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La secrétaire générale de La Cimade dénonce : les enfermements arbitraires, les violences et les mises à l’isolement répétées, un climat de stigmatisation grandissante, les expulsions illégales

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Source : Le monde - Louise Couvelaire - 05/05/2021

Ils ont quitté le Maroc ou l’Algérie pour fuir le quotidien d’une existence sans espoir, ignorant que le pire les attendait dans les rues parisiennes. La drogue, l’alcool, le dénuement.

La misère se dissimule parfois dans un décor de carte postale. En arrière-plan, la tour Eiffel prend les premiers rayons du soleil. Dans les jardins du Trocadéro, une poignée de joggeurs commencent leur journée en petites foulées. Sur l’esplanade, une femme en robe longue blanche à sequins prend la pose devant son téléphone portable installé sur trépied, cheveux blonds permanentés, lèvres soulignées au rouge carmin.

Et là, à l’abri des regards, en contrebas, au pied de la Cité de l’architecture et du patrimoine, recroquevillés au sol, réchauffés par le souffle qui traverse les grilles de la bouche d’aération de l’Aquarium, cinq adolescents endormis. Il est 7 heures. Il fait 5 degrés. Ils sont allongés au milieu d’un amas de bouteilles de vodka vides, de cartons de bière, de sacs plastique, de chaussettes sales, d’emballages de nourriture et d’excréments.

Les restes d’une vie d’errance, d’une vie sans toit, sans famille, sans but. Loin de leur pays d’origine, loin de ce qu’ils avaient imaginé de l’Europe. Ils ont quitté le Maroc ou l’Algérie, plus rarement la Tunisie, pour fuir le quotidien d’une existence sans espoir à laquelle ils voulaient échapper, à tout prix, ignorant que le pire les attendait. La drogue, l’alcool, le dénuement, la délinquance.

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Des gardes à vue en hausse

Polytoxicomanes et imprévisibles, ces enfants, que l’on appelle « mineurs isolés marocains » (même s’ils ne sont pas tous mineurs, contrairement à ce qu’ils prétendent, et pas tous marocains), ont fait leur apparition il y a un peu plus de quatre ans dans le quartier de la Goutte-d’Or, à Barbès, dans le 18e arrondissement de la capitale.

Plus récemment, ils ont investi le Trocadéro et le quartier huppé de l’Ouest parisien qui l’entoure, semant le désordre, la violence et la peur. Vols à l’arraché, cambriolages… Au dernier trimestre 2019, le commissariat de police du 16arrondissement comptait une vingtaine de gardes à vue liées aux activités délictueuses de cette population. En 2020, malgré le confinement, 400.

Lire le reportage : Les gamines à la dérive de Barbès

Comme tous les matins, un équipage de trois policiers vient les réveiller pour les déloger « dans le calme ». Comme tous les matins, ils peinent à ouvrir les yeux, se lèvent sans bruit, ramassent leurs maigres effets et disparaissent sans un mot. Pour quelques heures seulement. Ils reviendront plus tard, à l’arrivée des badauds et des touristes.

Leurs journées, ils les passent à avaler des cachets de Rivotril (benzodiazépine bon marché dont l’usage a été détourné pour devenir une drogue de rue), boire et voler : colliers, portefeuilles et téléphones portables. Leurs nuits, ils les passent à avaler des cachets de Rivotril, boire et cambrioler : bistrots, commerces et pharmacies. Le tout, ponctué de séances de selfies au pied de la tour Eiffel, large sourire aux lèvres, liasses de billets à la main, pour faire croire aux copains restés au pays qu’ils ont la belle vie. Et entretenir ainsi le fantasme d’un avenir meilleur, sur le sol européen.

Ce matin-là, au Trocadéro, ils étaient cinq, le lendemain, ils seront quatre, trois jours avant, ils n’y étaient pas, certains jours, ils peuvent être une vingtaine. Ce sont rarement les mêmes et uniquement des garçons (les forces de l’ordre n’ont repéré qu’une seule fille en un an et demi) qui n’ont pas plus de 25 ans. Les plus jeunes ont 10 ans.

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Cette année, plus d’une soixantaine d’entre eux ont déjà été placés en garde à vue. Et la violence est montée d’un cran. Claques, bousculades, coups… « Avec les mesures de restriction liées à la pandémie, les touristes étrangers se sont faits plus rares : plus de Chinois, plus de Japonais… Résultat, ne viennent que des Parisiens et des Franciliens. Moins nombreux et nettement plus méfiants, ils gardent à l’œil leur sac et leur téléphone, les mineurs ont donc du mal à les voler à leur insu et ont recours à davantage de violence pour parvenir à les voler », raconte Jean-François Galland, commissaire du 16e arrondissement.

Des commerçants à bout de nerfs

Ce jour-là, l’un d’eux, levé très tôt, bien avant ses petits camarades, est revenu se coucher, seul, sur la bouche d’aération, les jambes au soleil, le visage à l’ombre, dissimulé sous le rebord d’un petit muret. Survêtement noir, blouson noir, casquette noire, baskets noires, sac à dos noir. Ses vêtements sont usés par le temps, salis par la rue. Il est grand. Il a le corps d’un adulte, les traits d’un enfant. Il est épuisé.

La nuit, lui et ses copains dorment à peine, trop occupés à fracturer à coups de pieds de biche et de barres de fer les devantures et rideaux métalliques des commerces situés à proximité de l’esplanade, où ils « travaillent » le jour.

Serge Boyer, 58 ans, pense détenir le record du quartier : sa brasserie, Le Galliera, a été cambriolée huit fois en un peu plus d’un an. Ni le système de vidéosurveillance, ni l’alarme, ni les rondes fréquentes des forces de police n’arrêtent les auteurs. C’est à chaque fois le même scénario : un, deux ou trois jeunes cassent les vitres avec une barre de fer ramassée sur le chantier voisin ou en lançant une plaque d’égout, pénètrent à l’intérieur, foncent vers la caisse enregistreuse et repartent. « Maintenant, il n’y a plus jamais rien dans la caisse, je la laisse ouverte pour éviter qu’ils la fracassent, mais ils reviennent quand même », souffle le restaurateur.

Même chose quelques mètres plus loin. Dans une librairie – un fond de caisse de quelques dizaines d’euros volé et deux Kinder Country –, dans une pharmacie – cambriolée à quatre reprises en dix mois, la dernière fois, c’était en février, l’un d’eux s’est blessé, « il y avait du sang partout, partout, partout sur le sol, dans mon bureau, sur mes papiers… sans rien voler, de toutes les façons, je ne laisse plus rien dans la caisse », raconte la pharmacienne, à bout de nerfs, qui n’a plus les moyens de faire remplacer ses vitrines cassées, actuellement condamnées par des planches de bois.

« On en a tellement marre qu’on a commencé à évoquer l’idée de faire nous-mêmes des rondes la nuit », prévient David Bonon, dont la boulangerie a été la cible de trois tentatives de cambriolage. L’homme, qui habite au-dessus, a acheté un Flash-Ball.

« Ils sont très violents entre eux »

Les auteurs ne sont jamais très discrets. Le plus souvent, ils réveillent les voisins, qui appellent la police, ou déambulent dans les rues du quartier après avoir commis leur forfait. La police les prend en flagrant délit. « Leurs modes opératoires sont assez grossiers et bruyants, note le commissaire Galland. Ivres et sous l’emprise de stupéfiants, ils sont facilement repérables mais, étrangement, ils ne volent jamais de médicaments, uniquement du liquide. Souvent, ils se blessent eux-mêmes et sont très violents entre eux, il arrive souvent que la situation dégénère, en cellule. »

Une fois par semaine, jamais le même jour, jamais à la même heure, une équipe des parcs et jardins de la Mairie de Paris vient nettoyer le périmètre. Ils sont trois, accompagnés d’une dizaine de policiers en uniformes. Effrayés par le comportement parfois erratique de ces mineurs des rues, certains agents ont menacé d’exercer leur droit de retrait.

« Parfois, ils pouvaient être jusqu’à une trentaine, témoigne Nicolas Dutard, agent des espaces verts de la capitale. Il leur arrive de se bagarrer, de dégrader les voitures garées juste au-dessus pour y pénétrer, et d’essayer de nous voler. Une fois, l’un d’eux s’est précipité sur moi pour me prendre dans ses bras et me faire un câlin, en réalité, il était en train de me faire les poches. » Depuis, les employés municipaux n’y vont pas sans protection policière.

Ce matin-là, pour la deuxième fois de la journée, Hamza est prié de quitter les lieux. Les yeux bouffis de sommeil, les membres encore tout engourdis, il glisse ses pieds dans ses baskets et tourne les talons. Il marche au ralenti, tête baissée. « Dans 90 % des cas, leur éviction se passe bien, dans 10 % des cas, ils grognent, mais il n’y a jamais eu de heurts », commente le major Jean-Luc Poirier, qui supervise les opérations. Hamza dit avoir 16 ans, être originaire d’Algérie, de la ville portuaire d’Oran, et être arrivé il y a quatre mois avec un copain. Il ne dira rien de plus, il ne maîtrise pas le français, juste quelques mots. Une fois encore, il disparaît.

 

 

 


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