Source : le monde - 02/02/2023
Le retour de la thématique du travail dans un débat trop souvent accaparé par celles de la sécurité ou de l’identité est à saluer.
Il avait disparu depuis près de quatre décennies du vocabulaire politique français. Le « travailleur immigré » y revient à la faveur de la pénurie de main-d’œuvre, qui justifie, selon le gouvernement, le volet « régularisation » du projet de loi destiné à « contrôler l’immigration et améliorer l’intégration » adopté, mercredi 1er février, en conseil des ministres. Indépendamment des nombreuses réserves et critiques à adresser à un texte – la vingtième réforme du genre depuis 1980 – lancé sans même que la précédente loi sur le sujet, votée en 2018 « pour une immigration maîtrisée, un droit d’asile effectif et une intégration réussie », ait fait l’objet de la moindre évaluation, il faut saluer le retour de la thématique du travail dans un débat trop souvent accaparé par celles de la sécurité ou de l’identité.
Longtemps gérées par le ministère des affaires sociales, les questions migratoires sont passées presque exclusivement, depuis plus de trente ans, sous la tutelle de celui de l’intérieur, au risque des impasses induites par une vision exclusivement policière. Dans la réalité, les immigrés n’ont jamais cessé d’être – aussi – des travailleurs, des contribuables, des cotisants. Il a fallu la crise due au Covid-19, et celle du travail qui s’en est suivie, pour que cette réalité pourtant très visible – qui cuisine dans les restaurants, manie le marteau-piqueur, s’active sur les échafaudages, vide nos poubelles, livre nos colis, etc. ? – s’impose. Par contraste, le silence qui prévalait auparavant met en lumière l’hypocrisie d’un certain patronat et la pusillanimité des responsables politiques.
Ce constat conduit aussi à s’interroger sur les véritables raisons pour lesquelles l’actuel gouvernement a cru bon de compléter un projet de loi destiné à faciliter les expulsions d’étrangers en situation irrégulière par des dispositions prévoyant la délivrance de titres de séjour d’un an à des étrangers sans-papiers travaillant dans des « métiers en tension ». Une telle régularisation aurait pu être décidée par voie réglementaire, par exemple au moyen d’un élargissement du champ de la circulaire Valls de 2012.
Postures politiques
Simple équilibre rhétorique du « en même temps » personnifié par les deux ministres qui défendent le texte, Gérald Darmanin pour l’intérieur et Olivier Dussopt pour le travail, ou manière de justifier des dispositions répressives ? L’affichage, dans de telles conditions, de la question essentielle de l’emploi des immigrés paraît relever d’un usage politicien du thème de l’immigration. Une critique comparable peut être adressée à l’opposition de gauche : pourquoi exclut-elle de voter les dispositions prévoyant des régularisations qui vont sortir des immigrés de la précarité, et qu’elle réclame elle-même ?
L’extrême droite n’a que trop bénéficié de ces débats récurrents sur l’immigration réduits à un jeu de rôle où l’on prétend répondre aux attentes des Français en « agissant ». Déjà, l’essentiel des controverses porte sur les stratégies et les postures qui vont permettre – ou non – au projet de loi Darmanin-Dussopt d’être adopté. Les électeurs méritent mieux que cette joute aux retombées potentiellement délétères : un large débat où seraient exposés la place de la France dans les flux mondiaux et l’état de ses relations avec les pays de départ, les besoins de l’économie et le potentiel de formation, au terme duquel serait élaborée et décidée, comme est en train de le faire l’Allemagne, une conception d’ensemble assortie des mesures concrètes et des moyens pour la mettre en œuvre.