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Source : médiapart - Mathilde Goanec - 18/05/2023

Alors que le ministre Pap Ndiaye vient de signer un accord avec l’enseignement catholique, non contraignant, pour espérer résorber la sous-représentation des classes populaires dans les écoles privées, le sociologue Marco Oberti analyse pour Mediapart les dynamiques de ségrégation sociale dans l’Éducation nationale.

Après les non-annonces de Pap Ndiaye sur la mixité sociale dans les établissements scolaires publics la semaine passée, réduites finalement à la création d’une vague cellule interacadémique sur le sujet, le ministère de l’Éducation a dévoilé le 17 mai 2023 le contenu du nouveau protocole négocié entre l’État et l’enseignement catholique privé sous contrat.

 

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Des collégiens montent un escalier avec leur sac de cours à Toulouse en septembre 2022. © Photo Adrien Nowak/Hans Lucas via AFP

Là encore, la signature de ce protocole a eu lieu presque en catimini, sans que la presse soit conviée, « dans un esprit de dialogue, de réalisme et d’action », selon les mots du ministère. Aucune contrainte nouvelle, mais la volonté de « dessiner la trajectoire » d’un accroissement de la mixité sociale et scolaire dans les établissements privés sous contrat relevant de l’enseignement catholique. La tâche est rude : les élèves boursiers n’y passent guère la barre des 10 % des effectifs.

Attendu depuis des mois, ce plan mixité désormais complet, vendu comme l’un des axes forts de la mission de Pap Ndiaye rue de Grenelle, atterrit donc de la manière la plus étrange qui soit, sans susciter l’espoir d’une diminution conséquente de la ségrégation sociale qui ronge les écoles françaises.

Le protocole propose, dans ses grandes lignes, de construire « une base de données » pour mieux connaître le profil social des élèves accueillis dans le privé, de « sensibiliser » les collectivités locales pour qu’elles soutiennent les établissements privés engagés dans une politique de mixité volontariste. Le ministère promet également « l’ouverture de discussions pour favoriser l’implantation de nouveaux établissements » privés dans des secteurs « à fort besoin scolaire », en concertation avec les rectorats, mais renonce à toute tentative de sectorisation partagée avec le public. Le privé reste donc libre de recruter qui il veut.

En retour, l’enseignement catholique s’engage à « inciter » à davantage à la « modulation » des tarifs pratiqués dans ses établissement en fonction du profil des familles et, seul engagement chiffré, à doubler le nombre d’élèves boursiers en cinq ans dans les établissements où les élèves recevront les mêmes aides que s’ils étaient dans le public. En clair, pas question de tordre le bras à qui que ce soit, c’est du donnant-donnant : les collectivités locales devront mettre la main à la poche pour financer la cantine et le transport scolaire pour ces familles.

Marco Oberti, tout en appelant à la nuance dans l’opposition binaire entre le public et le privé, relève ces faiblesses. Penser en silo les deux systèmes éducatifs français, « le privé d’un côté et le public de l’autre », sans vouloir « examiner ce que l’un prend à l’autre conduit à l’échec », considère le chercheur.

 

Marco Oberti © DR

De la même manière, ne pas tenir compte de la diversité des contextes locaux empêche de réfléchir sérieusement aux dynamiques de production de la ségrégation sociale à l’école . Enfin, « imaginer qu’il suffirait d’implanter des filières attractives dans les établissements défavorisés publics pour faire revenir les classes moyennes et supérieures, parties dans le privé », ressemble fort à une illusion. Entretien.

Mediapart : Depuis des semaines, et en amont du protocole signé ce jeudi, Pap Ndiaye a insisté sur le fait que son sujet de prédilection, c’était le public, renvoyant presque le privé à la marge du débat. Mais est-ce que l’aspiration par le privé des enfants des classes supérieures est un problème secondaire selon vous ?

Marco Oberti : Non, ceux qui pensent cela ont tort : on ne peut pas agir sur la ségrégation scolaire sans tenir compte des rapports entre l’enseignement public et le privé. Même dans les contextes où le poids du privé est faible, la logique de répartition des élèves entre les établissements est biaisée par son pouvoir de sélectivité et par le fait d’échapper à la contrainte de la sectorisation. Donc, penser qu’on peut traiter séparément la question de la ségrégation scolaire dans le public d’un côté et dans le privé de l’autre est réducteur et incohérent.

Vous affirmez cependant que, contrairement à une idée reçue, on ne constate pas un accroissement de la clientèle du privé en France mais à une espèce de surspécialisation du privé sur les classes supérieures ?

Cette spécialisation est déjà ancienne et stable. Historiquement, les établissements privés se sont plutôt installés dans les espaces centraux et les plus favorisés, surtout dans les très grandes villes, ce qui limite aussi son expansion. D’une certaine manière, cette capacité d’accueil réduite est un atout pour le privé, qui peut choisir ses élèves puisque les demandes dépassent l’offre.

On comprend donc que cet usage français, qui a imposé une forme de répartition – 80 % pour le public, 20 % pour le privé, ce qui signifie que le privé ne scolarise qu’un élève sur cinq en France – ne serait pas si inintéressant pour ce dernier : le privé, qui n’est pas autorisé à ouvrir grand ses portes, resserre l’entonnoir sur les profils scolairement et socialement les plus favorisés ?

Oui. On pourrait faire d’autres choix, par exemple favoriser l’installation des établissements privés dans des communes très défavorisées. Ce n’est pas la voie que je retiendrais, car elle pourrait contribuer à affaiblir encore plus le secteur public, mais on pourrait tout de même envisager de mieux répartir l’offre privée dans les grandes métropoles, et en particulier dans les quartiers défavorisés. Mais c’est une contrainte que le représentant de l’enseignement catholique en France ne semble pas prêt à assumer. Prenons l’exemple du bassin scolaire de Nanterre, dans les Hauts-de-Seine. À Nanterre, 100 000 habitants, aucun collège privé, sauf récemment l’implantation d’un collège hors contrat musulman. À Rueil-Malmaison, près de 80 000 habitants, cinq établissements privés dont trois sous contrat !

Partant de ce constat, vous insistez sur les nuances territoriales : la concentration des élèves les mieux dotés socialement est très vraie dans les grandes métropoles, mais aussi dans le périurbain, ce qui n’est pas vraiment le cas en zone rurale par exemple.

Absolument. Dans certains territoires, il y a très peu de différence de profil social entre le public et le privé ; et il n’y a pas lieu de bousculer des équilibres subtils qui ne posent pas de problèmes majeurs en termes de ségrégation et d’inégalités. Ce pourrait même être contre-productif sur le plan social et politique. Les expériences scolaires y sont finalement plutôt les mêmes. La priorité est vraiment d’agir dans les métropoles, là où la segmentation sociale entre le public et le privé est la plus forte.

Est-ce qu’on peut donner quelques exemples de cette différenciation ?

L’exemple parisien, bien sûr, est éclairant. Au-delà de Paris, on voit qu’il y a des « spots » relativement éloignés de la capitale, comme les villes de Saint-Maur-des-Fossés, Versailles, Saint-Germain-en-Laye ou Sceaux, qui concentrent une offre scolaire publique et privée très attractive. Il ne faudrait donc pas réduire cette question à une opposition binaire centre-périphérie.

On le voit aussi dans d’autres villes, Lyon, et même Marseille, où subsiste un privé populaire. Mais même là, la tendance à l’entre-soi ne se radicalise-t-elle pas ?

Si, tout à fait. Je pense aussi à Lille, où la différenciation sociale entre les établissements du privé est également très forte. Ce qui est logique. Plus le privé est important, plus sa différenciation sociale interne est importante.  Plutôt que d’imaginer un dispositif national, cela joue en faveur d’une prise en compte des contextes locaux. 

Le cas de la Seine-Saint-Denis est intéressant : c’est un département où l’offre privé est très faible, et pourtant la population scolaire dans le public est très homogène d’un point de vue social, soit une immense majorité d’enfants issus des classes populaires. Donc le privé n’est pas seul en cause, comme semble le penser Pap Ndiaye…

En 2018 nous avons travaillé sur les effets de l’assouplissement de la carte scolaire sous Sarkozy. Dans la mesure où les collèges publics sont peu différenciés sur ce territoire, les parents n’ont pas compris quel intérêt ils avaient à demander une dérogation pour un collègue plus éloigné. Alors que dans les Hauts-de-Seine, où les contrastes sont nettement plus marqués entre des collèges proches les uns des autres, d’une commune à l’autre, les demandes de dérogation étaient plus nombreuses et émanaient des classes moyennes-supérieures et des classes supérieures. De plus, les profils sociaux des collèges privés de la Seine-Saint-Denis sont nettement moins favorisés que ceux des Hauts-de-Seine, et sont plutôt dans la moyenne des collèges publics de ce département. Une partie de la Seine-Saint-Denis est tellement homogène d’un point de vue social et urbain  qu’agir seulement sur l’offre scolaire me semble assez peu efficace.

C’est votre autre argument : on ne pourra pas faire l’économie d’une politique de déségrégation sociale urbaine. On pourra rafistoler le bateau éducation de tous côtés, ça ne marchera pas sans cela ?

Nous voyons là l’importance de la loi SRU [loi du 13 décembre 2000 relative à la solidarité et au renouvellement urbains – ndlr], qui doit cependant prendre davantage en compte l’échelle infra-municipale afin de veiller à une meilleure répartition du logement social entre les quartiers. Mais agir sur la ségrégation résidentielle implique de lourdes politiques urbaines sur un temps beaucoup plus long.

Imaginer une politique décentralisée veut dire qu’on reste sur le registre de la bonne volonté locale ? Les éléments du débat aujourd’hui et autour de ce protocole tournent clairement autour des contraintes que l’on choisit  d’imposer ou non au privé. Faut-il aller vers cette contrainte ?

Ce n’est pas contradictoire, mais le représentant de l’enseignement catholique a clairement déclaré ne pas vouloir se soumettre à des contraintes et garder toute sa liberté. On aurait pu s’attendre à plus de souplesse. Je ne sais pas comment Pap Ndiaye a mené ses discussions, mais je pense qu’il a été plutôt modéré au départ. Le couple Macron a sans doute dû jouer un rôle dans le fait d’avoir une approche modérée et nuancée vis-à-vis du privé pour l’impliquer dans des politiques de déségrégation scolaire.

Mais la critique que l’on peut faire à ces mesures, sans véritables objectifs chiffrés, c’est leur manque d’ambition. Il aurait été tout à fait possible d’établir des principes qui conduiraient à moduler les dotations publiques au prorata de l’effort consenti pour accueillir plus d’élèves d’origine populaire dans les établissements privés. Sans s’en tenir au seul critère des boursiers, puisqu’on peut craindre que cela n’aspire en fait une partie des très bons élèves d’origine populaire du public, ce qui nuirait encore plus aux équilibres sociaux scolaires.

On peut aussi imaginer impliquer le privé dans une forme de sectorisation, sur la base des profils sociaux de bassins à définir en utilisant l’IPS [indice de position sociale] ou les catégories de la direction statistique du ministère de l’éducation nationale. Nous disposons aujourd’hui des outils pour le faire mais là encore, le privé ne veut pas en entendre parler.

Dans le public, je ne crois pas non plus qu’une simple politique de revalorisation de l’offre scolaire dans les établissements les plus défavorisés et les plus stigmatisés suffise à les rendre plus attractifs aux yeux des classes moyennes et supérieures. Il est certes fondamental d’y trouver les mêmes  filières attractives que dans les établissements plus favorisés, mais ce n’est pas en mettant du chinois LV1 et des sections européennes dans des collèges publics stigmatisés que vous allez faire revenir les classes moyennes supérieures ! Cela ne peut fonctionner que si simultanément vous agissez sur le profil du collège et que vous êtes en mesure de réduire les écarts avec les autres établissements de proximité. Or, ces vingt dernières années on a fait l’un ou l’autre, rarement les deux en même temps et de façon coordonnée.

Avez-vous le sentiment, en écoutant ces annonces, d’un temps perdu sur la ségrégation scolaire ?

La tentative du ministre Savary de créer un grand service unifié de l’éducation au début des années 1980 a eu pour conséquence de mettre dans la rue des milliers de personnes. Aller sur ce terrain est tellement risqué que peu de gouvernements ont eu le courage de s’y attaquer. Cela s’est de nouveau vérifié, avec Pap Ndiaye, dans cette volonté de dissocier les volets public et privé, et de ne pas être très contraignant. C’est clairement un recul par rapport à ce qui semblait se dessiner dans les premières déclarations du ministre.

Honnêtement, je ne vois pas dans quel contexte politique et social un gouvernement sera en mesure de s’attaquer profondément à cette question, qui implique une remise en cause profonde du fonctionnement actuel de l’enseignement privé.

Cette situation est incompréhensible pour nombre de mes collègues à l’étranger, qui ne comprennent pas pourquoi nous nous arrachons les cheveux pour réduire la ségrégation scolaire tout en continuant à financer à plus de 70 % un secteur privé qui n’est soumis à aucune contrainte.

Est-ce que cette hésitation politique sur la mixité sociale affaiblit les autres politiques publiques éducatives menées ?

Je n’irais pas jusque-là. Que se serait-il passé dans certains contextes si la politique d’éducation prioritaire n’avait pas été mise en place ? C’est la même chose pour la politique de la ville. Ce n’est certes pas suffisant, mais on n’ose imaginer ce que serait la situation sans ces politiques. La politique de l’éducation prioritaire ne cherche pas à agir sur la ségrégation scolaire. Elle prend acte du fait qu’il y a des quartiers dans lesquels sont concentrées des populations en plus grande difficulté, pour lesquelles il est nécessaire de mettre en place des dispositifs spécifiques,  mais elle ne cherche pas à engager une politique ambitieuse de déségrégation.


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