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Source : Le monde - Séverine Kodjo-Grandvaux et Coumba Kane - 01/03/2021

Pour les 20 ans de la loi Taubira, l’historienne Marie-Albane de Suremain pointe les lacunes des programmes scolaires en France comme dans certains pays africains.

Il y a tout juste vingt ans, en 2001, la loi Taubira était adoptée. Reconnaissant la traite négrière et l’esclavage comme des crimes contre l’humanité, elle stipulait également que les programmes scolaires devront leur accorder « la place conséquente qu’ils méritent ».

En deux décennies, la France est-elle parvenue à intégrer, sans manichéisme ni faux-semblants, cette douloureuse page de son histoire à son enseignement ? Comment concilier exigences scientifiques et attentes sociales dans un contexte où les demandes mémorielles se font toujours plus entendre ? Où en sont les Etats africains dans l’enseignement de cette histoire douloureuse ?

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Ce sont là quelques-unes des questions que s’est posées la vingtaine de chercheurs et enseignants réunis par Marie-Albane de Suremain et Eric Mesnard dans Enseigner les traites, les esclavages, les abolitions et leurs héritages (Karthala).

Qu’est-ce qui a changé depuis la promulgation de la loi Taubira ?

Marie-Albane de Suremain Ce fut une étape majeure. Elle est arrivée à un moment où il y avait des demandes de reconnaissance mémorielle alors qu’un travail historique était déjà engagé. Mais l’enseignement de cette histoire restait superficiel en dehors des départements et régions d’outre-mer (DROM). Entre 2002 et 2008, les programmes ont été réformés, du primaire au lycée. La question a été clairement et nettement introduite en ouverture des programmes de 4e. En seconde professionnelle a été prévu un chapitre important sur le développement de l’économie de plantation et du mercantilisme. En revanche, dans les lycées généraux et technologiques, la question de la traite et de l’esclavage n’est pas au programme. Seule l’est l’abolition de 1848. Qui plus est, c’est le dernier item du dernier chapitre de l’année. Donc il y a de forts risques qu’il ne soit pas traité.

Comment expliquer cette différence ?

Cette dissymétrie interroge, car elle suppose que l’on n’enseigne pas la même histoire en fonction du public des établissements scolaires. Pourquoi faudrait-il que l’enseignement des traites et de l’esclavage, comme une expérience humaine et sociale dramatique, soit abordé dans des classes davantage marquées par la diversité ? On peut penser que ces élèves vont plus facilement s’identifier aux victimes de la traite et de l’esclavage.

A contrario, pourquoi dans les lycées généraux où il y a moins de diversité, les élèves étudient cette histoire, non pas sous le prisme de l’expérience sociale de la domination et de l’exploitation, mais à travers une approche axée sur les enjeux économiques et la mondialisation des échanges ? On peut penser que ces élèves se sentiront plus proches des Européens et des acteurs qui ont bénéficié de la traite et de l’esclavage.

Je crains que cet enseignement différencié ne sème des germes de séparatisme et qu’elle ne fragmente la communauté républicaine. Les générations actuelles ne sont pas porteuses de ces crimes contre l’humanité. Mais elles ont la responsabilité de regarder ce passé en face, sans tabou.

Comment aborder cette histoire en dehors des approches partisanes ?

Le but de l’enseignement de l’Histoire est de créer du commun, avec les mêmes connaissances et des outils de réflexion identiques qui bâtissent une culture commune. C’est essentiel pour le vivre-ensemble. Il ne s’agit pas du tout d’avoir une approche de repentance ou victimaire mais scientifique, critique, du passé pour qu’elle soit émancipatrice et libératrice. La spécificité de l’Histoire, c’est d’articuler différentes mémoires en un discours commun, qui peut être partagé et qui prend en compte la pluralité des points de vue. Elle crée une unité au cœur d’une communauté nationale et apaise les tensions en procédant de la sorte.

Enseigner l’histoire de la traite et de l’esclavage permet de faire comprendre aux élèves comment ce qui est considéré aujourd’hui comme un crime contre l’humanité qui nous paraît odieux a pu être possible, en revenant sur les ressorts d’une domination exercée par une minorité. Mais aussi en montrant que, dans une situation de domination, même lorsqu’elle est extrême, les catégories dominées ne sont pas passives et résistent. C’est ce qui permet de sortir de l’approche victimaire, en expliquant par exemple que l’abolition de l’esclavage a été rendue possible par les esclaves et non pas uniquement par les abolitionnistes. Même s’il y a eu des progrès, il y a encore beaucoup de travail de ce point de vue-là.

Cet enseignement permet-il également de mieux comprendre nos sociétés contemporaines ?

Oui, on ne peut pas comprendre l’histoire moderne et nos sociétés contemporaines – pourquoi la France a des DROM, pourquoi il y a du racisme, des discriminations et des inégalités… – sans connaître l’histoire de la traite et de l’esclavage. Ces phénomènes ont des racines dans cette histoire qui est connue des spécialistes mais qui reste en marge du grand récit national. Tant que ce sera le cas, on va entretenir des préjugés liés à la couleur de la peau.

Mais vous observez depuis 2015 un recul de cet enseignement

En effet, les programmes ont été modifiés en 2015. Il y a eu des avancées au collège, mais la déception est forte pour le lycée et le primaire. Au premier degré, dans le chapitre « Le temps des rois », on doit aborder la formation du premier empire colonial français dont le peuplement repose notamment sur le « déplacement » d’Africains réduits en esclavage. Quel euphémisme ! Dans le passage du programme qui liste les violences caractérisant la période du XIe au XVIIIe siècle, on cite les croisades, les guerres de religion, le régicide mais pas un mot sur la traite et l’esclavage.

Quant au lycée, depuis 2019, les secondes générales et technologiques ne découvrent la question de la traite et de l’esclavage que d’un point de vue économique. Et l’esclavage est réduit au développement de l’économie sucrière dans les îles portugaises et au Brésil. Comme si c’était un phénomène extérieur à l’histoire de la France. Ce qu’il manque dans ce programme, c’est une possibilité de traiter des Caraïbes ou des Antilles aux XVIIe et XVIIIe siècles.

Dans votre ouvrage, des professeurs évoquent leur difficulté à enseigner cette histoire du fait de la violence symbolique qu’elle porte en elle. Certains élèves disent y trouver un écho à leur expérience de la discrimination et du racisme et réagissent avec émotion

C’est une question sensible. Cette émotion n’est pas feinte et doit être prise au sérieux. Le rôle de l’enseignant d’histoire n’est pas de rester au stade de l’émotion, mais de travailler avec celle-ci pour la dépasser et construire des savoirs qui vont être émancipateurs pour les élèves. Dès qu’on entre dans une démarche historique fondée en sciences et qui aide les élèves à mettre à distance les situations, on parvient à une approche sereine et apaisante.

La question des images, souvent violentes, à montrer en classe pour illustrer ces cours fait-elle débat chez les enseignants ?

C’est une question que se posent surtout les enseignants du primaire face aux représentations des supplices corporels qui peuvent choquer, traumatiser les élèves. Au collège et au lycée, il faut prendre le temps d’expliquer ces images. Il ne faut pas détourner les yeux, car l’esclavage ne fut pas seulement une histoire de trafic économique et de chiffres. L’esclavage fut aussi une expérience individuelle et incarnée de la violence. On peut aborder de manière pudique la question de la violence, sans tomber dans la fascination morbide, en étudiant des récits autobiographiques écrits par d’anciens esclaves, comme celui d’Olaudah Equiano [Ma véridique histoire, 1789].

Votre ouvrage aborde également l’enseignement de la traite et de l’esclavage dans certains Etats africains comme le Niger et le Sénégal. Comment cette histoire est-elle transmise aux élèves dans ces pays ?

Dans plusieurs Etats africains, le sujet occupe une place centrale des programmes scolaires, mais elle est souvent mal abordée. On retrouve le marronnier du commerce triangulaire, un prisme facile, qui place la focale sur l’Europe, les côtes africaines et les Amériques.

Ce tropisme littoral, résumé aux forts construits par les Européens, occulte les dynamiques internes de la traite, notamment les razzias loin des côtes. Nous sommes là face à une question très sensible qui renvoie à la responsabilité des élites africaines – souverains, marchands et autres intermédiaires – dans ce commerce. Des chercheurs africains travaillent sur la question, mais cette histoire reste à écrire, puis à inclure dans les programmes scolaires pour avoir une vision complète de la traite.

Transmettre de façon complète, et non partielle, l’histoire de la traite et de l’esclavage aux élèves est aussi un enjeu en termes de représentations

Oui, certains historiens en parlent très bien. Ainsi Ibrahima Thioub, ancien recteur de l’université Cheikh-Anta-Diop de Dakar, rappelle que les Africains n’ont pas attendu passivement sur les plages que des Européens viennent les acheter pour les réduire en esclavage. Les personnes réduites en esclavage ont développé des stratégies de résistance, de défense et de solidarité, à bas bruit. C’est une façon de montrer que les Africains ne sont pas uniquement des objets de l’histoire, mais des acteurs à part entière. Rendre aux Africains leur agentivité dans l’enseignement de la traite et de l’esclavage permet de cesser d’en faire des victimes passives. Ce qui ne réduit ni le rôle essentiel des Européens dans la traite, ni les rapports de domination.

Les lacunes de l’enseignement de la traite et de l’esclavage peuvent-elles contribuer à fragmenter les sociétés africaines concernées par cette histoire ?

On constate que des tensions existent dans certains Etats entre les groupes sociaux littoraux qui ont davantage profité de la traite, et ceux de l’intérieur des terres qui ont pu être victimes des razzias. Au Sénégal, ce contraste se joue actuellement dans les programmes scolaires, dans la manière d’identifier les lieux de l’esclavage. La visite de Gorée, site emblématique et lieu de mémoire de la traite, fait partie des prescriptions du programme. Mais d’autres lieux à l’intérieur du pays où se tenaient des marchés d’esclaves sont occultés. L’historien Ibrahima Seck et d’autres déconstruisent le monopole de Gorée. Il propose que les élèves recherchent les vestiges de l’esclavage dans leur environnement proche, car ces traces persistent. La traite, c’est en quelque sorte un filet qui s’est abattu sur le continent. Se cantonner aux lieux du littoral ne permet pas d’avoir une vision totale de l’histoire et de la mémoire de l’esclavage.

Une directrice d’école au Niger témoigne dans l’ouvrage des difficultés à aborder la question en classe. Comment l’histoire de l’esclavage se télescope-t-elle avec la réalité actuelle dans ce pays ?

Au Niger, il y a de puissants héritages de cette histoire dans la société contemporaine. Quand, en classe, est abordé le rôle des élites locales dans la traite, cela fait écho à l’esclavage domestique qui existe toujours. Il est souvent qualifié d’esclavage « plus doux que celui des plantations ». Ce qui est un euphémisme ! La pratique du wahaya, qui consiste pour un homme puissant à prendre une cinquième ou sixième épouse, au-delà des quatre épouses permises par l’islam, est une forme d’esclavage. Ces jeunes femmes, qui sont souvent de très jeunes filles, servent d’objets sexuels, de domestiques et n’ont aucun statut. Bien qu’illégale, la pratique est tolérée. En se référant à cette réalité actuelle, il est plus facile de faire comprendre aux élèves les mécanismes de domination qui ont été à l’œuvre au moment de la traite.

 

 


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