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Source : Le Nouveau Magazine Litéraire - Catherine Wihtol de Wenden - 28/2/2018

Les inégalités de la planète se vérifient devant le droit à la mobilité, explique Catherine Wihtol de Wenden, qui participera à la convention nationale sur l’accueil et les migrations les 1er et 2 mars 2018, à Grande-Synthe. Les frontières s’ouvrent pour les citoyens des pays du Nord mais restent dramatiquement fermées pour ceux du Sud.

Catherine Wihtol de Wenden
Directrice de recherche émérite au CNRS (CNRS, CERI, Sciences Po). Auteur de « Faut-il ouvrir les frontières ? » (3e édition, Presses de Sciences Po, 2017)

Le droit de migrer est à l’agenda des droits de l’homme pour le XXe siècle. Il est revendiqué par les associations de défense des sans-papiers, de nombreuses ONG, les églises et les grandes entreprises, et s’appuie sur les travaux de philosophes et des textes juridiques. Mais il reste un droit à conquérir : se heurtant à la souveraineté des États, il est très inégalement réparti à travers le monde. Il révèle en outre plusieurs paradoxes.

La mobilité est considérée comme un facteur de la modernité et du développement humain, mais les deux tiers de la population mondiale ne peuvent circuler librement. De plus, si le droit d’émigrer (droit de sortie) est presque partout généralisé dans le monde depuis les années 1990 – c’est-à-dire après la chute du rideau de fer, l’ouverture des frontières de la Chine et la délivrance de passeports par les pays du Sud –, le droit d’immigrer (droit d’entrée) est soumis au pouvoir des États d’accueil. Enfin, alors que le libéralisme économique suppose que tout circule sans entrave – notamment l’information qui motive souvent la décision de partir – les hommes et les femmes sont soumis au régime du contrôle des frontières pour entrer.

Une inversion du droit d’entrée et de sortie depuis un siècle

Jusqu’au début du XXe siècle, il est plus facile d’entrer dans un pays que de sortir du sien : la population représente une ressource agricole, fiscale, militaire et les régimes autoritaires ferment leurs frontières de l’intérieur. Seules les élites et les indésirables (minorités discriminées, agitateurs politiques anarchistes ou révolutionnaires) peuvent alors sortir. À l’inverse, les pays d’accueil voulant développer une immigration de peuplement (États-Unis, Canada, Australie, Brésil, Argentine, Chili) ou à la recherche de main-d’œuvre (comme la France) ouvrent leurs portes aux migrations de travail et d’installation, moyennant parfois des critères sanitaires, mais aussi de docilité politique, de moralité et de scolarisation de base. Jusqu’en 1994, des États veillent aux migrations internes, comme la CEI (Communauté des États indépendants, qui fait suite à l’URSS). Encore aujourd’hui, la Chine – où le passeport interne (hukou) permet le contrôle des mouvements de population rurale vers les villes – fait de quelque cent millions de Chinois ayant quitté leur région d’origine sans autorisation des sans-papiers dans leur propre pays, privés de tous droits, ceux-ci étant liés au lieu de naissance.

De nos jours, la liberté de circulation est très inégalement répartie car soumise à la détention de visas et de passeport. La nationalité peut constituer, selon les États et sur la scène internationale, un risque migratoire plus ou moins grand. Ainsi, un citoyen européen ou états-unien peut circuler librement dans plus de 170 pays sans visa pour une durée de trois mois, tandis qu’un Soudanais, un Afghan, un Érythréen ou un Somalien, qui représente un « risque migratoire » aux yeux de nombreux pays du Nord, voit ses possibilités de migrer sans visa se réduire dramatiquement. Le recours aux passeurs est alors la seule issue.

On peut ainsi établir une typologie du droit à la mobilité selon la direction empruntée par la migration et selon le passeport. Pour un migrant du Nord vers le nord, peu de visas sont exigés pour trois mois ; le migrant bénéficie des droits de sortie et d’entrée, conservant sensiblement les mêmes droits au départ et à l’arrivée. Pour celui du Nord vers le sud, également peu de visas sont exigés ; il y a conservation des droits sauf pour ceux liés à la nationalité, souvent soumise au droit du sang. Pour le migrant du Sud vers le nord, les visas, difficiles à obtenir, sont la règle, mais si l’entrée et le séjour se sont effectués légalement, le migrant peut avoir accès aux droits des citoyens, à l’exception des droits politiques nationaux, et acquérir la nationalité du pays d’accueil. Enfin, pour le migrant du Sud vers le sud, l’entrée est souvent possible, assortie de peu de visas mais de peu de droits : le droit d’asile, les droits sociaux, le regroupement familial et l’accès à la nationalité sont souvent inexistants. Ainsi est-on passé de frontières fermées de l’intérieur il y a un siècle à des frontières fermées à l’extérieur aujourd’hui, et la question du droit d’avoir des droits se pose pour les sans-papiers.

Les effets pervers de l’inégalité du droit à la mobilité

Les effets pervers des inégalités statutaires liées aux passeports et à la nécessité ou non de visas sont légion : si les riches des pays pauvres peuvent souvent migrer légalement et puisque les plus pauvres sont peu mobiles, sauf comme migrants forcés (conflits et catastrophes environnementales), ce sont les catégories intermédiaires qui sont finalement les plus touchées car elles aspirent à la mobilité pour changer de vie, réaliser leur projet, fuir un monde sans espoir.

On compte plus de 30 000 morts en Méditerranée depuis les années 2000. Les passeurs fleurissent sur la rive sud, proposant des voyages à hauts risques (3 000 morts par an) et à hauts coûts financiers. Le haut-commissariat aux droits de l’homme des Nations unies a dénoncé en novembre 2017 les conditions de la traversée de la Libye : esclavage, prélèvement d’organes, viols, prostitution, enfermements et emprisonnements. La situation au Mexique, autre grand pays de transit, est comparable : les Centre-Américains sont capturés et rançonnés par les cartels qui n’hésitent pas à les abattre. Enfin, les sans-papiers, dont la plupart sont entrés légalement mais ont prolongé illégalement leur séjour (touristes, étudiants, déboutés du droit d’asile), grossissent les rangs des sans-droits dans l’attente d’une hypothétique régularisation et se sédentarisent dans l’illégalité en travaillant informellement.

La leçon est claire : plus les frontières sont ouvertes, plus les migrants font des allers-retours et s’installent dans la mobilité comme mode de vie ; plus elles sont fermées, plus on assiste à la sédentarisation aléatoire de ceux qui attendent un titre de séjour.

Au nord comme au sud, la mobilité fait partie des aspirations de l’homme du XXe siècle et le droit de migrer est considéré comme un bien public mondial par les grandes organisations internationales, tout en étant parmi les droits les plus inégalement distribués au monde. La migration rapporte plus qu’elle ne coûte : les transferts de fonds annuels envoyés par les migrants à leur pays d’origine représentent trois fois l’aide publique au développement. Pourtant, les populations mobiles ont beaucoup moins de droits que celles qui sont sédentaires.

Vers une démocratisation du droit à la mobilité ?

Certaines frontières s’entrouvrent néanmoins. Si l’Union européenne représente, pour les Européens, le cas le plus emblématique de citoyenneté fondée sur la liberté de circuler, elle a pour revers le renforcement de la fermeture des frontières extérieures de l’Europe. Des instruments comme Frontex (devenue Agence européenne de garde-frontières et de garde-côtes en 2016) et le SIS (Système d’information de Schengen) dressant la liste des délinquants, sans-papiers et déboutés de droit d’asile non admis sur le territoire de l’Union, ont pour résultat des morts aux portes de l’Europe, des enfermements et des reconductions à la frontière. D’autres espaces de libre circulation ont aussi été ouverts ailleurs : en Afrique, en Asie, entre l’Australie et la Nouvelle-Zélande et en Amérique du Sud.

Enfin, il est difficile de parler de citoyenneté sans parler des droits politiques. La citoyenneté européenne est ainsi essentiellement définie par le droit à la mobilité pour les citoyens européens depuis le Traité de Maastricht de 1992 (article 8) : une liberté de circulation, d’installation et de travail, assortie du droit de vote et d’éligibilité à l’échelon local et au Parlement européen. Quinze pays de l’Union européenne sur vingt-huit ont aussi accordé le droit de vote local aux résidents non européens, selon des modalités diverses. L’accès à la libre circulation à l’intérieur de l’Europe pour les Européens s’est effectué souvent par étapes selon le « risque migratoire » que constituaient les nouveaux entrants aux yeux des plus anciens.

Ainsi, les Grecs (entrés en 1981), les Espagnols et les Portugais (entrés en 1986) n’ont pu bénéficier de la pleine mobilité qu’en 1992, avec droit à l’installation et au travail. Les Suédois, Finlandais et Autrichiens ont en revanche acquis la pleine citoyenneté dès leur entrée dans l’Union, en 1995. Quant aux nouveaux entrants de 2004, les pays dits de Visegrád (Pologne, République tchèque, Slovaquie, Hongrie) ont acquis la liberté de circulation dès 1991, après l’ouverture du rideau de fer, mais leurs ressortissants n’ont pu travailler et s’installer librement qu’en fonction de l’accord des pays d’Europe de l’Ouest, selon un système d’attente de sept ans maximum. En revanche, Malte et Chypre ont acquis l’ensemble des droits à la mobilité dès leur entrée en 2004, compte tenu de la petite taille de ces nouveaux pays de l’Union. Le même temps de latence a été requis pour la Bulgarie et la Roumanie : droit de sortie dès 2001, entrée dans l’Union en 2007, liberté d’accès au travail et à l’installation en 2014.

Au sein de l’Europe, le passeport européen instauré en 1985 et le système de visas qui a suivi les accords de Schengen (1985) ont introduit nombre de disparités du fait de la possibilité de différer la mise en œuvre de telle ou telle disposition ou de ne pas l’appliquer. Les obligations de visas ont pu varier selon les pays européens, en fonction d’accords de réciprocité de libre circulation entre certains pays européens et d’autres régions du monde (Espagne et Portugal avec certains pays d’Amérique latine, par exemple) ou de régimes spéciaux liés au fait que l’espace Schengen ne coïncide pas avec les pays de l’Union. Certains pays ont adhéré à Schengen sans faire partie de l’Union européenne comme la Suisse, la Norvège et l’Islande ; d’autres pays de l’Union comme le Royaume-Uni avant le Brexit et l’Irlande ne sont pas dans Schengen.

Les changements survenus dans la configuration des migrations et les obstacles opposés à la mobilité des personnes ont fait émerger le besoin d’envisager un droit universel à la mobilité qui prendrait en compte de la nécessité d’une gouvernance des migrations dont l’État d’accueil ne serait plus l’acteur unique.

 


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