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La secrétaire générale de La Cimade dénonce : les enfermements arbitraires, les violences et les mises à l’isolement répétées, un climat de stigmatisation grandissante, les expulsions illégales

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Source : Le monde - Grégoire Mérot - 03/10/2021

Alors que la destruction d’un bidonville de Koungou s’achève dans un contexte particulièrement tendu, l’opération menée par la préfecture contre l’habitat informel soulève questions et indignations quant au sort réservé à leurs habitants.

« De toute façon, on n’a pas d’autre choix. » Dimanche 26 septembre au soir, alors que les bulldozers envoyés par la préfecture pour raser le bidonville de Carobolé (Koungou, dans le nord-est de l’île) sont attendus dès l’aube, les habitants plient bagage. Le lendemain, au petit matin, les conducteurs d’engins ne trouveront plus grand-chose à détruire : la plupart des cases en tôle ont été démontées par leurs occupants. Les matériaux sont précieux et seront vite réemployés. « On va reconstruire ailleurs », indique Raïssata, 20 ans, dont quinze passés dans ce quartier où s’érigeaient 350 logements. « Ailleurs », c’est dans la forêt pour certains, la mangrove pour d’autres ou dans des bidonvilles en densification.

La préfecture, commanditaire de l’opération de destruction en application de la loi ELAN, est pourtant tenue, par ladite loi, de proposer des solutions de relogement ou, a minima, d’hébergement d’urgence adaptées à chacun des occupants. Problème : ces solutions manquent cruellement sur le territoire. Au premier jour du « décasage », selon le terme dorénavant usité par les officiels, la préfecture communiquait ainsi sur 282 propositions d’hébergement d’urgence quand l’arrêté préfectoral pris en amont mentionnait 706 demandes. Parmi lesquelles, celle de la famille de Raïssata. « Nous avons demandé à être relogés quand les services sont passés dans le quartier, mais on ne nous a jamais rappelés », illustre l’aînée d’une famille de neuf enfants. Ses voisins, eux, ont bien reçu le coup de fil tant attendu. « Mais ils ont dû refuser, on leur a proposé un logement très loin et pour seulement vingt et un jours. A part faire louper l’école aux petits, ça sert à rien, autant reconstruire un banga [« une cabane », en shimaoré] directement », peste la jeune femme.

Une « politique violente et contreproductive »

Face à ce constat, renouvelé à chaque opération de destruction de quartier informel, le préfet Thierry Suquet, débarqué sur l’île en juillet, concède « des limites ». Mais il compte cependant bien marcher sur les pas de son prédécesseur, Jean-François Colombet, dont le passage dans le 101département a été marqué par la volonté de « casser du banga » comme il n’a pas hésité à le présenter. Des limites donc, que d’aucuns perçoivent plutôt comme « une aberration ».

Lire le reportage : Dans les bidonvilles de Mayotte, le chaos après les bulldozers

« La France est à ma connaissance le seul Etat au monde à procéder à de telles politiques. La Banque mondiale ou encore l’ONU-Habitat ont élaboré des doctrines, des textes, excluant systématiquement l’idée d’expulser des personnes de leur logement sans leur proposer de solution pérenne », dénonce Cyrille Hanappe, architecte, enseignant-chercheur à l’ENSA Paris-Belleville et spécialiste des quartiers informels. Une stratégie appliquée de l’Amérique latine à la grande campagne marocaine d’éradication des bidonvilles de Mohamed V en 2005.

Pourquoi ? « Parce que l’on sait très bien que cela [l’absence de relogement] va à l’encontre de la dignité humaine, du développement, ça ne fait que générer pauvreté, insécurité et atteintes à l’environnement », répond celui qui intervient dans différents quartiers mahorais. « Tout le monde, et la préfecture en premier, sait très bien que lorsqu’un bidonville comme celui de Carobolé est détruit sans relogement, cela revient automatiquement à en créer d’autres ailleurs, dans des conditions encore plus dégradées », poursuit Cyrille Hanappe, « ulcéré » par une politique « aussi violente que contreproductive ».

Cette stratégie de destruction trouverait cependant des justifications locales, avance la préfecture. Avec, en premier lieu, la lutte contre l’immigration clandestine, les bidonvilles étant le principal refuge des étrangers en situation irrégulière. Reste que le bilan de l’opération de Carobolé est, à ce titre, plus que mitigé : vingt personnes interpellées. A l’évidence, la plupart des habitants concernés avaient déguerpi bien avant l’arrivée des pelleteuses.

Les prémices d’une radicalisation

Autre argument avancé pour raser ces quartiers : la présence de délinquants en leur sein. Si le fait n’est pas nié – notamment par les habitants –, eux aussi construisent plus loin, dans un processus de marginalisation encore aggravé. Offrant « protection » aux familles en fuite, des bandes deviennent ainsi les maîtres de nouveaux territoires. Et potentiellement d’une jeunesse malléable, parfois déscolarisée, souvent révoltée par le sort qui lui est réservé à travers les « décasages ». Difficile ainsi de ne pas voir dans les événements qui ont suivi la première journée de destruction du bidonville de Koungou les prémices d’une radicalisation. La nuit tombée, plus d’une centaine d’individus ont fondu sur la ville dans un ouragan de violence physique et symbolique – la mairie a été incendiée – sans précédent.

De quoi « renforcer [la] détermination » du préfet à lutter contre l’habitat illégal, déclarait Thierry Suquet mardi 28 septembre. Un bras de fer s’est donc engagé, aux dépens de la population. Car si la préfecture jouit encore d’un certain soutien populaire, nombre de Mahorais ne peuvent qu’observer, effarés, la multiplication des bidonvilles et l’infernale augmentation de la fréquence comme de l’intensité des violences. « Est-ce que l’on persiste sur les mêmes politiques ou est-ce que l’on essaie d’en changer ? », questionne Cyrille Hanappe, appelant à « trouver une solution par le haut ».

« L’éradication des bidonvilles, on est tous d’accord, à condition que des dispositifs soient mis en place », plaide-t-il encore. Certains émergent : un village-étape de 240 places, offrant logement et réinsertion entre en service, d’autres sont en projet. Quelques communes optent pour le remembrement des quartiers informels, « comme cela s’est fait par le passé, comme cela s’est fait aux Antilles où l’on ne parle plus de bidonvilles », rappelle l’enseignant-chercheur. Et un récent décret vient faciliter l’accès au logement très social pour les familles issues des quartiers informels. Mais ces logements demandent encore à sortir de terre. Tout reste à bâtir donc. Mais l’époque est à la destruction : une nouvelle opération de « décasage » est déjà programmée dans le sud de l’île.

En attendant, « on va s’installer dans la forêt pour que les petits puissent continuer d’aller à l’école. Ça me fait peur, il y a des délinquants, la rivière est pourrie… Je sais pas comment on va faire, j’espère que je vais m’habituer », lâche tristement Raïssata. « De toute façon on n’a pas le choix. »

 

 

 


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