du Rassemblement national – réalise un double escamotage. Il crée un consensus artificiel en postulant une illusoire « communauté d’intérêt et donc de destin » qui réunirait les habitants du territoire français. Et il exclut un « eux » vague, réduit au rang d’objet, de statistiques migratoires à gérer pour ne pas compromettre « notre » confort.

Quelle hospitalité ?

Cette idéologie national(ist)e, qui pose la singularité d’un groupe et d’un territoire à l’exclusion des autres, se retrouve dans les verbes « accueillir » et « héberger », qui alternent selon les différentes versions de la phrase de Rocard. Pierre Tevanian et Jean-Charles Stevens décèlent dans ce lexique de l’hospitalité une « métaphore domestique ». Le territoire national se mue en une « maison » dont les nationaux seraient « les uniques propriétaires ou locataires légitimes », reléguant les populations étrangères au statut d’occupants temporaires, d’invités sommés de garder à l’esprit la précarité de leur statut.

Plus largement, la phrase de Rocard trahit une vision d’une horde d’envahisseurs agglutinés à nos portes et qu’il faudrait contenir coûte que coûte. Elle se nourrit d’une peur irrationnelle « qui a pour effet d’inhiber la pensée ». À cette angoisse collective reposant sur une série de fausses évidences, Pierre Tevanian et Jean-Charles Stevens opposent un travail rigoureux de documentation de la réalité des migrations contemporaines. Et assument leurs « bons sentiments » : les principes d’hospitalité, de solidarité et de justice ne valent-ils pas mieux que le cynisme comme moteurs de la décision politique ?

Les mots sont importants

Il faut lire ce petit livre pour se convaincre combien une xénophobie plus ou moins assumée a colonisé la sphère publique. Il faut le lire aussi par mesure d’hygiène intellectuelle. Alors que le débat politique tend à se résumer à des phrases choc et des slogans publicitaires, toute sortie médiatique devrait subit le même traitement que la « sentence de mort » de Rocard.

Aussi fastidieux soit-il, l’exercice consistant à scruter sans concession le sens de chaque mot reste le moyen le plus sûr d’extraire la signification des formules toutes faites qui saturent les médias. Et d’en pointer les présupposés, les idées préconçues tenues pour des réalités objectives, indépassables.

Car derrière les fausses évidences, il y a de vrais choix politiques. En 1993, à propos des mesures anti-immigration du gouvernement ayant succédé à celui de Michel Rocard, Jacques Rancière rappelait déjà : « On a les problèmes politiques qu’on choisit d’avoir, généralement parce qu’on a déjà les réponses.[2] »

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Pierre Tevanian & Jean-Charles Stevens, « On ne peut pas accueillir toute la misère du monde », En finir avec une sentence de mort, Anamosa, 2022.

[1] La citation complète : « Nous ne pouvons pas héberger toute la misère du monde. La France doit rester ce qu’elle est, une terre d’asile politique – nous sommes signataires de la Convention de Genève, qui prévoit de donner accueil à tous ceux dont la liberté d’expression ou dont les opinions sont réprimées sur place –, mais pas plus. »

 


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