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Solidarite avec Mimmo Lucano

Source : Médiapart - Frédérique Pressmann - 05/01/2021

Ce 31 décembre, pour la deuxième année consécutive, j’ai célébré le réveillon dans les rues du nord-est parisien avec les bénévoles de Solidarité Migrants Wilson. L'occasion de mesurer très concrètement combien les conditions de (sur)vie des exilé.e.s s'étaient encore dégradées.

Ce 31 décembre, pour la deuxième année consécutive, j’ai célébré le réveillon avec les bénévoles de Solidarité Migrants Wilson1. Offrir un repas aux exilé.e.s qui ont atterri dans le nord de Paris et sa proche banlieue m’a paru, de nouveau, la meilleure manière d’accueillir l’année qui vient, de l’inviter à être plus humaine.

Mais quel changement depuis l’an dernier ! Avec le recul, la célébration de l’an passé au jardin Anaïs Nin, porte d’Aubervilliers, apparaît comme une grande fête, et pas seulement à cause du Covid passé par là entre-temps : tables dressées, abondance de mets, exilé.e.s et bénévoles nombreux.ses et heureux.ses de partager ce moment…

Nous avions écrit des vœux pour un monde meilleur et dansé jusqu’à ce que la sono rende l’âme, beaucoup parlé aussi. Certain.e.s s’étaient attardé.e.s longtemps, avant de rejoindre leurs tentes regroupées dans les rues adjacentes. J’avais eu le cœur serré en les imaginant se glisser dans leur duvet glacé, moi qui n’allais pas tarder à retrouver ma maison douillette. Mais tout le monde semblait plutôt réjoui de sa soirée.

Un an plus tard, il n’y a plus de tentes à la porte d’Aubervilliers. Après avoir démantelé le dernier camp, à Saint-Denis, dans des conditions particulièrement violentes, la police pourchasse les exilé.e.s dans les rues, confisque les tentes et les duvets, leur interdit de se poser. Pour parvenir à dormir quelques heures, les gens se terrent dans des recoins, les moins visibles possibles.

Du coup, les maraudes de SMW se sont adaptées et ont lieu désormais à vélo pour tenter d’atteindre ce public invisible.

Je retrouve l’ensemble des cyclistes bénévoles au Théâtre de la Belle Étoile, à Saint-Denis. C’est là que d’autres volontaires ont passé une partie de l’après-midi à cuisiner le repas végétarien qui sera distribué ce soir. Je suis impressionnée par l’efficacité de cette organisation, entièrement horizontale. Des groupes de quatre ou cinq personnes se constituent ; chaque brigade traînera une carriole chargée de repas chaud et de thermos de thé bouillant. Dans les sacoches, il y a aussi des petits gâteaux, des produits d’hygiène, du gel hydro-alcoolique, et quelques exemplaires de Watizat, le Guide d’information pour les personnes exilées2, en français, anglais, arabe, pachto et dari.

Avec Fanny, une habituée de ces tournées à vélo, et Martin et Joshua, deux jeunes novices venus de Fontainebleau pour l’occasion, nous partons sur les bords du Canal à la recherche des exilé.e.s.

Devant le centre commercial Le Millénaire, plus aucune tente.

L’œil exercé de Fanny repère un homme qui dort, recroquevillé sous une passerelle, là où je n’avais vu qu’une couverture vide. Il refuse le verre de thé mais accepte volontiers notre repas.

Comme lui, presque tous ceux que nous allons croiser ce soir-là sont seuls. Sans tente et seuls. Au mieux, par groupe de deux ou trois. Ce sont des ombres furtives, généralement inquiètes d’être abordées.

Sur ce tronçon du Canal, il n’y a presque plus personne, un peu plus de monde dans les contre-allées végétalisées qui longent le périphérique du côté de la porte d’Aubervilliers. C’est au niveau de Cap 18, sur le pont qui surplombe la gare de Rosa-Parks, que nous aurons le plus de succès.

Les Restos du Cœur sont visiblement passés peu de temps auparavant, mais il y a encore des gens qui ont faim et qui s’approchent peu à peu. Là encore, ils et elles sont presque toujours seul.e.s.

Ce qui me frappe aussi ce soir-là, par rapport à l’an dernier, c’est la quantité de personnes parlant un français excellent, avec ou sans accent. Ont-elles basculé récemment, à la faveur de la crise du Covid ?

Il y a cette femme, hébergée chez des amis parce que sa petite retraite ne lui permet plus de se payer un logement mais qui a conservé sa mutuelle, parce que « la santé, faut pas rigoler avec ça ». Deux hommes, la cinquantaine, compagnons d’infortune, dont l’un tire derrière lui une petite valise proprette. Et puis cette petite fille, 8 ans peut-être, accompagnée de deux femmes plus âgées dont elle se fait la traductrice. Quand je lui demande si elles dorment à la rue, elle me répond avec un grand sourire : « Non ! À l’hôtel, avec le 115 ! »

Un peu plus loin, sur une bouche de métro, une vision d’apocalypse. Trois exilés en provenance probable d’Afrique de l’Est noient dans l’alcool leurs rêves d’une vie meilleure. Entourés d’une mer de détritus plus ou moins comestibles, dégageant une forte odeur de pisse, ils accueillent avec une gentillesse désabusée notre proposition de repas.

Au fil de la soirée, nous croisons aussi d’autres bénévoles, plus ou moins habitués des lieux. Un homme seul, les bras chargés de sacs plastique, recherche, l’air un peu égaré, « le camp de migrants ». Une association du 95, venue en force – une trentaine de membres au moins – distribue joyeusement des paquets-cadeaux contenant produits d’hygiène et autres attentions délicates. Plus loin, un groupe dépose quelques tentes et sacs de couchages neufs devant le cinéma UGC, tels une offrande discrète.

Jamais je n’aurai cru, lors du réveillon de l’an passé, que les conditions de cette célébration pourraient me paraître enviables un an plus tard.

Et pourtant, la réalité est là : sur ce plan, comme sur celui des libertés en général, nous avons beaucoup reculé en un an.

De dramatique, la situation des exilé.e.s est devenue franchement catastrophique.

Notre société s’enfonce doucement dans la barbarie, malgré ces nombreuses et précieuses résistances individuelles.

Où en serons-nous dans un an, faute d’un sursaut collectif puissant ?

Regretterai-je en 2022 le réveillon de 2021 ?

Alors que nous enfourchons nos vélos pour prendre le chemin du retour, les trois derniers exilés que nous avons croisés, installés à même le trottoir, nous remercient encore une fois pour ce que nous leur avons apporté. « Et au fait, bonne année ! », lance l’un d’eux en souriant.

Je n’avais pas osé.

 

 


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