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Fermez les Centres de Rétention !

La secrétaire générale de La Cimade dénonce : les enfermements arbitraires, les violences et les mises à l’isolement répétées, un climat de stigmatisation grandissante, les expulsions illégales

Solidarite avec Mimmo Lucano

Source : médiapart - Nejma Brahim - 24/04/2023

Dans cette commune de Loire-Atlantique, un centre d’accueil pour demandeurs d’asile a été créé au moment du démantèlement de la « jungle de Calais ». Près de quatre cents personnes y ont transité depuis, sans heurts et avec le soutien de nombreux habitants, jusqu’à ce que l’extrême droite s’empare du sujet en 2022.

Saint-Brévin-les-Pins (Loire-Atlantique).– Dans le salon de sa maison, bordée par l’océan, Michel Sourget se replonge dans les événements qui ont frappé sa commune au cours des derniers mois. Deux manifestations « anti-migrants », des menaces de mort et des courriels d’intimidation… Et, plus récemment, la maison et les véhicules calcinés de Yannick Morez, maire (divers droite, sans étiquette) de Saint-Brévin-les-Pins, après l’incendie volontaire survenu dans son jardin dans la nuit du 22 au 23 mars. « C’est l’œuvre de l’extrême droite, tout ça », soupire le retraité.

Yannick Josselin, un ami rencontré grâce à l’arrivée des demandeurs d’asile à Saint-Brévin, lui rend visite pour évoquer ce « climat » qui les « agace ». « On sait tous que les “anti-Cada” représentent peu de monde à Saint-Brévin. C’est embêtant que des militants Reconquête drainent toute la Bretagne pour faire passer leurs idées », déplorent les bénévoles du Collectif des Brévinois attentifs et solidaires (CBAS), qui a vu le jour dès 2016, avec l’arrivée des premiers migrants sur la commune, et compte aujourd’hui une centaine de bénévoles.

Tous deux se souviennent d’une poignée de réfractaires qui, à l’époque, avaient lancé plusieurs pétitions pour contester l’ouverture du Centre d’hébergement d’urgence pour migrants (CHUM dans le jargon), qui avait permis d’accueillir cinquante demandeurs d’asile venus de Calais, après le démantèlement de la « jungle » fin octobre 2016.

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Michel Sourget et Michèle Lailler, tous deux membres du Collectif des Brévinois attentifs et solidaires, venant en aide aux réfugiés. © Nejma Brahim / Mediapart

À l’époque, expliquent-ils, les tensions se cristallisent davantage autour du concept de l’« invasion » que sur celui de l’insécurité. Yannick Haury, alors maire de Saint-Brévin, aujourd’hui député Renaissance, se serait montré « mécontent », affirmant n’avoir pas été informé du projet porté par l’État.

C’est en voyant qu’une manifestation s’organisait contre l’arrivée des demandeurs d’asile que Michel décide de s’impliquer en leur faveur dans sa commune aux 14 000 habitant·es. Éducateur spécialisé à la retraite, Yannick est à l’initiative du collectif, qu’il crée avec deux autres « Brévinois atterrés », avant d’en officialiser l’existence en tant qu’association et d’en changer le nom.

Callac, ou l’élément déclencheur

« Ça s’est donc fait en réaction, mais ça nous a aussi permis de découvrir qu’il y avait un vivier de ressources pour accompagner les migrants et rester vigilants quant à leurs conditions d’accueil », raconte Michel. Avant que les exilés n’arrivent, des coups de feu sont tirés sur l’une des fenêtres du centre de vacances, appartenant à EDF, réquisitionné pour héberger le CHUM.

« Ça s’est assez vite tassé ensuite, poursuivent-ils. L’un de ces opposants a même reconnu, un an plus tard, qu’ils s’étaient trompés. » Dans le documentaire Après la junglediffusé sur France 5 en avril 2017 et documentant l’arrivée des migrants de Calais à Saint-Brévin, celui qui évoquait au départ un « fardeau pour l’État » reconnaît en effet : « Il n’y a pas eu de dérapages. L’un d’eux est passé et a dit bonjour, je pense qu’ils essaient quand même d’apprendre notre langue. »

Depuis, le centre d’accueil a changé deux fois d’appellation, passant de Huda (hébergement d’urgence pour demandeurs d’asile) en 2018 à Cada (Centre d’accueil pour demandeurs d’asile) début 2023, sans jamais changer de lieu (en relevant, à chaque fois, du dispositif national d’accueil mis en œuvre par l’État).

« On a eu beaucoup de Soudanais, d’Érythréens et d’Afghans au départ, complète Michèle Lailler, une bénévole particulièrement active du collectif, venue rejoindre ses camarades. Ils se sont tous très bien adaptés. En six ans, il n’y a jamais eu d’incident. »

C’est évident que leur “victoire” à Callac les a encouragés à se mobiliser ailleurs.
Un voisin du maire de Saint-Brévin

Les récents événements sont d’autant plus incompréhensibles que « tout se passe bien depuis » leur arrivée. La préfecture de Loire-Atlantique confirme, auprès de Mediapart, qu’il n’y a eu aucun incident ou aucune forme de délinquance impliquant des réfugiés du Cada ces dernières années. Saint-Brévin ne compterait aujourd’hui qu’une petite dizaine d’opposants, qui refusent surtout que le Cada déménage pour être installé dans une zone pavillonnaire, à proximité de l’école de la Pierre-Attelée.

« Quand ils ont vu qu’ils étaient peu nombreux, ils ont appelé des partis politiques comme Reconquête et le Rassemblement national pour avoir du soutien, assure un voisin immédiat du maire de Saint-Brévin. Ils ont parlé de migrants, alors que ce sont des demandeurs d’asile. Ils mélangent tout, ils réagissent par la peur et l’ignorance. »

À ses yeux, il se passe ici ce qui s’est passé à Callac, où un centre d’accueil devait voir le jour pour des familles réfugiées, cette fois dans le cadre d’un projet porté par un fonds privé, mais a été abandonné après de multiples menaces venant de l’extrême droite. « On a une petite minorité issue de la commune et le reste qui vient d’ailleurs. C’est évident que leur “victoire” à Callac les a encouragés à se mobiliser ailleurs. »

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La maison du maire de Saint-Brévin-les-Pins, Yannick Morez, a été incendiée le 23 mars 2023. © Nejma Brahim / Mediapart.

En observant la devanture à moitié carbonisée de la maison du maire, le voisin de celui-ci déplore de « tels extrêmes », mettant la vie d’un homme et de sa compagne en danger, durant leur sommeil. « On n’a rien entendu. On est passé à ça d’un drame, les petits-enfants du maire auraient pu être là la nuit de l’incendie. »

Marié à une Réunionnaise, le quadragénaire a également dû expliquer l’innommable à ses deux enfants métis : « Ils m’ont demandé qui avait fait ça, s’ils étaient racistes et s’ils risquaient de s’en prendre à eux. On les a rassurés comme on a pu. » Il ira contre-manifester le 29 avril, date à laquelle le collectif de préservation de la Pierre-Attelée ira dire « Non au Cada », avec la « présence d’invités-surprises ». « On sera encore plus nombreux, réagit le voisin, pour leur faire comprendre qu’on est là et qu’ils sont allés trop loin avec l’incendie. »

Sollicité, le maire de Saint-Brévin n’a pas souhaité nous rencontrer, exprimant le besoin de se « couper » un temps des médias. La préfecture de Loire-Atlantique dit poursuivre le déploiement du projet, tout en « l’expliquant autant que possible à l’ensemble des parties prenantes, y compris les opposants ». Elle précise que le préfet et le sous-préfet de l’arrondissement se sont « rapprochés du maire de Saint-Brévin le jour même de l’incendie pour lui apporter leur soutien ». Mais ce dernier a affirmé, dans l’émission « Envoyé spécial », n’avoir plus de nouvelles des autorités depuis l’appel d’Olivier Véran (le porte-parole du gouvernement), évoquant une forme d’« abandon ».

Cours de français, préparation au permis et sorties culturelles

Le lendemain matin, Michèle Lailler s’affaire dans le salon de sa maison, au centre-ville de Saint-Brévin. Son quotidien est rythmé par celui des réfugiés, qu’elle connaît presque tous par leur prénom et qu’elle accompagne dès qu’elle le peut. Plus jeune, elle aurait voulu faire de l’humanitaire avec Mère Teresa, pour « venir en aide aux populations en souffrance ». « J’ai fini prof de maths. Et puis tout à coup, des réfugiés sont venus à moi, dans ma propre commune : je ne pouvais pas rester sans rien faire. » Et d’ajouter, l’air convaincu : « Ils font notre bonheur ! »

Son époux André, en convalescence après une opération, se tient face à son ordinateur portable. Cet inspecteur du permis de conduire à la retraite tente d’apprendre le Code de la route à Attaullah, 28 ans, réfugié afghan et habitant de Saint-Brévin depuis deux ans.

« Le 4 janvier 2021, je suis arrivé ici », explique le jeune homme, qui fait chaque jour un peu plus de progrès en français selon Michèle. Il se dit « heureux » d’être à Saint-Brévin, après avoir dû fuir l’Afghanistan en 2019 en empruntant la route des Balkans, dormi sous les ponts à Paris et transité par Nantes où il a vécu trois mois.

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André, un retraité, prépare Attaullah, un réfugié, à l'examen du code pour le permis de conduire. © Nejma Brahim / Mediapart.

Il est aussi resté « dubliné » durant dix mois (la France considérait, en vertu du règlement Dublin, que c’était à l’Autriche d’étudier sa demande d’asile, car c’était le premier pays par lequel il était entré dans l’Union européenne), avant de pouvoir passer en « procédure normale » et d’obtenir le statut de réfugié.

Il travaille aujourd’hui pour l’entreprise Maugin, spécialisée dans la confection de fenêtres, tout en poursuivant ses cours de français, trois fois par semaine, aux côtés des bénévoles associatifs. « On est plusieurs du Cada à travailler là-bas. Je suis passé par une agence d’intérim et je leur ai dit que je pouvais tout faire sauf les chantiers, car j’ai des problèmes de dos. »

À midi, il enfourche son vélo pour retourner au centre se changer avant de se rendre au travail. Sur place, plusieurs occupants comme Anouar, un Soudanais, ou Tarikullah, un Afghan, s’occupent sur leur smartphone. Le cours de français proposé quotidiennement par l’association locale ABCD’Retz, en partenariat avec le CBAS, vient de prendre fin lorsque Rohullah, un grand gaillard afghan âgé de 20 ans, s’installe à la table principale dans le hall, au bout duquel un espace librairie a été aménagé.

Un lieu de passage…

Rohullah vit ici depuis un an et demi et continue de suivre les cours de français dispensés par l’Office français de l’immigration et de l’intégration (OFII), à Saint-Nazaire, chaque mercredi. « J’aime beaucoup vivre à Saint-Brévin, car c’est calme, il n’y a pas beaucoup de monde », confie celui qui a traversé onze pays pour rejoindre la France. Il dit aussi aimer nager et profiter de l’océan pour s’entraîner.

Il sait que le Cada doit bientôt déménager, mais n’a pas entendu parler des manifestations organisées par les opposants. Sa jambe remue de haut en bas, dans une frénésie incontrôlée, lorsque le sujet est posé sur la table. « Ils ne sont pas nombreux, ne t’en fais pas. La majorité des gens ici est contente de vous avoir », lui souffle quelqu’un pour le rassurer. Son visage se décrispe et laisse échapper un sourire soulagé. « S’il n’y en a pas beaucoup, alors ça va. »

Dans la cour du centre, géré par l’association Aurore, on peut voir la vitre brisée six ans plus tôt par un coup de feu, qui n’a jamais été réparée. Près de quatre cents demandeurs d’asile et réfugiés ont transité par ce centre situé au cœur de Saint-Brévin-l’Océan, une zone touristique où se trouvent de nombreux commerces. « Le déménagement prochain en inquiète certains », observe Michèle Lailler.

Les nouveaux locaux se trouvent à environ trois kilomètres de là, près du littoral, dans une zone moins vivante. « Même les bénévoles risquent d’être découragés par la distance pour aller donner les cours de français… » Mais le loyer « coûtait trop cher », poursuit-elle, et les locaux de la Pierre-Attelée, appartenant à la mairie, restaient vacants en attendant.

Une partie des résidents actuels – une cinquantaine d’hommes seuls originaires d’Afghanistan, du Soudan, de Russie ou de Tchétchénie – y sera certainement transférée. En tout, les nouveaux locaux accueilleront trente-trois jeunes, vingt-quatre femmes avec enfants et huit familles.

« Quand on sait que la commune a accueilli quatre cents personnes depuis 2016 sans aucun problème, on se demande comment certains peuvent encore avancer la carte de l’insécurité. Certains s’inquiètent aussi de la dévaluation de leur maison, alors qu’il n’y a eu aucune incidence sur les prix là où se trouve actuellement le Cada », s’étonne Marie-Thérèse, ancienne présidente de l’ABCD’Retz, aujourd’hui bénévole.

L’association, qui venait déjà en aide aux femmes des travailleurs des chantiers de Saint-Nazaire ou aux jeunes en décrochage scolaire, a vite lancé un appel à bénévoles, au moment de l’installation du centre : « On a eu cent vingt volontaires, c’est énorme. Les premiers ont fait des progrès importants en français, les suivants n’avaient pas tous le même rapport à l’apprentissage d’une nouvelle langue », se souvient-elle.

Le Covid-19 a dû mettre un coup d’arrêt brutal à leurs activités, mais elle constate que l’élan de solidarité observé au départ ne s’est jamais essoufflé.

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Les bénévoles de l'ABCD'Retz échangent avec Thierno, Abdallah et Khan Agha, trois réfugiés accueillis au Cada de Saint-Brévin-les-Pins. © Nejma Brahim / Mediapart

« On salit l’image de Saint-Brévin en donnant de l’importance aux opposants. On a l’air d’opposer deux blocs, alors que ce n’est pas le reflet de la réalité », regrette-t-elle, évoquant ceux qui accompagnent les réfugiés à l’hôpital, leur prêtent des vélos ou leur organisent des sorties.

… avant une insertion par le travail et la vie sociale

Beaucoup oublient aussi que le Cada reste un lieu de passage, que les réfugiés quittent après avoir trouvé un emploi et un logement. C’est le cas de trois jeunes Érythréens employés par l’entreprise Maugin, qui, après avoir vécu en colocation dans un logement privé à Saint-Brévin, s’apprêtent à déménager à Saint-Nazaire où un logement social les attend.

Véronique*, patronne d’une boulangerie de la commune, a découvert le centre d’accueil en allant y livrer le pain tous les jours. « Et puis, j’ai eu besoin de quelqu’un pour préparer les sandwichs, alors j’ai demandé à l’assistance sociale si un réfugié pourrait être intéressé. » Elle embauche alors deux habitants du centre, sur deux périodes consécutives.

Sans « prendre parti », elle explique n’avoir eu « aucun a priori » : « Ils sont ponctuels et présents. Ils se sont très vite adaptés, l’un d’eux a fini par pétrir le pain avec le reste de l’équipe. » Tous deux ont eu des difficultés à se loger à Saint-Brévin après leur passage au Cada, se remémore-t-elle, « malgré leur CDI ». L’un d’eux est ensuite parti à Nantes en vue d’y suivre une formation d’électricien.

J’avoue que je ne comprends pas. Certaines personnes ne voient que le négatif lorsqu’il s’agit des réfugiés.
Mofset, réfugié érythréen installé à Nantes

C’est aussi à Nantes que Mofset*, un ancien habitant du Cada de Saint-Brévin, a pris son envol. Nous le retrouvons vendredi midi, dans l’un des musées de la ville où il travaille en tant qu’agent d’entretien. Le corps menu, il avance d’un pas déterminé, le sourire radieux ; fier de partager un bout de son histoire. Mofset fait partie des premiers migrants à avoir rejoint le centre de Saint-Brévin, après Calais.

« Je voulais rester en France, alors j’ai fait une demande d’asile et j’ai obtenu le statut de réfugié. Je suis resté un peu moins d’un an au centre », relate-t-il après avoir pris place sur un banc du musée. Il est rapidement pris en charge par un couple de retraités qu’il rencontre au centre – des habitants de Nantes venus proposer des cours de français –, qui lui trouve du travail en tant que jardinier chez des particuliers à Saint-Brévin.

« Pendant un an, je suivais des cours de français chez eux à Nantes et je travaillais à Saint-Brévin une semaine par mois. » Installé définitivement à Nantes, il occupe d’abord un emploi de jardinier dans les espaces verts. Il mène aujourd’hui une vie « tranquille », dans son propre logement qu’il partage avec sa femme, qui a pu le rejoindre via une demande de réunification familiale, et leurs deux enfants, nés en France.

Le quadragénaire observe, de loin, les tensions créées par l’extrême droite dans la première commune qui l’a accueilli « dignement » : « J’avoue que je ne comprends pas. Certaines personnes ne voient que le négatif lorsqu’il s’agit des réfugiés. Pourtant, tous ceux que je connais sont là pour travailler et améliorer leur vie, apprendre le français, être comme tout le monde. On participe à l’économie, on paie des taxes. »

Mofset se sent français ; il étudie l’histoire de France et envisage de déposer bientôt une demande de naturalisation. Les réfugiés sont, il en est convaincu, « une bonne chose » pour la France.


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