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La secrétaire générale de La Cimade dénonce : les enfermements arbitraires, les violences et les mises à l’isolement répétées, un climat de stigmatisation grandissante, les expulsions illégales

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Source : le monde - Corentin Lesueur et Jordan Pouille - 07/04/2023

Alors que l’extrême droite se mobilise contre la création de nouveaux centres d’accueil de demandeurs d’asile en territoire rural, un projet déchire les habitants de Bélâbre, dans l’Indre, à rebours de l’installation « sans scandale » d’étrangers à Sommières-du-Clain, dans la Vienne voisine, depuis 2005.

Sur le parvis de l’église Saint-Blaise, deux adolescents rincés par la pluie étirent un long drapeau bleu-blanc-rouge. Silhouette rectiligne dans une nuée de parapluies sombres, Pierre Gentillet, un avocat parisien régulièrement invité sur CNews, harangue une foule de Bélâbrais : « Battez-vous pour votre village ! » Se présente ensuite Ludivine Fassiaux, la fille des gérants de la supérette. « A cause du CADA [centre d’accueil de demandeurs d’asile], des familles bélabraises vont partir et puis ça sera au tour des commerçants aussi. » « On est chez nous », enchaînent des riverains chauffés à blanc.

Plus loin, dix jeunes agitant une banderole « Reconquête ! 41 » s’approchent, goguenards, d’un contre-rassemblement : 200 manifestants de tous âges, mélange de paysans et de néoruraux. Une enseignante à la retraite lâche un « Plus d’amour, moins de Zemmour ». Une maman dégaine un carton marqué d’un extrait de l’Evangile selon Matthieu : « J’étais étranger et vous m’avez accueilli chez vous. » Ce samedi 11 mars, 82 gendarmes ont été déployés ici et dans les villages voisins pour empêcher un pugilat. Depuis deux mois, Bélâbre (Indre), 1 000 âmes, se déchire autour d’un projet de CADA.

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Ces derniers temps, les saluts affables se sont raréfiés, les regards se fuient. Les tracts « anti » se distribuent de nuit dans les boîtes aux lettres. « Aujourd’hui, les habitants préfèrent ne pas en parler publiquement. Moi, j’en discute avec les clients dont je connais la position », raconte la patronne du P’tit Berry, plutôt « anti ». Comme chez les Fassiaux, de la supérette mitoyenne : « Dans mon magasin, on ne me parle que de ça. Contrairement à ce que raconte la mairie, les trois quarts des habitants sont contre. »

« Ils resteront entre huit et dix mois »

Le 9 février 2023, le conseil municipal a voté, par treize voix contre deux, la vente d’une petite friche industrielle à l’association d’insertion Viltaïs. Le site, une ancienne chemiserie sous-traitante de Pierre Cardin et Pierre Clarence, faisait travailler 120 couturières jusque dans les années 1970. Le bâtiment, mis en vente par la mairie en 2019, « commençait à devenir dangereux et ça allait nous coûter de l’argent, rappelle un élu qui nous fait visiter. On a eu une proposition farfelue à 22 000 euros. Viltaïs en a proposé 40 000 euros, avec son projet. Donc, bon, voilà… »

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Pierre Gentillet, avocat au barreau de Paris, s’adresse aux manifestants opposés au projet de CADA, à Bélâbre (Indre), le 11 mars 2023.

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Les manifestants favorables au projet de CADA, à Bélâbre (Indre), le 11 mars 2023.

Une médaille de la Vierge est suspendue à la poignée de la porte d’entrée comme pour éloigner les mauvais esprits. Au rez-de-chaussée, les repasseuses ont été remplacées par les cibles en paille du club amateur de tir à l’arc. A l’étage, l’eau pénètre par le toit de verre à la moindre averse. Plus de 1 million d’euros de travaux sont envisagés par l’association. Difficile pour l’instant d’imaginer des demandeurs d’asile y trouver leurs aises. « Ils resteront entre huit et dix mois en attendant leur statut de droit d’asile. Ils seront là pour apprendre le français », explique l’édile, Laurent Laroche, élu divers gauche depuis 2014. Avant de se justifier : « L’OCDE [Organisation de coopération et de développement économiques] dit qu’en 2050, l’Europe manquera de 95 millions de travailleurs. Je préfère être à la manœuvre d’une immigration contrôlée que de subir. »

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En proposant la création de 22 places à Argenton-sur-Creuse et 38 autres à Bélâbre, Viltaïs satisfait une demande de la préfète de région de créer 60 nouvelles places d’hébergement de demandeurs d’asile dans l’Indre. L’association contacte la mairie fin 2021, planche sur la reconversion des lieux dès février 2022. « Début décembre, je reçois un projet détaillé et leur demande de le présenter au conseil municipal, dès le 30 janvier 2023 », dix jours avant le vote, poursuit Laurent Laroche.

Un « 49.3 municipal » dénoncé

La colère d’une partie des habitants est née du sentiment de ne pas avoir été consultés. Directement. Certains dénoncent un « 49.3 municipal ». « Viltaïs nous a conseillé de ne pas organiser de réunion publique. J’ai aussi appelé des collègues élus ayant des CADA chez eux et qui m’ont fait la même réflexion. En communiquant si tard, on s’est évité six mois de menaces », assume le maire. La dernière réunion, le 24 mars, s’est tenue en comité un peu moins restreint, sur invitation : 80 habitants, commerçants, artisans, présidents d’association et même quelques opposants ont débattu. Le préfet de l’Indre, Stéphane Bredin, était là, Viltaïs aussi. La presse n’était pas conviée. Dehors, une centaine d’habitants rétifs patientaient, silencieux.

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Laurent Laroche, maire de Bélâbre (Indre), et l’équipe municipale, à la fenêtre de la mairie, le 11 mars 2023.

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Ludivine Fassiaux, opposante au CADA en discussion animée avec un militant pro-CADA, lors des manifestations organisées le 11 mars, à Bélâbre, dans l’Indre.

Début avril, l’heure n’est plus aux manifestations mais à la guerre de position. Deux pétitions s’affrontent sur Facebook. Des Bélabrais réclament un référendum et défendent un contre-projet pour la friche industrielle : un « tiers-lieu numérique » avec la promesse de vingt emplois à la clé. Seule condition pour eux : que la mairie retire son projet de CADA. Certains remettent en cause le sérieux de Viltaïs. D’autres encore s’inquiètent des conditions de vie des futurs réfugiés dans la région.

A l’autre bout de la communauté de communes, Spike Groën, maire de Saint-Gilles (107 habitants) et animateur d’un comité de soutien à Eric Zemmour lors de l’élection présidentielle de 2022, se soucierait d’abord du bon accueil des exilés. « Par ici, il n’y a pas de bassin d’emploi, pas de transports publics, rien : pourquoi ne pas commencer par-là ? questionne l’élu. Mais non, on préfère faire passer les Bélabrais pour des nazis… »

« Les partis comme Reconquête ! et le Rassemblement national dévalorisent la devise de notre République, balaie Laurent Laroche. Je me battrai toujours face à ces gens. Le CADA, c’est un projet du cœur, une main tendue vers l’autre. »

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La friche industrielle (ancienne usine de confection de chemises) dans laquelle est projetée l’installation du CADA, située dans le centre-ville de Bélâbre, dans l’Indre, le 11 mars 2023.

Au moins le maire peut-il compter sur la bénédiction du prêtre. « La paroisse n’a rien à voir avec ce qui se vit dans cette commune. (…) Je vous assure de mon plus profond soutien et de mes prières dans l’exercice de votre mandat », lui a écrit le père Guinnepain, curé de la paroisse du Blanc, dont dépend Bélâbre, que regrette que les « anti » se soient emparés du parvis de son église pour manifester, à l’invitation de fidèles.

A Sommières, les étrangers devenus une « chance »

A Sommières-du-Clain, 80 kilomètres plus à l’ouest, le maire, René Morisset, n’est pas sûr qu’il tenterait d’ouvrir un CADA en 2023, certain que son village de la Vienne se retrouverait sous les radars de l’extrême droite et que cela occasionnerait des pétitions. A rebours des fantasmes, le maire, élu en 2020, dépeint une commune paisible où les demandeurs d’asile sont « intégrés, sans poser de problème. Depuis le temps… » Un temps qui remonte à janvier 2005.

A l’époque, son prédécesseur, Patrick Pellerin, s’était retrouvé avec une dizaine de logements vides sur les bras : un reliquat du Hameau service, créé en 2001 pour loger des parents retraités et leurs enfants handicapés mentaux. Des maisonnettes vite confiées à la Croix-Rouge pour y accueillir des demandeurs d’asile. Sans défiance ? « Il a fallu une bonne année pour que l’idée soit acceptée, reconnaît Christelle Largeau, travailleuse sociale présente dès l’ouverture du site. Des villageois étaient suspicieux, d’autres clairement opposés. » Douze mois pour faire taire les « ils viennent prendre nos toits, voler notre travail ».

Des dizaines de familles exilées se sont depuis succédé. Avec elles a disparu la méfiance. Les étrangers sont devenus une « chance » pour la cité aux 766 habitants. Sans eux et la dizaine d’écoliers apportés en moyenne par le CADA, l’école communale ne serait sans doute qu’un vieux souvenir. « Ces gens font aussi tourner un peu les boutiques », ajoute René Morisset. Pharmacie, cabinet médical, bar, restaurant, épicerie, coiffeur, opticien, boulangerie (relancée l’été prochain) : un tissu professionnel et commercial à rendre jaloux les alentours.

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Symboles d’un village fier de son dynamisme, les familles ayant fui tous les continents n’en restent pas moins des ombres furtives sur la placette où s’agrègent les vitrines et plaques médicales. Le patron du bistrot ne croise que les fumeurs. La coiffeuse ne les rencontre jamais vraiment. A l’Auberge du Clain, l’anglais est la première langue des tablées, mais du seul fait des Britanniques tombés sous le charme de la Vienne. Les réfugiés passent plus souvent la porte de la pharmacie ou de l’épicerie. « Ils font partie du village, mais sans être vraiment intégrés au bourg », résume Cécile Sèvre, enfant de Sommières devenue responsable de sa résidence sénior.

Le bourg, cœur de la précieuse activité locale dominé par un austère château bâti au XVIIe siècle sur ordre de Louis XIV pour l’exil de sa favorite, la marquise de Montespan, n’est séparé du CADA que par les eaux marron du Clain. Mais la rivière vaut bien certaines frontières pour des familles maîtrisant mal le français. Surtout quand l’accélération des procédures administratives a réduit de moitié leur séjour dans la Vienne, qui n’excède plus les deux ans.

« On a l’essentiel : la paix »

« Leur arrivée ici est quand même un choc, raconte Noëlle Bouillé, la responsable du CADA. Ils se retrouvent soudain dans un tout petit village, au milieu de rien. » « C’est loin », répètent d’abord les résidents. Loin de leurs vies d’avant et de l’image d’Epinal d’une France façon carte postale parisienne. « Mais s’ils pleurent en arrivant, ils pleurent aussi en partant », sourit la cheffe de service de la Croix-Rouge. Toutes les familles rencontrées le disent : passée la surprise, la ruralité leur apporte ce à quoi ils n’osaient plus rêver, un calme propice à la construction d’une nouvelle existence.

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Katherine Beatriz Magana Pérez et Joran Damián Martínez Romero sont originaires du Salvador. Ils sont arrivés en France en novembre 2021 et au CADA de Sommières-du-Clain (Vienne) en mars 2022.

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Dans l’appartement de Katherine Beatriz Magana Pérez et Joran Damián Martínez Romero, à Sommières-du-Clain (Vienne), le 14 mars 2023.

« Tranquilidad. » Le mot se glisse dans toutes les phrases de Katherine Beatriz Magana Pérez et Joran Damián Martínez Romero. Le couple de trentenaires a fui avec leurs deux enfants de 4 et 6 ans le Salvador, en novembre 2021, chassé par les menaces d’extorsion puis de mort adressées à ce négociant en riz. Arrivés à Sommières en mars 2022, ils devront bientôt quitter les lieux après l’obtention du statut de réfugiés. « Nous irons n’importe où, anticipe Katherine, partout où l’on trouvera la sécurité et la tranquillité qu’on connaît depuis l’atterrissage en France. »

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« Le plus important », pour eux comme tous les autres, ce sont leurs enfants, qui n’ont que pour seul danger la mince allée les séparant de l’école. Diana Rojas s’en pince encore. Venue de Colombie avec son mari, Jaime, et leurs deux filles, elle décrit les risques encourus à Bogota, où tous ses proches étaient dans le viseur d’un groupe armé. « Les gens ici sont peut-être timides et la ville toute petite, mais on a l’essentiel : la paix, martèle l’infirmière. C’est un lieu parfait pour repartir de zéro. » Jaime n’a qu’une « frustration » : ne pas pouvoir travailler tant que leur sort est en suspens.

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Jaime et Diana Rojas étaient frigoriste et infirmière à Bogota, en Colombie. Ici dans leur logement du CADA, à Sommières-du-Clain (Vienne), le 14 mars 2023.

L’écueil de la langue affecte bien moins les enfants, scolarisés dès leur emménagement. Six mois sont nécessaires pour être parfaitement à l’aise à l’oral, un jour suffit pour rire à la récréation. « Ils s’habituent à tout et à l’autre plus rapidement que les adultes », confirme le directeur, Julien Fontaine, qui voit en eux « des allophones, pas des étrangers ». Un jour par semaine, ils quittent leurs camarades pour des ateliers de français. Le reste du temps, ce ne sont que des écoliers, discrets sur leur histoire. L’enseignant n’a que deux « anecdotes » en tête : une fillette souhaitant raconter son départ précipité d’Alep (Syrie) ; un autre frissonnant au son du télécopieur qui réveillait un mauvais souvenir de Tchétchénie.

Pas de vrai « scandale »

Depuis sa résidence pour personnes âgées, Cécile Sèvre souffle à l’évocation des préjugés qui, ailleurs, freinent l’installation de nouveaux CADA. Elle se creuse la tête à la recherche d’un « scandale ». Une histoire de cerises volées sur une branche qui débordait dans la rue, le soupçon d’un trafic de voitures. « Des bruits qui, mis bout à bout, ont donné des rumeurs. Au début, c’était sans doute plus facile d’accuser, quand les gens de chez nous étaient moins ouverts. » Le maire, René Morisset, évoque une poignée de « chapardages ». « Dans ces gens-là, c’est comme chez nous : il y a des bons et des mauvais. »

Jean-Philippe Minot, lui, ne voit que les « bons », les « bons garçons » et les « bons côtés ». Le président de l’Olympique club Sommières-Saint-Romain (OCSSR) pioche au CADA quelques footballeurs. Mais l’« enrichissement » dont le chaudronnier à la retraite est le plus fier déborde des feuilles de match : l’« ouverture d’esprit ». Une conquête douloureuse : des piliers du club sont partis, refusant que des « Noirs » portent leur tunique, d’autres ont tapissé en 2012 la buvette d’affiches de Marine Le Pen. Si la greffe a fini par prendre à l’OCSSR, le racisme pourrit toujours les bords de terrain. « Les propos fusent à chaque opposition contre d’autres communes », dit « Don Jean-Philippe », comme l’appellent les hispanophones, les yeux pleins de larmes. « C’est fou. En 2023, certains refusent de croire qu’on peut les accueillir sans autre volonté que de les aider. Pour ces gens, apprécier la différence n’est pas possible. »

 

 


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