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Fermez les Centres de Rétention !

La secrétaire générale de La Cimade dénonce : les enfermements arbitraires, les violences et les mises à l’isolement répétées, un climat de stigmatisation grandissante, les expulsions illégales

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Source : Médiapart - Rachida El Azzouzi et Nejma Brahim - 19/05/2021

Le sociologue marocain Mehdi Alioua décrypte l’arrivée massive et sans précédent de 8 000 migrants dans Ceuta, un moyen de pression de Rabat dans le conflit du Sahara occidental mais aussi un événement qui en dit long sur les détresses accumulées après un an de pandémie et de fermetures des frontières.

ociologue à l’Université internationale de Rabat, membre fondateur du Gadem, le groupe antiraciste d’accompagnement et de défense des étrangers et migrants qu’il a longtemps présidé, Mehdi Alioua décrypte pour Mediapart les raisons qui ont conduit le Maroc à laisser passer 8 000 migrants dans l'enclave espagnole de Ceuta. Un événement inédit alors que le royaume fait office de gendarme ultra-répressif au service de l'Union européenne.

Le chercheur relativise la réalité de cet « afflux » car il y a une vie maroco-espagnole sociale et économique, de part et d’autre de la frontière qui a été réduite à néant par la fermeture des passages à cause de la pandémie. Qui plus est, l’Espagne a renvoyé dès le lendemain au Maroc environ 4 000 des 8 000 migrants, selon le ministre de l’intérieur espagnol, Fernando Grande-Marlaska.

Mehdi Alioua. © dr
Mehdi Alioua. © dr
 

Comment expliquer qu’autant de migrants – 8 000 – aient pu entrer à Ceuta dans les dernières 24 heures ? C’est du jamais-vu ? Concrètement, comment passe-t-on en une journée autant de personnes ?

Mehdi Alioua : Il faut d’abord bien saisir la situation de Ceuta qui est une enclave espagnole encastrée dans le Maroc, un reste colonial, un bout d’Europe en Afrique. Si j’utilise tous ces superlatifs, c’est pour insister sur le fait qu’il ne s’agit pas d’une simple frontière séparant des territoires mais des territoires qui se superposent les uns aux autres à tel point qu’il faut des dispositifs extrêmement complexes pour maintenir la séparation.

Il y a chaque année des millions de passages de par et d’autre et les villes adjacentes marocaines, qui sont de plus en plus collées les unes aux autres dans une conurbation où vivent plus de 500 000 habitant.e.s, dépendent autant de cette enclave espagnole, qu’elle dépend d’elles. Il a suffi que les autorités marocaines ne surveillent plus les passages pour que des milliers de voisin.e.s marocain.e.s habitant les alentours passent.

Certains ont traversé à la nage, avec des bouées d’enfants ou vêtus de simple maillot de bain. Quel est leur profil et quels sont leurs objectifs ?

Pour l’instant, en me référant aux témoignages que j’ai, il s’agit essentiellement des habitant.e.s ayant fait une visite de courtoisie à leurs voisin.e.s dans cette enclave fermée au Maroc depuis le début de la pandémie de Covid-19. D’ailleurs, beaucoup sont revenu.e.s dans les heures qui ont suivi leur entrée sur ce territoire administré par l’Espagne.

Il faut prendre les chiffres d’expulsions donnés par les autorités espagnoles avec des pincettes car les « refoulements à chaud », sans l’autorisation des autorités marocaines, sont illégaux et l’État espagnol a déjà été condamné à plusieurs reprises pour cela. Or, du côté marocain, on a volontairement déserté durant des longues heures les environs.

Pour l’instant, les Marocain.e.s sont donc revenus en territoire marocain de leur plein gré et n’ont pas été expulsés, mais celles et ceux qui sont restés vont certainement l’être dès que les autorités des deux pays concernés reprendront la parole. Il y a aussi des mineurs marocain.e.s et des adultes qui veulent passer sur le continent européen où on les attend dans les serres pour ramasser les fruits, du sud de l’Espagne à l’Italie en passant par la Vallée du Rhône où il manque des dizaines de milliers de bras.

Au Maroc, en ce moment, les frontières sont fermées pour cause de pandémie mais il y a des dizaines de milliers de Marocain.e.s qui attendent pour passer, avec ou sans autorisation. Certain.e.s se sont massé.e.s aux zones frontières du nord du pays et attendent la bonne opportunité. Mais elles et ils ne représentent pas la majorité des personnes dont nous parlons qui sont venu.e.s visiter leurs voisin.e.s. Du moins, pas pour l’instant.

Les associations humanitaires signalent des familles avec enfants, mais aussi beaucoup de mineurs non accompagnés. Qu’est-ce qui les pousse à partir ?

Il y a deux choses. D’abord la situation locale où le chômage ne cesse d’augmenter et où les salaires, quand il y en a, sont trop bas. Ensuite, l’attractivité de l’Europe à la fois parce qu’il y a des opportunités économiques pour cette population qui sera utilisée comme main-d’œuvre bon marché dans l’agriculture, le bâtiment et les services aux personnes, une sorte de lumpenprolétariat, mais aussi parce qu’il y a plus de 4 millions d’habitant.e.s en Europe qui ont la nationalité marocaine sur une population de 35 millions environ. Cela fait énormément de connexions familiales, amicales, affectives...

En Europe, on oublie trop facilement le fait que beaucoup de personnes sont attendues parce qu’il y a de la famille et/ou du travail, même mal payé, pour elles. Les migrations ne s’arrêtent pas au gré des sorties médiatiques xénophobes. Elles suivent leur cours, peuvent se réduire, voire se tarir progressivement, ou augmenter.

Aujourd’hui, la tendance est à la hausse au Maroc : il y a un fort désir de départ depuis 2017, alors qu’elles avaient fortement baissé entre 2008 et 2016, au point de parler de transition migratoire, un pays de départ devenant un pays d’installation. C’est bien plus compliqué que ça. J’aime dire que le Maroc est un carrefour migratoire.

La pandémie de Covid-19 et ses conséquences expliquent-elles qu’autant de personnes cherchent à quitter le Maroc aujourd’hui ?

Oui. Les frontières fermées étouffent le pays. Notamment les populations habitantes des régions de Nador et Tétouan aux portes des deux enclaves espagnoles qui vivent, prospèrent ou survivent, c’est selon, du commerce transfrontalier et qui n’ont pas plus de revenus depuis plus d’un an. Mais partout au Maroc, c’est très dur.

Heureusement que l’État marocain revoit sa copie concernant l’aide sociale et repense ses réformes néolibérales pour permettre plus de dépenses publiques sous forme d’investissements et d’aides sociales. Mais cela ne sera pas suffisant si la crise continue.

Les centres d’accueil sur place ont-ils la capacité nécessaire pour prendre en charge autant de personnes en même temps ?

Absolument pas. La ville elle-même n’a rien pour prendre en charge ces arrivées massives.

La frontière entre le Maroc et l’enclave espagnole de Ceuta est depuis des années carrefour du « trabendo », de la contrebande  cette économie informelle qui fait vivre des dizaines de milliers de personnes de part et d’autre. On pense aux « femmes-mulets », portant des dizaines de kilos de marchandises de contrebande jusqu’à en mourir, qui n’ont aujourd’hui plus de revenus. Depuis la pandémie et la fermeture des passages, cette frontière est devenue un désert économique. Cela peut-il expliquer cette situation sans précédent ?

Oui, c’est mon analyse. Parce qu’au-delà des « femmes-mulets » dont le nombre est important et la situation dramatique, dont il faut débattre, il faut aussi sortir de ces images – dont je ne minimise absolument pas l’importance – et de cette dramatisation de la frontière : il y a des millions de Marocain.e.s qui traversent ces frontières de part et d’autre… même des touristes.

Il y avait près de 100 000 touristes marocain.e.s chaque année en Espagne et bien plus dans le reste de l’Union européenne. Des dizaines de milliers de Marocain.e.s vont passer quelques jours dans les enclaves espagnoles et reviennent. Toute mobilité crée une économie de la mobilité, des petits métiers ou des gros investissements capitalistes pour capter cette manne financière. Or, cette économie est au point mort.

D’aucuns voient là un moyen de pression exercé par le Maroc sur l’Espagne, alors que le président de la région Ceuta dénonce la « passivité complice » des gendarmes marocains...

Je ne saurais l’affirmer en tant que sociologue. En tant que citoyen, je vois qu’on demande au Maroc de cogérer la frontière. Mais si on cogère, c’est qu’il s’agit alors d’une sorte de copropriété… du moins d’un bien commun.

Mais si une des parties, ici l’Espagne et au-delà l’Europe, ne traite pas l’autre partie, ici le Maroc, comme un copropriétaire mais comme un supplétif, comme du temps colonial, pour protéger des biens qui ne sont pas communs, il y a là un grave déséquilibre. Il est normal, me semble-t-il, en tant que simple citoyen, que la partie lésée ne soit parfois plus vraiment motivée à faire le sale boulot !

Quels enjeux (géo)politiques entourent cet arrivée massive inédite de migrants ? L’hospitalisation en Espagne de l’un des chefs du Front Polisario, Brahim Ghali, a-t-elle pu « braquer » les autorités marocaines et expliquer ces derniers événements, comme l’affirme le parti espagnol d’extrême droite VOX qui dénonce une « invasion » ?

Oui, c’est certain. Pour ce qui concerne l’Espagne, je ne suis ni espagnol ni spécialiste des questions domestiques et internationales de ce pays. Mais je tiens à rappeler qu’il y a près de 800 000 Marocain.e.s qui y résident, de loin la première population africaine et musulmane et ce sont eux les cibles principales de VOX et des racistes en tout genre.

C’est donc en interne un problème qui revient à dire que ces centaines de milliers de cocitoyen.ne.s ne doivent être coadministrés et coreprésentés que par l’Espagne… C’est un rapport de domination dur qui s’ancre dans l’histoire coloniale et postcoloniale.

Elles et ils ne sont pas considéré.e.s comme des médiateurs, des traits d’unions entre nos sociétés… C’est une façon d’insister, comme on le fait avec la Turquie, à l’extériorité (artificielle) du Maroc.

Pêche, statut des enclaves coloniales espagnoles Ceuta et Melilla… D’autres litiges opposent le Maroc et l’Espagne. Le royaume a aussi une autre crise diplomatique ouverte avec un pays européen : l’Allemagne. Le Maroc est-il en train d’utiliser les migrants comme un moyen de pression, de chantage pour faire évoluer la position de l’Union européenne sur le dossier du Sahara occidental ?

Je ne suis pas en position pour affirmer cela aujourd’hui. En tout cas, soit nous avons des enfants en commun, des richesses en commun à partager, un avenir en commun et donc une cogestion des territoires et des frontières, soit cela ne sert à rien d’être des supplétifs postcoloniaux. Il faut que l’Espagne et l’Europe choisissent.  

Le renforcement des contrôles au nord du Maroc a-il poussé les migrants à emprunter de nouvelles routes migratoires, souvent plus longues et plus dangereuses (réactivation de la route des Canaries, emprunt de la route des Balkans via la Turquie) ?

Oui, mais celle de la Turquie est et a toujours été la plus importante et de loin, pour les mêmes raisons que le Maroc : la Turquie c’est aussi en Europe, ce sont des millions de cocitoyens turcs et turco-européens, et c’est presque l’Union européenne ! 

 

 


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