Les personnes sans papiers en centres de rétention administrative (CRA) sont face à un choix difficile : en se faisant tester, elles sauront si elles sont porteuses du Covid-19 et peuvent donc être isolées, pour protéger les autres retenus. Mais un résultat négatif peut aussi signer leur embarquement et leur renvoi vers leur pays d’origine dans les soixante-douze heures, délai maximal exigé par la plupart des compagnies aériennes pour laisser un passager monter à bord après un test négatif.

«Des personnes retenues refusent de se faire tester car elles commencent à comprendre qu’un test négatif peut permettre à l’administration de les expulser», indique David Rohi, responsable rétention de la Cimade, association qui soutient les étrangers en situation irrégulière. Il rapporte qu’au Mesnil-Amelot (Seine-et-Marne), près d’un quart de la soixantaine de retenus ont rejeté le dépistage lors du dernier test du 31 août. Malgré cette incertitude quant à l’état de santé d’une partie de ses retenus, le centre a repris son activité, les frontières rouvrant peu à peu. La capacité d’accueil reste cependant réduite de moitié, suivant le protocole sanitaire national.

Peur de l’expulsion

Boniface, 20 ans, est arrivé au CRA de Rennes début août et s’est vu proposer un test à la fin du mois. Refus net : «Je ne veux pas rentrer au Cameroun, je l’ai fui à 13 ans parce que ma famille m’a rejeté pour homosexualité», raconte-t-il. Il estime que «la majorité des 19 hommes» ont refusé le test. Selon la Cimade, ils sont «au moins quatre».

Au CRA de Rouen-Oissel (Seine-Maritime), un retenu a été diagnostiqué positif au Covid le 1er septembre, isolé puis transféré à Vincennes (Val-de-Marne). Karim est arrivé ce même jour à Rouen et s’est opposé au test, comme une vingtaine de retenus selon ses propres comptes, que n’a pas voulu confirmer la préfecture. «Si la préfecture apprend que je suis négatif, elle me prendra un vol pour le Maroc», redoutait-il. Mais il y a quelques jours, revirement : les retenus ont accepté le dépistage, après que l’un d’entre eux a été envoyé en prison pour refus de test, entre autres griefs. De son côté, le ministère de l’Intérieur indique qu’aujourd’hui, les refus de tests PCR sont «rares».

Obstruction à la justice

Boniface et Karim sont a priori dans leur droit, car en France, il est interdit d’obliger une personne à se faire enfoncer un écouvillon dans les narines. «Par principe, l’inviolabilité du corps doit permettre de refuser toute intrusion non décidée par un juge, reformule Patrick Berdugo, avocat et représentant de l’Adde (Avocats pour la défense des droits des étrangers). Mais il y a des conséquences.»

 

Car bouder le diagnostic Covid permettant l’expulsion peut être interprété comme une obstruction à la justice. Ces derniers jours, plusieurs retenus dans ce cas ont été envoyés devant le tribunal correctionnel, «et au moins deux ont été libérés», rapporte David Rohi. Mais début septembre, un Tunisien retenu à Rennes a été condamné à deux mois de prison pour avoir empêché son éloignement en refusant de faire le test.

Grève de la faim

Au CRA de Rouen-Oissel, les retenus qui s’avèrent non porteurs du coronavirus ne seront de toute manière pas expulsés avant le 16 septembre, date de la fin de la quatorzaine du centre. Alors pourquoi boycotter le test ? «Si l’ensemble des policiers et des retenus sont testés négatifs, la quatorzaine prend fin», éclaire Chantal Touret, membre du réseau des visiteurs et de l’observatoire citoyen du CRA.

Les retenus contactés expliquent également s’opposer au test pour faire entendre leur voix et dénoncer leurs conditions de vie : «On est deux à six personnes par chambre», décrit Karim. Matar, du Tchad, se plaint de la promenade en plein air écourtée à une trentaine de minutes quotidiennes, «pire que la prison». Un Albanais, qui a des problèmes de foie «depuis deux ans», pointe, lui, «l’absence de soins». Une quinzaine d’entre eux auraient porté le mécontentement jusqu’à entamer une grève de la faim.

Rétention abusive

«Des personnes continuent à être enfermées alors qu’il n’y a quasiment pas d’expulsions possibles. Et comme c’est très difficile de maintenir une distanciation sociale, c’est prendre le risque d’exposer les retenus et les fonctionnaires à la maladie», s’exaspère David Rohi. Le 27 mars, le Conseil d’Etat avait maintenu l’ouverture des centres, après avoir estimé que des possibilités d’éloignement demeuraient et que les conditions de rétention étaient compatibles avec les prescriptions sanitaires. Entre le 1er avril et le mois de juin, la moitié des CRA métropolitains avaient toutefois suspendu leur activité de rétention.

Début août, des policiers du centre du Mesnil-Amelot avaient contaminé deux retenus, envoyés alors au CRA de Vincennes, dans un bâtiment à part. Le transfert avait soulevé une vague de mécontentement, déclenchant plusieurs grèves de la faim. Que l’on soit malade ou pas, le virus a répandu sa fièvre.