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Fermez les Centres de Rétention !

La secrétaire générale de La Cimade dénonce : les enfermements arbitraires, les violences et les mises à l’isolement répétées, un climat de stigmatisation grandissante, les expulsions illégales

Solidarite avec Mimmo Lucano

Source : Le monde - Patrick Roger - 28/09/2021

Avec ses 136 places, la structure est l’une des plus grosses de France et représente, à elle seule, 60 % des obligations de quitter le territoire. Des associations dénoncent un manque de temps pour traiter les dossiers.

Nous sommes à Pamandzi. A quelques centaines de mètres de l’aéroport international de Mayotte, au sud de Petite-Terre, on quitte le boulevard du Général-de-Gaulle pour emprunter une petite rue en pente jusqu’à arriver devant de lourdes grilles. Derrière les clôtures hérissées de barbelés, un vaste bâtiment moderne abrite la direction départementale de la police aux frontières (PAF) ainsi que le centre de rétention administrative (CRA) de Mayotte, un des plus grands de France, avec ceux de Lyon et de Marseille, avec ses 136 places, auxquelles s’ajoutent 90 places réparties dans cinq locaux de rétention administrative (LRA).

L’édifice est récent, il est entré en fonction en septembre 2015. Jusqu’à cette date, les conditions de rétention des personnes en situation irrégulière, particulièrement indignes et insalubres, étaient régulièrement dénoncées par les organisations non gouvernementales. Le changement est réel. A l’issue d’une visite effectuée en juin 2016, la contrôleuse générale des lieux de privation de liberté, Adeline Hazan, jugeait ces nouveaux locaux « en bon état, conçus et adaptés à leur fonction, tant en ce qui concerne l’importance des flux que les spécificités locales, liées notamment au climat, sans toutefois que les normes métropolitaines aient été méconnues ou sacrifiées ».

Le CRA de Mayotte fournit à lui seul 60 % des obligations de quitter le territoire français (OQTF) effectuées au niveau national : plus de neuf sur dix concernent des Comoriens. L’île voisine d’Anjouan (nommée aujourd’hui Ndzouani) est à seulement 70 kilomètres des côtes mahoraises. Chaque jour, des dizaines de kwassa-kwassa, ces embarcations de fortune chargées de candidats à l’exil, tentent la traversée. Près des trois quarts d’entre elles sont interceptées ou font demi-tour avant de l’être… et d’effectuer une nouvelle tentative.

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Une sorte de routine

Certaines font naufrage et leurs passagers périssent en mer. Le bras de mer reliant Anjouan à Mayotte est devenu, au fil des ans, un cimetière marin. Le jour même de notre arrivée à Mayotte, un intercepteur de la PAF parvenait de justesse à sauver les treize passagers d’un canot qui était en train de couler. Trop tard, en revanche, pour les occupants d’un kwassa échoué à quelques miles des côtes mahoraises : seuls trois survivants ont pu être récupérés et trois corps ont été repêchés, les autres, une quinzaine, ont été engloutis par les flots.

Au CRA de Pamandzi, l’activité ne ralentit jamais. « Au 25 août, nous étions à 18 800 OQTF », annonce la sous-préfète chargée de la lutte contre l’immigration clandestine, Nathalie Gimonet. « C’est un turnover énorme », abonde le commandant de police Dominique Bezzina, qui dirige le centre. Une machine à expulser bien rodée, qui tourne à temps plein, avec une durée de rétention bien inférieure à celle généralement observée en métropole.

Une sorte de routine qui conduit d’abord les personnes interpellées dans un bâtiment annexe, où elles font l’objet d’une vérification administrative. Deux associations, Solidarité Mayotte et Mlezi Maore, membre du groupe SOS, sont présentes sept jours sur sept au CRA pour faire de l’accompagnement juridique ; elles peuvent éventuellement signaler les situations litigieuses à la préfecture et demander des mises en attente. En théorie, tout nouvel arrivant est censé pouvoir rencontrer l’une ou l’autre et exposer son cas. « La difficulté, c’est le temps de rétention extrêmement limité qui ne nous permet pas de voir toutes les personnes retenues, à peine 20 % en moyenne », observe Romain Reille, le directeur de Solidarité Mayotte.

Un « chemin d’intégration »

De par sa spécificité, le CRA de Pamandzi se sait particulièrement observé et régulièrement inspecté. Il se doit aussi d’observer strictement les procédures. Un test de dépistage du Covid-19 est systématiquement effectué à l’arrivée. Une nécessité, non seulement pour d’évidentes raisons de sécurité sanitaire mais aussi pour « fluidifier » le flux des reconduites. « Avec la crise sanitaire, les Comores nous imposent de faire des tests Covid. Forcément, ça prend du temps. Le temps de rétention est passé de vingt-quatre heures à quarante-huit heures, voire plus », explique Mme Gimonet. « Ce qui paraît court pour la métropole, mais, pour nous, c’est long », insiste le chef de centre.

Celui-ci décrit le « chemin d’intégration » des retenus, qui commence par le passage par un détecteur de métaux. « Ce ne sont pas des détenus ni des gardés à vue. On ne les fouille pas, on ne leur fait pas enlever leurs habits », précise le commandant Bezzina. Les smartphones permettant de filmer ou de photographier ainsi que les « grosses sommes » d’argent, au-delà de 400 euros, sont placés dans un coffre. Des sommes qui peuvent parfois atteindre plusieurs milliers d’euros.

Ils passent ensuite au greffe, point de départ de la procédure de gestion administrative au CRA. Chacun se voit attribuer une place. Le centre de rétention de Mayotte est prévu pour accueillir 136 retenus. Il est divisé en six zones – trois pour les hommes, deux pour les femmes, une pour les familles –, elles-mêmes divisées en seize chambres de six lits et dix chambres de quatre lits pour les familles. En 2020, année marquée par un ralentissement des expulsions en raison de la crise sanitaire et des confinements successifs, sur les 14 148 personnes retenues à Pamandzi, 2 044 étaient mineures.

« Zone de vie » et « kit de bienvenue »

Lorsque toutes les places sont occupées, les nouveaux arrivants sont orientés vers un des LRA, qui n’offrent pas tous, loin de là, des conditions adaptées. « Il ne peut pas y avoir de surpopulation », assure le commandant Bezzina. Aussi, quand toutes les places en CRA ou en LRA sont occupées, sans possibilités de reconduite, ce qui est arrivé lors de la crise diplomatique avec les Comores ou faute de pouvoir organiser des vols vers Madagascar, les responsables de l’administration doivent libérer les personnes en surnombre.

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Chacun se voit notifier ses droits et attribuer un « kit de bienvenue » – masques, draps, nécessaire de toilette – avant de passer une visite à l’unité médicale. Direction la zone d’hébergement. Les locaux sont propres, la peinture rafraîchie. Toutes les zones sont conçues sur le même modèle. Une vaste salle commune, la « zone de vie » : les ensembles table-bancs sont scellés au sol, un écran de télévision fixé au mur, en hauteur, un téléphone mural encadré de plaques de fer – « sinon, quand ils sont au téléphone, ils grattent le mur ». Chaque « zone de vie » dispose d’une ligne directe. La liste des numéros circule dans tout l’archipel, à Mayotte et aux Comores. D’une salle à l’autre, les appels des proches qui veulent prendre des nouvelles ne cessent de retentir.

Les hauts murs de béton sont couronnés d’embrasures à claires-voies laissant passer la lumière du jour. Au plafond, les ventilateurs sont entourés de cages de fer. La salle commune s’ouvre sur une cour partiellement couverte ; la partie « à l’air libre » est coiffée d’un solide grillage. Les parties communes sont, elles, équipées de caméras de surveillance reliées vingt-quatre heures sur vingt-quatre au poste de garde.

« Ils sont pas mal lotis, quand même »

Le CRA vit au rythme des arrivées enregistrées au fil de la journée, en général à partir de l’après-midi, et des départs groupés qui s’effectuent dans la matinée, par bus jusqu’au ponton de Dzaoudzi puis par la SGTM, la compagnie maritime qui effectue des liaisons quotidiennes avec les Comores, ou vers l’aéroport pour les destinations plus lointaines. Chaque jour, une centaine de personnes en moyenne sont reconduites vers l’île comorienne d’Anjouan.

Au moment où nous visitons le centre, le contingent des reconduits du matin a déjà quitté les lieux, les nouveaux admis ne sont pas encore arrivés. Dans une des salles réservées aux hommes, deux retenus sont en attente. L’un, malgache, est arrivé la veille et ne sait pas quand il sera placé à bord d’un vol pour Madagascar ; l’autre se mure dans le silence. La télévision diffuse des dessins animés à plein volume. Ils attendent leur renvoi, résignés, en meublant leur isolement. Le bruit remplace le vide.

La zone réservée aux familles est décorée de fresques murales réalisées par des bénévoles de la PAF. Dans la cour, quelques jeux de jardin. Des figurines d’animaux en bois sont appliquées aux murs. Certaines sont dégradées. « On leur a mis il y a trois mois et ils cassent. Ils font chier, peste le commandant Bezzina. Ils sont pas mal lotis, quand même ! On met tout en œuvre pour que les conditions d’accueil soient les plus favorables possibles. »

Le poste de garde constitue la tour de contrôle de l’établissement. Les agents de la PAF se relaient en permanence devant un mur d’écrans de surveillance. Le centre de Mayotte est le seul CRA de France à avoir un greffe de nuit : les intégrations se font vingt-quatre heures sur vingt-quatre. Les brigades effectuent des plages horaires de douze heures. Au total, cent vingt personnes assurent l’ensemble des missions de garde et d’escorte, auxquelles s’ajoutent quelques chats pour chasser les nuisibles.

Des « pratiques abusives »

Des effectifs réduits au regard des CRA métropolitains et compte tenu d’une activité qui voit défiler chaque jour en moyenne environ quatre-vingts retenus. Un travail à la chaîne générateur de contentieux. « Sur les sept premiers mois de l’année, nous avons reçu 1 438 demandes de présentation au juge des libertés et de la détention, détaille le commandant Bezzina. C’est énorme. »

Dans le rapport 2020 sur les centres et locaux de rétention administrative, les associations de solidarité intervenant dans les CRA dénoncent des « pratiques abusives ». « La plupart des gens intègrent le jour même pour repartir le lendemain. Même quand nous faisons une demande de mise en attente, le temps qu’elle soit validée, les personnes ont été reconduites », observe M. Reille. « Dorénavant, si une personne manifeste l’intention de faire une demande d’asile, on la met en attente et l’association a vingt-quatre heures pour remplir le dossier. On essaie de trouver un bon équilibre entre l’éloignement et la possibilité pour la personne retenue de faire valoir ses droits », se défend la sous-préfète Gimonet.

La nuit est tombée sur le centre. Une nouvelle vague d’arrivants vient d’être conduite par la gendarmerie, après une interpellation apparemment musclée. En file indienne, les hommes se présentent au greffe. Un seul, à l’écart, refuse de se plier aux injonctions des agents de la PAF. « Mognye [monsieur] ! Mettez votre masque », lui demande le commandant. L’homme a encore les yeux rougis des gaz lacrymogènes dont il a été aspergé. Pour lui, le « chemin d’intégration » démarre du mauvais pied.

 

 


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