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Fermez les Centres de Rétention !

La secrétaire générale de La Cimade dénonce : les enfermements arbitraires, les violences et les mises à l’isolement répétées, un climat de stigmatisation grandissante, les expulsions illégales

Solidarite avec Mimmo Lucano

Source : médiapart - Emmanuel Riondé - 07/04/2023

D’après nos informations, la préfecture de Dordogne a expulsé une jeune femme vers Abidjan, le 30 mars dernier, alors même que la justice n’avait pas tranché le recours contre la mesure d’éloignement qui la visait. Interrogée par Mediapart, la préfecture reconnaît « une erreur » et affirme qu’elle est en train d’organiser un retour en France.

Toulouse (Haute-Garonne).–  Ce jeudi 6 avril, Mme L. était « convoquée » à 14 heures au consulat de France à Abidjan (Côte d’Ivoire) pour se voir délivrer « un laissez-passer et un visa lui permettant de revenir en France », selon la formule de la préfecture de Dordogne, interrogée par Mediapart. Son « vol retour » était « en cours de calage, en lien avec l’intéressée ». Le coût de ce vol entre la Côte d’Ivoire et la France, ainsi que les frais attenants, seront « pris en charge par la préfecture de Dordogne », car celle-ci reconnaît « une erreur ». Un euphémisme, s’agissant d’une expulsion illégale, qui recouvre mal les douleurs que cet éloignement a pu engendrer chez une jeune femme de 22 ans.

Cette affaire rarissime, dont Mediapart révèle les dessous, montre jusqu’où l’obsession de la politique du chiffre en matière d’expulsion des personnes étrangères sans papiers peut conduire les autorités françaises : hors la loi.

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Au centre de rétention du Mesnil-Amelot. © Photo : Sébastien Calvet.

L’histoire remonte au 10 janvier dernier. Ce jour-là, Mme L. est interpellée à Périgueux (Dordogne), à la suite d’un contrôle d’identité à son domicile, opéré par des forces de l’ordre après un signalement de violences. En situation irrégulière, elle se voit notifier le lendemain une « obligation de quitter le territoire français » (OQTF), puis elle est conduite au centre de rétention administrative (CRA) de Cornebarrieu, près de Toulouse – ces lieux où les sans-papiers sont enfermés jusqu’à 90 jours en vue de leur expulsion.

Arrivée de Côte d’Ivoire en 2016, à l’âge de 15 ans, Madame L. possédait initialement un visa « famille de Français », puisque son père, un frère et une sœur sont de nationalité française. Sa mère dispose, de son côté, d’un titre de séjour valable jusqu’au 20 avril 2024.

Madame L. a bénéficié d’un « document de circulation pour étranger mineur » valable jusqu’en juin 2020, et elle a ensuite « entrepris des démarches administratives afin de régulariser sa situation », peut-on lire dans une ordonnance du tribunal administratif de Toulouse, rendue le 31 mars. Vivant ainsi en France depuis 7 ans, elle y a été scolarisée, a obtenu un CAP. « L’intéressée démontre avoir fixé le centre de ses intérêts privés et familiaux en France », estime le tribunal.

Au CRA de Cornebarrieu, l’une des salariées de La Cimade (association de défense des droits des étrangers qui y intervient) insiste : « On a été très surpris quand on a vu son parcours de vie, avec autant d’attaches ici... C’est assez rare de voir des personnes comme ça en rétention. »

Pourtant, le juge des libertés et de la détention (chargé d’autoriser ou non le prolongement de la rétention au-delà de 48 heures) appose son tampon. L’avocate de permanence fait immédiatement appel. Et le 14 janvier, la cour d’appel de Toulouse donne raison à Mme L. et pointe une « décision disproportionnée » de l’administration, qui n’a « pas pris en compte » la « situation personnelle » de Mme L. et le réseau familial dont elle dispose en France. La cour d’appel ordonne « la mainlevée de la rétention administrative et la remise en liberté » de Mme L. La jeune femme quitte ainsi le CRA de Toulouse dès le 17 janvier. Libre.

Mais si son placement en rétention a été invalidé, l’OQTF qui la vise, signée par le préfet, elle, n’est pas levée.

Ça fait dix ans que je fais du droit des étrangers, je n’ai jamais vu ça.
L’avocate de Mme L.

Le 8 mars, son avocate, Laure Galinon, plaide donc son annulation devant le tribunal administratif de Toulouse, faisant valoir l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme sur le droit au respect de la vie privée et familiale. En droit français, ce recours est suspensif de toute mesure d’éloignement : tant que le tribunal administratif ne s’est pas prononcé sur la validité de l’OQTF, la personne concernée ne peut être expulsée. C’est pourtant ce qui se passe le 30 mars.

Alors que Mme L. attend toujours le délibéré, des policiers débarquent chez elle à 6 heures du matin et la conduisent à l’aéroport de Bordeaux (Gironde). « Contrainte physiquement, elle a été embarquée de force à bord d’un avion pour la Côte d’Ivoire », raconte son avocate. Bordeaux-Paris, puis le jour même Paris-Abidjan. Une ville « où elle n’a ni famille ni affaires », s’indigne Me Galinon. Laquelle assure : « Ça fait dix ans que je fais du droit des étrangers, je n’ai jamais vu ça... »

Du côté de la préfecture, on fait aujourd’hui profil bas. Auprès de Mediapart, ses services admettent avoir « commis une erreur en menant à terme la procédure d’éloignement sans attendre que le tribunal administratif se soit prononcé ». Une erreur aggravée par le sens de la décision du tribunal, tombée le lendemain de l’expulsion : considérant que « la décision portant obligation de quitter le territoire français méconnaît le droit au respect de sa vie privée et familiale », les juges annulent l’arrêté d’expulsion pris par le préfet de Dordogne. La préfecture n’a depuis pas fait appel.

Mais il est trop tard. En catastrophe, Me Galinon saisit le tribunal administratif (cette fois de Bordeaux), selon la procédure du référé-liberté, c’est-à-dire en urgence absolue, pour demander à la justice qu’elle ordonne à la préfecture de réparer son « erreur ». Dans sa décision, rendue le 3 avril, le tribunal note que « le préfet de Dordogne [...] fait valoir que la préfecture a d’ores et déjà entrepris d’organiser le retour en France de Mme X », laquelle « sera reçue dès son retour en France pour un réexamen de sa situation ». Le tribunal estime donc qu’il n’« y a plus lieu à statuer ».

Un camouflet pour l’Intérieur

La préfecture s’évite ainsi de justesse une décision de justice humiliante, mais le tribunal écrit noir sur blanc, au passage, que « Mme L. a été placée par l’administration dans une situation violant [ses droits] », en l’espèce les articles 8 et 13 de la Convention européenne des droits de l’homme.

La préfecture s’empresserait donc d’organiser le retour de Mme L., en concertation avec le consulat de France à Abidjan. Il serait imminent. À quel prix ? Outre la prise en charge des billets, sans doute faut-il compter le temps de travail d’un fonctionnaire de police, au moins, chargé de l’accompagner.

Surtout, Mme L. a vécu une épreuve, sinon un traumatisme. À l’heure de la publication de cet article, Mediapart n’avait pas réussi à la joindre.

« [Un tel retour en France] est rarissime, ça veut dire que la préfecture s’est fait taper sur les doigts », souligne Louise Lecaudey, responsable à La Cimade de la rétention en Île-de-France, et qui sait de quoi elle parle. Depuis le 1er janvier, l’association estime que huit personnes retenues au CRA du Mesnil-Amelot, à proximité de l’aéroport de Roissy (Seine-et-Marne), auraient subi des expulsions illégales. Parmi elles, « cinq sont similaires à celui de cette femme ivoirienne, c’est-à-dire des expulsions survenues avant le délibéré du tribunal administratif, affirme Louise Lecaudey. Les trois autres personnes ont été expulsées alors que leur demande d’asile était en cours d’examen, ce qui est tout aussi illégal ».

Mais aucune de ces personnes n’a ensuite été « rapatriée » en France. Car à la différence du cas de Mme L., le tribunal administratif n’a, finalement, jamais statué : les personnes ayant été éloignées, il a été considéré que ce n’était plus nécessaire... Une situation que n’envisage pas Me Galinon : « Il est hors de question que ma cliente ne revienne pas, tout cela est totalement illégal ! », s’étrangle l’avocate.

Pour La Cimade, ces expulsions illégales sont l’une des principales raisons qui l’ont conduite à quitter le CRA du Mesnil-Amelot, où l’association est installée depuis des années, le 2 février dernier. « Cela a jeté un discrédit sur notre action et notre parole auprès des personnes en rétention, regrette Louise Lecaudey. Lorsque l’on explique aux personnes retenues que le recours étant suspensif, elles ne peuvent pas être expulsées tant que le tribunal n’a pas statué, mais qu’elles en voient huit en quelques mois être renvoyées avant le rendu du jugement, notre parole est évidemment questionnée... »

Pour Louise Lecaudey, cette dérive observée depuis le début de l’année est « un effet immédiat des deux circulaires Darmanin d’août et de novembre qui ont montré que le pouvoir reste obsédé par le chiffre des expulsions et que cela se fait au mépris du droit et même des situations individuelles ».

Sollicité, le cabinet de Gérald Darmanin affirme que « toutes les instructions données aux préfectures se conforment strictement au droit en vigueur, le ministère de l’intérieur étant particulièrement scrupuleux du respect du droit au recours et au droit à la vie privée et familiale », sans commenter le cas précis de Mme L.

À force d’insister auprès d’autorités peu pressées de s’expliquer, et qui « se renvoient la balle » dans ce type de dossiers, La Cimade du Mesnil-Amelot confie avoir tout de même obtenu plusieurs rendez-vous : à la fois à la préfecture de Seine-et-Marne et au ministère de l’intérieur (à la Direction générale des étrangers en France). Cela pourrait se faire à la mi-avril. Quelques jours – si tout va bien – après le retour de Mme L. À Mediapart, le ministère de l’intérieur confirme que le président de la Cimade a été reçu par le directeur de cabinet de Gérald Darmanin et s’est engagé à examiner les cas soumis par l’association.

 


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