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Fermez les Centres de Rétention !

La secrétaire générale de La Cimade dénonce : les enfermements arbitraires, les violences et les mises à l’isolement répétées, un climat de stigmatisation grandissante, les expulsions illégales

Solidarite avec Mimmo Lucano

Source : InfoMigrants - Charlotte Boitiaux - 31/03/2023

Depuis le mois de décembre, à Paris, les autorités démantèlent systématiquement - et sans solution de relogement - les campements de migrants quelle que soit leur taille. Les mineurs isolés en subissent les conséquences : chaque nuit, pour ne pas se faire réveiller, confisquer leur tente ou leurs couvertures, ils cherchent des cachettes dans la capitale. Et pour ne pas se faire repérer, ils restent désormais seuls ou en petits groupes. Au risque de s'invisibiliser et de sortir des radars des associations.

Alpha* est inquiet. Arrivé à Paris il y a deux semaines, ce jeune Guinéen de 15 ans redoute la nuit à venir. "La police a-t-elle le droit de nous violenter ici ?", demande-t-il à une bénévole d'une association d'aide aux migrants. "Il y avait écrit 'police municipale' sur leur torse. Ils peuvent nous faire quoi exactement ?"

Il est 19h30, place de l'Hôtel de Ville où, chaque soir, les jeunes peuvent profiter d'une distribution de nourriture. Alpha ne tient pas en place. "Si je reste, est-ce que je vais avoir des problèmes ?" L'adolescent craint par-dessus tout la venue de la police.

Déjà deux fois qu'il a eu affaire à eux. "Ils sont arrivés il y a trois, quatre jours, vers 1h du matin. J'étais avec deux autres personnes vers la place de la Bastille. Ils nous ont demandé de partir. Ils ne nous ont pas tapés, ils ont secoué la tente". Alpha et ses amis ont donc remballé leurs affaires et déménagé en pleine nuit. Ils ont déniché une autre cachette. Mais quelques jours plus tard, rebelote. "Les policiers nous ont encore trouvés. Mes amis ont eu peur, ils sont partis, ils ne veulent pas être expulsés. Je ne sais pas où ils sont. Moi, je reste tout seul maintenant". 

"Tolérance zéro"

Depuis maintenant plusieurs semaines, les campements de migrants sont strictement interdits dans Paris. "Tolérance zéro", explique Nikolai, salarié d’Utopia 56. L’installation de tentes dans l’espace public n’a jamais été autorisée, mais une sorte de tolérance permettait aux jeunes mineurs de passer les nuits tranquilles, à plusieurs, dans des parcs, des squares et de repartir au petit matin, couvertures et tentes repliées dans les sacs à dos. Une époque désormais révolue. Et une double peine : non seulement, les jeunes ne sont plus autorisés à déplier une tente, mais ils ne peuvent plus non plus rester en groupe. Pour être discret, mieux vaut être seul.

 

Des jeunes s'apprêtent à passer la nuit sous leur tente, place Saint-Gervais, à Paris, tout en craignant d'être délogés par les forces de l'ordre. Crédit : Mehdi Chebil
Des jeunes s'apprêtent à passer la nuit sous leur tente, place Saint-Gervais, à Paris, tout en craignant d'être délogés par les forces de l'ordre. Crédit : Mehdi Chebil

 

"Depuis le mois de décembre, et la dernière mise à l'abri, les campements des jeunes, même ceux de 4 ou 5 tentes, sont systématiquement démantelés", développe Alice, une autre membre d’Utopia 56, présente ce soir-là à l'Hôtel de Ville pour aiguiller et rassurer les jeunes. Certains adolescents, comme Alpha, ont fait le choix de ne plus prendre de tente et de ne plus rester avec les autres. "Trop visible", dit-il encore, choqué d'avoir été brutalement réveillé par les forces de l'ordre. "On a effectivement des jeunes qui, lassés de se faire saisir leurs couvertures et leurs tentes, n’en demandent plus", relate encore Alice. "La situation est vraiment dramatique […] Chaque mini-camp installé sur un bout de trottoir, ou sous un pont a une existence de moins de 72h quand il est repéré par la police".

Pourtant, la rue, c’est tout ce qui est offert à ces jeunes, fraîchement arrivés à Paris. Les hébergements solidaires ou les hôtels sociaux, déjà saturés, accueillent en priorité les familles avec enfants en bas-âge. Dans l’attente d’une reconnaissance de leur minorité, ces jeunes de moins de 18 ans ne sont pas pris en charge par l'État, ils se débrouillent donc seuls.

"Trouver des cachettes"

Les Midis du Mie, une autre association qui leur vient en aide, estime qu’ils sont entre 200 et 300 dans les rues de la capitale. Une grande majorité vient d’Afrique de l’Ouest et subsaharienne. "Une partie est hébergée dans nos structures, mais ceux qui viennent d’arriver en France, qui sont là depuis une ou deux semaines, n’ont souvent aucune solution", explique Agathe Nadimi, sa fondatrice. Combien dorment chaque soir sur des cartons ? Difficile à évaluer. Une cinquantaine de jeunes sans-abris étaient présents ce jeudi soir, à Hôtel de Ville, le point de rendez-vous connu de tous. "Ils viennent ici pour manger, prendre des couvertures, puis ils repartent. Et pendant ces deux heures de présence, on se fait une idée de leur nombre et de leurs besoins", explique encore Alice.

 

Alvin, un Guinéen de 17 ans, dort seul vers la Gare de Lyon. Crédit : Mehdi Chebil
Alvin, un Guinéen de 17 ans, dort seul vers la Gare de Lyon. Crédit : Mehdi Chebil

 

Alvin a 17 ans. Assis avec d’autres jeunes sur un banc de la place Saint-Gervais, derrière l'Hôtel de Ville de Paris, ce jeune Guinéen ne compte pas s’éterniser là. "Je viens pour discuter un peu". Alvin passe ses nuits vers la Gare de Lyon, seul. Arrivé à Paris le 17 mars, il rechigne à nous montrer l’abri qu’il a trouvé ce soir-là. Par pudeur, sûrement. "Ne vous inquiétez pas, je sais me débrouiller et trouver un endroit propre, sans urine, sans danger", insiste-t-il en regardant la pluie tomber sur le parvis de la Gare, sa sacoche sur l’épaule. Alvin garde précieusement sa couverture jaune à l’intérieur. "J’ai des vêtements de rechange aussi dedans", dit-il fièrement et en riant. Pas de tente ? "Non, où je la mettrais ? Je n’ai pas froid. Et puis, on trouve toujours des cartons dehors pour se protéger du sol humide, ça me suffit". Il marque une pause. "De toute façon, c’est temporaire tout ça, je vais m’en sortir".

>> À (re)lire : Mineurs isolés : tout savoir sur votre prise en charge à votre arrivée en France

Pour dormir quelques heures, sans être surpris dans leur sommeil par les autorités, les jeunes comme Alpha et Alvin cherchent des abris toujours plus dissimulés. "Avant nous les aidions à trouver des endroits sûrs, maintenant nous les aidons à trouver des cachettes", explique encore Alice, d’Utopia 56. Pêle-mêle, les bénévoles avancent des solutions, parfois étonnantes : les installer sous un manège ? "Non, les jeunes ont peur, il faut dire que c’est flippant un manège la nuit". Derrière des échafaudages ? "C’est discret mais ça peut être dangereux".

S'invisibiliser, c'est devenir une proie

D'autres jeunes encore, comme Cissé et ses copains, tous Ivoiriens, ont trouvé un endroit sans l’aide de personne. Ils gardent fièrement leur "spot" secret. "C’est quelque part dans le 20e arrondissement, la police ne nous voit pas. Mais du coup, on doit être discret, on parle pas fort, on essaie de ne pas faire trop de lumière avec les portables", explique Cissé, réticent à l’idée de nous emmener.

 

Un riverain s'approche avec des galettes de légumes pour les jeunes à la rue, le 30 mars 2023. Crédit : Mehdi Chebil
Un riverain s'approche avec des galettes de légumes pour les jeunes à la rue, le 30 mars 2023. Crédit : Mehdi Chebil

 

Selon l’association Utopia 56, c’est la perspective des Jeux olympiques de 2024 qui inciterait les autorités à durcir leur politique de démantèlement. "Il faut que Paris cache ses migrants avant d’accueillir le monde entier", avance Nikolai. Avec des conséquences dramatiques. Quand les jeunes s’invisibilisent, ils deviennent des proies. "Ils se dispersent, se cachent. Ils sont de plus en plus nombreux à sortir de nos radars. On ne peut plus les protéger, on craint qu’en s’isolant, ils tombent dans des réseaux", explique Alice.

Ce soir-là, après le départ des bénévoles, une quinzaine de jeunes a décidé de ne pas parcourir Paris. Il est 23h. Ils ont dressé leurs tentes, déjà trempées par la pluie, là, place Saint-Gervais, à la vue de tous. "J’ai eu peur", confie Mohammed, un Ivoirien de 16 ans, réveillé par notre présence en sortant la tête par la fente de sa tente. "Je me suis dit : ‘Ah non, pas déjà la police… Ça fait que 10 minutes que je suis allongé’". Quelques rires se font entendre.

Un riverain s'approche des tentes et propose des galettes de légumes et de pommes de terre enveloppées dans du sopalin. La plupart des adolescents dorment déjà. "Vous pensez bien que j'irai ailleurs si j’avais le choix", reprend Mohammed après avoir pris deux galettes et en prenant soin de les protéger de la pluie. "Je suis à Paris depuis 20 jours. Vingt jours que je me casse le dos. Je ne comprends pas bien pourquoi on s’acharne sur nous".

En février 2021, la ville de Paris avait ouvert un centre d’hébergement dans le 15e arrondissement spécialement créé pour ces jeunes dont la question de la minorité n’est pas tranchée. Un centre financé par l’État dont l’ouverture a été saluée par les associations mais qui "ne correspond absolument pas à l'ampleur du problème". Quarante places sont disponibles. Toutes occupées. À l’évocation de ce centre, plus tôt dans la soirée, Alpha, le jeune Guinéen de Bastille avait haussé les épaules. "Votre centre spécial, c’est le 115 ? Ah, c’est autre chose… Ok, c’est bien". Il ne demandera aucun renseignement. "À chaque fois qu'on te dit que tu vas avoir de l’aide, ça ne marche jamais. Votre centre, ça ne sert à rien de tenter, je suis fatigué". 

*Tous les prénoms ont été changés

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