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Fermez les Centres de Rétention !

La secrétaire générale de La Cimade dénonce : les enfermements arbitraires, les violences et les mises à l’isolement répétées, un climat de stigmatisation grandissante, les expulsions illégales

Solidarite avec Mimmo Lucano

Source : Libération - Mathilde Frénois - 03/02/2021

Arrivé en France voilà dix ans, le Sénégalo-Ivoirien s’est vu ordonner de quitter le territoire français bien qu’il soit déclaré dans les restaurants de Nice dans lesquels il travaille. Son avocate a saisi la justice.

Moussa a posé son téléphone sur le bureau de l’avocate. Quand il ne parle pas, il tend le bras discrètement pour déverrouiller l’écran : il garde un œil sur l’heure. Il ne faudrait pas rentrer après le couvre-feu et risquer un contrôle. Car depuis son interpellation, le 27 janvier dans les cuisines du Poppies, le restaurant niçois dont le patron a décidé d’ouvrir illégalement en signe de «désobéissance civile», Moussa vit dans l’angoisse. Sa vie rangée de cuisinier a laissé place à un quotidien chamboulé : sans-papiers, il se retrouve sous le coup d’une obligation de quitter le territoire sans délai. Un simple contrôle et il risque le placement en centre de rétention. «Je ne connais pas la police. Au restaurant, c’était mon premier contrôle, affirme-t-il. Depuis je n’arrive pas à dormir, je n’arrive pas à penser à beaucoup de choses. Ma vie a basculé en une journée.»

Le parcours de Moussa ressemble à tant d’autres. Un départ de Côte-d’Ivoire à l’aube de ses 20 ans, une arrivée à Paris en 2011, en quête d’une vie meilleure et des jobs dans les arrière-cuisines. L’homme vêtu d’une chemise à carreaux sous sa veste de cuir ne s’étend pas davantage sur son passé. Tout juste apprend-on qu’il a emprunté le chemin de l’immigration illégale en 2011 et qu’il possède la double nationalité ivoirienne et sénégalaise. C’est en 2014 que Moussa débarque à Nice et décroche d’abord un emploi dans le nettoyage de jardins. Il est finalement embauché dans un restaurant en 2016. Passent ainsi dix ans sans papier ni contrôle.

Depuis septembre, le cuisinier cumule deux CDI : au Poppies à midi et dans un autre restaurant le soir. Il est déclaré et cotise. A 34 ans, Moussa maîtrise les spécialités françaises sur le bout des doigts, surtout «la daube et les gnocchis», le plat servi au Poppies le fameux jour de l’ouverture illégale. Le jour de l’interpellation.

Victime collatérale

Il raconte, avec une semaine de recul : «Le patron m’a appelé et m’a demandé si je pouvais travailler. Je suis embauché, je ne peux pas dire non. Il ne m’a pas tout expliqué : je suis venu et je ne savais pas ce qui allait se passer. Je pensais qu’on allait faire des plats à emporter. Là j’ai vu du monde, des journalistes, la police.» Les forces de l’ordre réclament les papiers du personnel. La carte vitale de Moussa ne suffit pas : il est embarqué. Il fera l’objet d’une retenue, procédure administrative pour vérifier le droit au séjour… dont il ressortira avec une obligation de quitter le territoire (OQTF).

Moussa devient la victime collatérale de ce déjeuner aux airs de manifestation. Comment ce patron n’a-t-il pas imaginé, en organisant sa «désobéissance civile», que son restaurant serait inspecté, ses contrats de travail feuilletés, ses salariés contrôlés ? D’autant que les employeurs ont l’obligation de vérifier les titres de séjour. «Je n’ai rien à me reprocher, avance Christophe Wilson, le propriétaire du Poppies contacté par Libération. Je le soutiens, c’est une évidence.» Les deux employeurs de Moussa refusent ainsi de le licencier, s’exposant à une amende en plus d’un rappel à la loi déjà planifié pour Christophe Wilson.

«Ce sont des gens qui restent des années à travailler dans ces situations, cotisent, payent des impôts et n’ont jamais droit à rien.»—  Me Hanan Hmad, avocate de Moussa

Avant de rentrer dans le bureau de l’avocate, Me Hanan Hmad, Moussa est passé devant le mot «bienvenue» rédigé en une dizaine de langues. C’est pour lui plus qu’une touche de déco sur le mur face au comptoir de l’accueil. Désormais, c’est dans ce cabinet spécialisé dans le droit des étrangers que Moussa trouve un soutien administratif. Jusqu’à présent, toutes ses demandes de titre de séjour sont restées sans réponse, ce qui vaut refus. «Aujourd’hui, on a des accords franco-sénégalais qui prévoient que les personnes qui travaillent dans le domaine de la cuisine notamment peuvent obtenir un titre de séjour en admission exceptionnelle, expose son avocate. La circulaire Valls invite les personnes à présenter des fiches de paie pour pouvoir être régularisées. C’est le gouvernement qui donne comme message aux personnes étrangères de travailler. Mais lorsqu’on les interpelle sur leur lieu de travail, au lieu d’appliquer les circulaires, on leur donne des OQTF sans délai avec interdiction de retour sous deux ans. A Nice, les accords ne sont pas forcément appliqués.»

«On ne peut pas briser une vie»

L’avocate a introduit un recours devant le tribunal administratif, un autre auprès de la préfecture des Alpes-Maritimes. «Ils sont vraisemblablement plusieurs milliers dans ce cas dans le département. Principalement dans les secteurs de l’hôtellerie, de la restauration et de l’aide à la personne, affirme Gérard Ré, secrétaire général de la CGT des Alpes-Maritimes, à laquelle Moussa est affilié. Dans les petites cuisines, on ne les voit pas du tout. Ce sont des gens qui restent des années à travailler dans ces situations, cotisent, payent des impôts et n’ont jamais droit à rien. Des papiers ils en ont, mais pas les bons.»

Ce jour-là au cabinet d’avocat, Moussa est venu garnir son dossier d’une trentaine de pages, avec les copies de son passeport et de ses fiches de paie. Autant de preuves de sa présence en France depuis dix ans. «Il avait une vie. Du jour au lendemain, tout s’arrête, regrette Me Zia Oloumi, spécialiste du droit de la mobilité internationale et associé de Me Hanan Hmad. On ne peut pas briser une vie d’un coup. Cela crée des situations d’insécurité, d’irrégularité.» Depuis une semaine, Moussa explique n’avoir plus d’emploi, de revenu, de couverture de santé. Bientôt, il ne pourra plus payer son loyer. Ses avocats acquiescent.

L’homme jette un dernier coup d’œil sur l’heure. L’attestation imprimée, signée et tamponnée par l’avocate ne rassure pas Moussa. Il est 17 h 45 et il presse le pas sur le chemin du retour pour rentrer… avant le couvre-feu.

 

 


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