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Source : le monde - Lorenzo Alunni, Didier Fassin - 09/03/2023

Après un énième naufrage d’une embarcation de migrants près des côtes calabraises, le 26 février, les anthropologues Lorenzo Alunni et Didier Fassin s’indignent du fait que l’Europe soit passée, en quelques années, du secours en mer à l’intimidation et à la criminalisation de l’humanitaire.

Dans Les Suppliants (L’Arche, 2016), le chant des exilés qu’elle a imaginé en écho à la tragédie d’Eschyle, la romancière et dramaturge autrichienne Elfriede Jelinek, Prix Nobel de littérature 2004, évoque ces femmes et ces hommes en quête d’une protection sur le continent européen qui se noient au large de ses côtes. « C’est de l’eau qui leur passe au-dessus de la tête, qui s’abat sur eux avant de les faire réapparaître, hissés à la surface, essorés, brancardés. » Mais sur la terre ferme, l’administration n’a qu’une question à l’adresse des noyés : « Comment avez-vous osé quitter le toit paternel ? »

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C’est la même incompréhension qu’a semblé manifester le ministre italien de l’intérieur, Matteo Piantedosi, après le naufrage, le 26 février, près des côtes calabraises, d’une embarcation chargée d’exilés, dont la plupart fuyaient l’Afghanistan. Aux morts – au moins 72, selon les derniers bilans –, il lançait cette accusation : « Le désespoir ne peut jamais justifier des conditions de voyage qui mettent en danger la vie de ses enfants. » Car, ajoutait-il, il aurait suffi que les naufragés en fassent la demande pour qu’on les amène en terre italienne : « Le sens de mes mots, c’est : “Arrêtez-vous, nous allons venir vous chercher.” »

Quant à la présidente du conseil, Giorgia Meloni, elle aussi a exprimé sa compassion, annonçant, en contradiction avec son ministre : « Le gouvernement s’est engagé à prévenir les départs et, avec eux, la survenue de ces tragédies, exigeant la plus grande coopération des Etats de départ et d’origine. » Peut-être pensait-elle négocier avec les talibans, pour qu’ils dissuadent de partir les exilés afghans, généralement hazara, qu’ils persécutent, torturent et assassinent, de même qu’avec le gouvernement turc, pour qu’il retienne les candidats au départ et les ajoute aux 3 millions de réfugiés déjà confinés dans ses camps.

Du sauvetage au refoulement

Seul au sein des autorités italiennes, le président de la République, Sergio Mattarella, est allé se recueillir devant les cercueils, reconnaissant que les victimes « fuyaient des conditions très difficiles ». S’ils avaient osé quitter le toit paternel, comme paraissaient s’en offusquer les membres de son gouvernement, c’est qu’ils avaient de sérieuses raisons de le faire.

Comme toujours en pareil cas – on se souvient d’Emmanuel Macron n’ayant comme réponse, au lendemain de la mort de 27 naufragés dans la Manche le 24 novembre 2021, que l’annonce d’un renforcement de l’agence européenne de surveillance des frontières Frontex –, les responsables politiques italiens ont exigé plus de contrôles et de sévérité. Or c’est ce qui avait conduit à la tragédie.

D’une part, l’avion de Frontex qui avait survolé le bateau et identifié la présence de nombreux passagers à son bord n’avait pas signalé sa situation de détresse. D’autre part, les vedettes rapides de la Guardia di finanza, qui avaient été envoyées sur les lieux et avaient rebroussé chemin en raison du mauvais temps, ont une activité douanière. Loin d’être une opération de sauvetage, comme la Guardia costiera [« garde côtière »] aurait pu l’engager, la sortie tardive et avortée des bateaux italiens s’apparentait à une opération de police.

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Il n’en a pourtant pas toujours été ainsi. Après le naufrage survenu le 3 octobre 2013 sur les côtes de Lampedusa, qui avait causé la mort d’au moins 368 personnes, le gouvernement italien, choqué par le drame, avait engagé une grande opération de secours en mer appelée « Mare Nostrum », dont on estime qu’elle a porté assistance à 150 000 personnes. Mais dès l’année suivante, faute de financement européen, le programme avait été interrompu et remplacé par l’opération « Triton » de Frontex, qui avait pour fonction d’intercepter les embarcations.

On a découvert plus tard que l’agence pratiquait des refoulements illégaux et dangereux, et collaborait avec les prétendus gardes-côtes libyens qui interpellent les naufragés avant de les mener dans des prisons où ils sont souvent victimes de sévices. Pour compenser la quasi-disparition des opérations de secours, plusieurs organisations humanitaires affrétaient alors des navires destinés au sauvetage en mer, mais, très vite, le gouvernement italien les accusait de complicité avec les passeurs, les empêchait d’accoster avec leurs rescapés et même leur intentait des procès.

Indifférence générale

Tragique coïncidence, deux jours avant le naufrage sur les côtes calabraises, le Parlement italien, dominé par la droite et l’extrême droite, avait voté une loi interdisant aux navires des organisations non gouvernementales de faire plus d’un sauvetage à la fois, mesure qui s’ajoutait à l’obligation, sous peine de lourdes sanctions, de rejoindre des ports qui leur étaient assignés, loin des lieux de secours, afin de réduire le nombre d’opérations et d’en augmenter le coût. Ainsi, en quelques années, on est passé, sous les auspices de l’Union européenne, d’actions de secours en mer à l’intimidation et à la criminalisation de l’humanitaire.

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La Méditerranée est devenue le plus grand cimetière d’exilés au monde, puisque c’est là qu’est survenue la moitié des 48 000 décès de migrants enregistrés sur la planète depuis 2014, selon l’estimation basse de l’Organisation internationale pour les migrations.

Les enquêtes montrent que plus le contrôle des frontières maritimes s’est renforcé, plus la proportion de morts parmi celles et ceux qui tentent la traversée a augmenté, tandis que les passeurs, à l’abri sur les côtes africaines, non seulement ne sont pas inquiétés, mais font monter le prix des passages. La politique criminelle de l’Union européenne se déploie ainsi dans l’indifférence générale. La disqualification des exilés participe de la banalisation des naufrages.

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Au lendemain du drame, le Forum Lampedusa Solidale a envoyé une lettre de condoléances et de fraternité aux villageois de Cutro, en Calabre, avec lesquels ils partagent la douloureuse expérience d’être les spectateurs impuissants de ces tragédies sur leurs côtes. Elle se terminait par ces vers de la poétesse américaine Emily Dickinson (1830-1886), qu’on peut lire à l’entrée du cimetière de Lampedusa où tant de naufragés, anonymes ou non, sont enterrés : « Ressentir le deuil dans la mort/ De ceux que nous n’avons jamais vus/ Signifie une parenté vitale/ Entre notre âme et la leur/ Les étrangers ne pleurent pas – un étranger. »

Lorenzo Alunni est chercheur ­en résidence à l’Institute for Advanced Study de Princeton (Etats-Unis) ; Didier Fassin est professeur ­au Collège de France et directeur ­d’études à l’EHESS.

 


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