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Fermez les Centres de Rétention !

La secrétaire générale de La Cimade dénonce : les enfermements arbitraires, les violences et les mises à l’isolement répétées, un climat de stigmatisation grandissante, les expulsions illégales

Solidarite avec Mimmo Lucano

Source : La Depêche - Pierre Challier - 19/2/2018

Au-dessus de la cour, le ciel est grillagé. Écran de nuages gris sur lequel s'envole un Airbus peint de frais… Les avions portent des promesses d'ailleurs, à Orly, le dimanche. Mais au nord-ouest des pistes de Toulouse-Blagnac, leurs livrées d'Afrique, d'Amérique ou d'Asie ne font rêver ni la semaine ni le week-end. Derrière le carré barbelé, le CRA sur la façade veut dire Centre de rétention administrative. Et à Cornebarrieu, «avion» y rime avec «expulsion».

Samedi d'hiver, Mathilde Panot sonne à l'entrée. «Députée de la République», elle se présente, souhaite visiter. Accueil immédiat et courtois. La France insoumise aujourd'hui, la République en marche, hier : elle est la deuxième parlementaire en deux jours. Portes et portiques, accès sécurisés… Dans le poste central, les policiers de garde veillent trois grands écrans. Neuf cases sur chaque, présumant 27 caméras dans les blocs : d'emblée le décor carcéral est posé. Plus loin dans un bureau, Emmanuelle Joubert, directrice départementale de la police aux frontières (PAF) en Haute-Garonne, assure la permanence et commence son exposé.

Nom, pays ou… point d'interrogation

«Toulouse-Blagnac est le cinquième aéroport de France. Nos groupes d'enquête luttent contre l'immigration irrégulière, les filières et nous contrôlons les vols intérieurs à l'espace Schengen depuis le rétablissement des frontières intérieures, suite aux attentats. Au-delà, le périmètre régional de la PAF reste Midi-Pyrénées», explique-t-elle, «mais les centres de rétention ont une compétence nationale et pas territoriale : ils sont à la disposition de l'ensemble des départements de France», précise-t-elle.

Ici ? On trouve alors tous les services pour «gérer» les personnes en situation irrégulière. De la surveillance de la rétention à l'expulsion en passant par le support du greffe et l'unité d'identification des personnes pour établir leur nationalité. En face de chaque photo un nom, un prénom, un pays. Avéré, présumé ou en… point d'interrogation.

Le plan sur le mur présente les blocs. Trois zones «hommes» de 30 personnes, une zone «femmes», une zone «famille» pour un total de 120 places théoriques… Les zones de déambulation ouvrent sur un dédale impersonnel et aseptisé d'angles droits à parois lisses et verdure réglementaire sous la coursive. Propreté sans aspérité des couloirs et des portes mécanisant le parcours judiciaire des interpellés… Sur un panneau, des formulaires disent en français, en anglais, en espagnol, en chinois, en arabe ou en wolof que la liste des avocats est disponible à la Cimade. Puis derrière les judas, les murs des cellules font, eux, le récit de l'humain enfermé. Quartier des femmes, une «Mariela Paraguay» a griffé dans le plâtre son calendrier. Les jours s'égrènent jusqu'au 2 novembre et s'achèvent sur un avion comme le dessinent les enfants. Plus loin, Diana a écrit sous un cœur «Dieu est mon juge» et «Marco mon Amour». La main détourée est ornée d'une bague de fiançailles. Un autre calendrier de novembre est signé «Greta Albania». Une cellule s'ouvre sur trois dames africaines. L'une s'avance péniblement, visage défait par la douleur. Elle souffre du ventre et ça ne passe pas. La directrice et le surveillant l'écoutent. Ce sera l'hôpital. Plus loin, un cri strident. Mais de joie. «Je sors !»

Ces «retenus» ? Ils sont surtout une majorité d'hommes jeunes et «près de 80, au total», selon l'administration. Depuis octobre, il y a eu «une nette augmentation», reconnaît la PAF. «La machine a rétention s'est emballée» constate pour sa part le Cercle des voisins du CRA de Cornebarrieu qui a reçu la députée avant sa visite.

Constitué il y a 10 ans, ce collectif s'est fixé pour mission d'assister les personnes placées en rétention «pour veiller au respect de leurs droits et de leur dignité». Aujourd'hui ? Il dénonce une «politique de persécution des étrangers en situation irrégulière» accentuée depuis l'assassinat de deux jeunes femmes à Marseille, le 1er octobre dernier. Ahmed Hachani aurait dû être en CRA au moment des faits, a mis en avant le ministre de l'Intérieur Gérard Collomb avant de limoger pour l'exemple le préfet Henri-Michel Comet. D'où «zèle» depuis. Les interpellations «par ruse déloyale se multiplient», dénoncent les associatifs, pointant les contrôles ciblés dans les lieux d'asile et structures caritatives. Entre les murs du CRA se croisent donc des portraits très contrastés. Des délinquants condamnés, en attente d'expulsion leur peine purgée. Mais aussi des étrangers installés depuis longtemps en France, des touristes en transit ou des… «Joseph», ce lycéen Gabonais au bulletin scolaire impeccable (cf. nos précédentes éditions). Graffitis d'espoir et de rage dans les cellules, remugles lourds rappelant le manque de vêtements et la difficulté à se procurer des produits d'hygiène une fois enfermé…

80 % de libérations

Les plus chanceux ont un portable et tentent de débrouiller leur avenir. Les autres ruminent la menace en marchant. Devant la télé enfermée dans une armoire métallique vitrée se mure un Tunisien. Cours et salles «détente» sont vides, personne non plus autour du baby-foot blindé.

À l'infirmerie, trois diazepam sont prêts dans le pilulier de B. et deux Valium pour N. La prescription d'anxiolytiques et d'antidépresseurs n'est «pas énorme» assure l'infirmière à la députée. Le Cercle des voisins en doute : «Certains comparaissent comme anesthésiés devant le juge», disent ceux qui suivent les audiences. Le stress permanent fait aussi des ravages, souligne Pablo Martin, intervenant pour la Cimade qui assiste les personnes en rétention.

«45 jours, c'est très dur alors quatre mois, comme l'évoque le projet de loi ? Ce n'est pas envisageable…», évalue-t-il. Même des policiers secouent la tête, «off». On en est déjà à 550 placements d'octobre à début février avec 20 % de reconduites donc 80 % de libérations dont la moitié décidée par les juges, souvent en deuxième instance, parce que juridiquement ça ne tient pas ou qu'il n'y a tout simplement pas de pays de retour.

Ce samedi après-midi, au Palais de justice de Toulouse ? En 45 minutes, sept personnes passent en première instance. Audience machinale où basculent les destins individuels. Un seul cas ne retournera pas au CRA… une gosse paumée. Française, née à Abidjan…

Pierre Challier


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