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Source : InfoMigrants - Marlène Panara - 21/04/2023

Alors que la faisabilité de l'accord sur le transfert des demandeurs d'asile est toujours à l'étude par la justice britannique, au Rwanda, on se prépare déjà à les recevoir. Exit les traditionnels camps de réfugiés, les exilés seront hébergés d'abord dans divers petits hôtels de la capitale rwandaise, puis, s'ils en ont les moyens, dans des logements flambant neufs à sa périphérie. Avec, pour Kigali, un mot d'ordre : "s'intégrer".

C’est au sommet d’une des nombreuses collines de Kigali, tout au bout d’une pente abrupte, qu’elles se dévoilent. Quatre maisons "témoins", de la plus petite à la plus grande, font soudain face à la route. Chacune, quelle que soit sa taille, est précédée d’un petit carré de verdure où poussent quelques plantes. Placardée au bord de la route, une grande bâche annonce le projet : "Bwiza Riverside Estate". Ce lotissement comptera à terme 2 400 logements, agrémenté d’installations de loisirs et d’un "centre pour la petite enfance".

C’est à cet endroit, à 15 minutes en voiture du centre-ville, que seront logés les demandeurs d’asile en provenance du Royaume-Uni ayant obtenu le statut de réfugié au Rwanda. Un procédé rendu possible par "l’accord sur l'immigration" conclu il y a tout juste un an par Kigali et Londres, qui prévoit le transfert des migrants arrivés illégalement au Royaume-Uni dans ce petit pays d’Afrique des Grands Lacs.

Très critiqué dès sa signature, ce partenariat est actuellement étudié en appel par la justice britannique, 10 mois après un premier vol stoppé in extremis par la Cour européenne des droits de l'Homme (CEDH).

 

Le premier lot de 500 logements devrait être prêt à accueillir des propriétaires au mois de juin 2023. Crédit : InfoMigrants
Le premier lot de 500 logements devrait être prêt à accueillir des propriétaires au mois de juin 2023. Crédit : InfoMigrants

 

Des biens entre 19 000 et 88 000 euros

Alors qu’outre-Manche, sa mise en application est encore en suspens, le Rwanda, de son côté, est déjà "prêt à accueillir toutes les personnes" susceptibles d’être transférées sur son sol, assure Alain Mukuralinda, porte-parole adjoint du gouvernement. Celles qui auront obtenu le statut de réfugié - après étude de leur dossier par les autorités rwandaises et le Haut-Commissariat des Nations unies aux réfugiés (HCR) - pourront donc s’installer dans une des maisons réservées aux résidents étrangers du lotissement Bwiza Riverside Estate. Le projet, pensé d’abord pour faciliter l’accès à la propriété des Rwandais vulnérables, se compose aujourd’hui d’un premier lot de 500 logements, répartis en quatre catégories.

La première est une maison de 43 m², appelée "Ivy". Au rez-de-chaussée, une petite pièce carrelée de blanc dessert une cuisine déjà meublée, des toilettes, et une chambre. La seconde est au bout d’un large escalier au revêtement imitation parquet. Coût total du bien : 21,5 millions de francs rwandais, soit 19 000 euros environ. Censée accessible, la somme peut tout de même paraître conséquente pour des personnes qui, très souvent, ont sacrifié toutes leurs économies pour fuir leur pays. "Une fois leur statut obtenu, les réfugiés toucheront de l’argent du gouvernement britannique pendant cinq ans. C’est prévu par l’accord", rétorque Alain Mukuralinda.

À l’intérieur des trois logements de catégorie supérieure, l’odeur de la peinture fraîche est encore tenace. Des tapis colorés ont été disposés sur le sol des chambres. Depuis les fenêtres, à l’étage, la vue sur les collines verdoyantes de la banlieue de Kigali est imprenable. "Quand elle a vu ça, la ministre a adoré", annonce fièrement la personne en charge des visites lors du passage d’InfoMigrants. Suella Braverman, la ministre de l’Intérieur britannique, avait effectivement loué, lors de son passage le 18 mars dernier, "ces logements de haute qualité, avec une variété d'unités de différentes tailles pour accueillir des familles".

Pour s’offrir les maisons "Ruby", "Sofia" et "Umuringa", les réfugiés devront tout de même débourser respectivement 30 000, 54 000 et 88 000 euros.

 

Le salon de l'une des maisons de la résidence Bweza River Estate. Crédit : InfoMigrants
Le salon de l'une des maisons de la résidence Bweza River Estate. Crédit : InfoMigrants

 

"L’objectif, c’est que les personnes accueillies se mêlent aux Rwandais. Nous ne voulons pas de quartiers de migrants, pas de camps, tient à souligner le porte-parole. Alors une fois qu’ils auront obtenu leur statut de réfugié, il faudra s’intégrer. En vivant avec la population dans ces lotissements par exemple, et en apprenant le kinyarwanda [une des langues officielles du Rwanda, parlée par 99% de la population, ndlr]. Cela leur sera d’ailleurs indispensable pour travailler ou étudier."

Des hôtels à l’arrivée

Avant de pouvoir prétendre aux coquettes habitations de Bwiza River Estate, les demandeurs d’asile devront d'abord patienter dans les "endroits de transition" prévus par les autorités. Ils y seront accueillis dès leur arrivée sur le sol rwandais, et durant toute la durée que prendra le traitement de leur dossier. Soit de "trois à six mois", précise le porte-parole adjoint.

Aujourd’hui, quatre hôtels "sont tout à fait disposés à recevoir" les demandeurs d’asile, dont le Hope Hostel. Son haut portail en verre reste d’ailleurs, à l'heure actuelle, fermé à tous visiteurs ou touristes, en attendant ses prochains occupants. Situé au sud de la capitale, dans le quartier de Kagugu, ce bâtiment orange et jaune de 50 chambres a ouvert en 2014. Jusqu’en 2022, il hébergeait touristes de passages et orphelins du génocide dans le besoin. Mais il y a un an, la vingtaine d'entre eux qui était encore là a dû quitter le refuge, pour laisser la place aux futurs demandeurs d’asile.

 

Le Hope Hostel doit accueillir les demandeurs d'asile pour une période de trois à six mois. Crédit : InfoMigrants
Le Hope Hostel doit accueillir les demandeurs d'asile pour une période de trois à six mois. Crédit : InfoMigrants

 

Non loin de là, dans le quartier de Nyarutarama, le Desir Resort Hotel attend lui aussi les migrants en provenance de Londres. D’une capacité de 72 chambres, l’établissement dispose d’une piscine. "Nous avons aussi un endroit pour faire du yoga. Voici les avantages auxquels les clients de l’hôtel peuvent profiter librement", avait fièrement décrit son directeur au micro de RFI, en mai 2022. Enfin, à l’est de Kigali, les 30 pavillons touristiques du lotissement Hallmark Residences seront eux aussi mis à disposition.

Tous à Kigali et dans sa périphérie, ces hébergements pourront être complétés par d’autres, dans d’autres provinces du pays, en fonction du nombre de migrants transférés depuis le Royaume-Uni. "Si Londres nous envoie 200 ou 300 personnes, elles pourront toutes être logées dans la capitale. S’il y en a plus, elles seront alors envoyées aussi en province", ajoute Alain Mukuralinda.

Durant cette période de transition, les demandeurs d’asile disposeront de documents d’identité provisoires, avec lesquels ils pourront commencer à travailler, étudier, ou scolariser leurs enfants. "Tout est prévu", assure le porte-parole.

Un précédent en forme d’échec

Si aujourd’hui les autorités rwandaises tiennent à rassurer sur leur capacité à accueillir, dans de bonnes conditions, les migrants envoyés par le Royaume-Uni, c’est que les précédents en la matière ne jouent pas en leur faveur. Il y a 10 ans, un accord similaire a été signé avec Israël, pour le transfert au Rwanda et en Ouganda de demandeurs d'asile érythréens et soudanais. Kigali s’était alors engagé, à l’instar de son partenariat avec Londres, à les prendre en charge. Entre 2013 et 2017, 3 959 d’entre eux ont quitté l’État hébreu dans le cadre de cet accord, resté secret.

Mais de nombreux témoignages recueillis par des ONG et des chercheurs montrent une tout autre réalité : les exilés étaient en fait soumis dès le départ à un chantage pour quitter le sol israélien. Surtout, "aucun n'a eu la possibilité de demander l'asile au Rwanda ou en Ouganda, promesse pourtant faite par les autorités israéliennes", affirme le document "Se déplacer sous la menace : les voyages périlleux des réfugiés qui ont quitté 'volontairement' Israël pour le Rwanda et l'Ouganda et ont atteint l'Europe", publié par trois chercheurs israéliens.

"Cela faisait huit ans que je vivais à Tel-Aviv lorsque, pour la première fois depuis mon arrivée, mon permis de travail n’a pas été renouvelé, raconte Esfay, originaire d’Érythrée, à InfoMigrants. La police m’a arrêté et m’a laissé deux possibilités. Soit j’étais enfermé dans la prison de Holot, soit je partais pour le Rwanda. Les agents me l'ont promis : 'Là-bas, tu vivras bien'. Alors je me suis dit que c’était mieux de vivre au Rwanda que de passer mes journées derrière les barreaux en Israël. Et je suis parti."

Esfay ne restera pourtant que très peu de temps sur le sol rwandais. Dès son atterrissage à Kigali le 25 février 2015, son passeport lui est confisqué. Après quelques heures passées dans un bureau où on lui sert un peu de nourriture et de l’eau, il est conduit en voiture en Ouganda. "J’avais peur, mais surtout j’étais très déçu. On n’avait pas respecté la promesse qu’on m’avait faite."

 

Tesfay vit aujourd'hui à Genève, en Suisse, où il a obtenu le statut de réfugié. Crédit : DR
Tesfay vit aujourd'hui à Genève, en Suisse, où il a obtenu le statut de réfugié. Crédit : DR

 

Depuis Esfay a gagné l’Europe après une longue et périlleuse route via la Libye et la Méditerranée centrale. "Le Rwanda s’en fiche des droits humains. Il fait ça pour l’argent, peste-t-il. Et être envoyé là-bas, finalement, ça ne m’a pas empêché de partir pour l’Europe."

En avril 2018, la pluie de critiques internationales suscité par cet accord a contraint Israël à abandonner son projet.

Une vie "normale", mission impossible

Au Rwanda, vitrine de l’Afrique moderne depuis quelques années et souvent brandi comme un exemple sur le continent, le quotidien des autres réfugiés issus des pays voisins n’est pas plus enviable. Aujourd’hui, le Rwanda en abrite plus de 174 000, répartis dans six camps. Pour ces exilés, majoritairement originaires du Burundi et de la République démocratique du Congo (RDC), entamer une vie "normale" est quasiment mission impossible.

En cause ? La difficulté à trouver un travail bien rémunéré. "Ici, les réfugiés ont accès aux mêmes services de base que les Rwandais, comme la santé, l’école ou le travail, explique Lilly Carlisle, chargé de communication pour le HCR dans le pays. Ça, c’est pour la théorie. Dans la réalité, c’est beaucoup plus compliqué. Il est très difficile, pour ces personnes, de trouver un travail et donc de construire leur vie. Des années après leur arrivée, la plupart restent dépendantes de l’aide humanitaire". Conséquence, "près de 90% des réfugiés comptabilisés au Rwanda vivent encore dans des camps". Certains, depuis plus de 20 ans.

Alexis*, lui, a trouvé refuge dans le pays en 2015. Acteur de la société civile au Burundi, il a fui Bujumbura après la crise politique et la répression violente des manifestations anti-pouvoir cette année-là. Le 29 juin, il a posé le pied dans le camp de Gashora, avec sa famille. "Depuis, je n’en suis jamais parti, souffle-t-il. Pour aller où ?"

>> À (re)lire : Le Rwanda, ou le mirage d'une "terre promise" pour les réfugiés

D’abord hébergés sous une tente pendant trois ans, le père de famille, sa femme, et ses quatre enfants vivent désormais dans une petite maison en béton du camp. Alexis a tenté à plusieurs reprises de trouver un emploi. "Mais pour avoir un salaire correct, il faudrait qu’on parte d’ici, que je travaille près de Kigali [à 1h20 de route de Gashora]. C’est une décision difficile, car là au moins j’ai un toit pour mes enfants, explique-t-il. Si on part, je ne suis pas sûr de pouvoir nous payer un logement décent."

Chaque mois, la famille perçoit 60 000 francs rwandais par personne, soit environ 50 euros, versés par le HCR. "Avec les prix qui augmentent, c’est dur, mais c’est mieux que rien. Ici, ce n’est pas parfait, c’est sûr, ajoute-t-il. Mais au moins, on a un peu d’aide. Il y a des gens qui n’ont rien."

*Le prénom a été modifié.

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