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La secrétaire générale de La Cimade dénonce : les enfermements arbitraires, les violences et les mises à l’isolement répétées, un climat de stigmatisation grandissante, les expulsions illégales

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Source : Médiapart - Nejma Brahim et Rachida El Azzouzi - 01/10/2021

Sous couvert de lutte contre l’immigration clandestine, la France durcit brutalement l’octroi de visas aux habitants du Maghreb. À quelques mois de l’élection présidentielle, Emmanuel Macron confirme qu’il entend, lui aussi, imposer l’immigration comme le problème numéro un en France.

A six mois de l’élection présidentielle et alors que le thème de l’immigration obsède la majorité ainsi que les candidats de droite et d’extrême droite, déclarés ou non, la France a choisi de fortement restreindre, mardi 28 septembre, l’octroi de visas pour les Algériens, Marocains et Tunisiens. 

En cause, selon le porte-parole du gouvernement, Gabriel Attal, le manque de coopération de ces pays du Maghreb, qui refusent de délivrer les laissez-passer consulaires nécessaires pour que puissent être expulsés leurs ressortissants en situation irrégulière présents sur le sol français. « C’est une décision drastique, c’est une décision inédite, mais c’est une décision rendue nécessaire par le fait que ces pays n’acceptent pas de reprendre des ressortissants que nous ne souhaitons pas et ne pouvons pas garder en France », a-t-il expliqué.

L’Algérie n’a pas tardé à réagir en convoquant dès le lendemain l’ambassadeur de France, François Gouyette, pour affirmer la « protestation formelle du gouvernement algérien à la suite d’une décision unilatérale du gouvernement français affectant la qualité et la fluidité de la circulation des ressortissants algériens à destination de la France », souligne un communiqué du ministère algérien des affaires étrangères. « Cette décision qui est intervenue sans consultation préalable avec la partie algérienne comporte l’anomalie rédhibitoire d’avoir fait l’objet d’un tapage médiatique générateur de confusion et d’ambiguïté quant à ses motivations et à son champ d’application », poursuit le ministère.

Devant les bureaux de TLScontact, une entreprise qui travaille avec les gouvernements du monde entier pour fournir des visas et des services consulaires, notamment des visas pour la France, à Tunis, le 29 septembre 2021. © Photo Fethi Belaid / AFP
Devant les bureaux de TLScontact, une entreprise qui travaille avec les gouvernements du monde entier
pour fournir des visas et des services consulaires, notamment des visas pour la France, à Tunis,
le 29 septembre 2021. © Photo Fethi Belaid / AFP
 

La question est sensible et vient brouiller encore davantage les relations diplomatiques entre l’Algérie et la France, déjà tendues. En avril dernier, le premier ministre Jean Castex, attendu à Alger pour une réunion entre les deux pays, avait annulé sa visite à la dernière minute, invoquant la crise sanitaire liée au Covid-19. En réalité, c’est l’annonce de l’ouverture d’une antenne du parti présidentiel La République en marche à Dakhla, dans le territoire disputé du Sahara occidental, que le Maroc considère comme sien, qui avait rendu furieuse l’Algérie, soutien des indépendantistes du Front Polisario.

Une mesure guidée « par un aspect de politique intérieure »

En décidant brutalement et unilatéralement de diviser par deux le nombre de visas pour le Maroc et l’Algérie, et de 33 %, pour la Tunisie, et en l’annonçant en fanfare par la voix de son ministre de l’intérieur Gérald Darmanin, qui incarne une ligne très droitière, Emmanuel Macron jette un froid supplémentaire sur les relations France-Maghreb. « C’est une décision injustifiée », a condamné le chef de la diplomatie marocaine Nasser Bourita. Si la Tunisie n’a pas encore officiellement réagi, plusieurs médias tunisiens dénoncent « une décision injuste, dure », à visée électoraliste à six mois de l’élection présidentielle française. Une analyse partagée par les presses marocaine et algérienne.

Tout ce qui peut apparaître comme un frein à l’immigration sera bien reçu par certains électeurs
Denis Bauchard, conseiller à l’Institut français des relations internationales

« Il est évident que cette mesure est guidée par un aspect de politique intérieure. Tout ce qui peut apparaître comme un frein à l’immigration sera bien reçu par certains électeurs », abonde l’ancien diplomate français aujourd’hui conseiller à l’Institut français des relations internationales (IFRI) Denis Bauchard. Ex-directeur de l’Afrique du Nord et du Moyen-Orient au ministère des affaires étrangères dans les années 1990 sous Mitterrand puis sous Chirac, il n’a « pas souvenir d’une réduction de visas aussi brutale » : « Ce n’est pas le bon moment pour prendre une telle décision quand, en plus, on dit chercher à se réconcilier. Cela va dégrader encore plus nos relations déjà pas très heureuses avec les pays du Maghreb. »

À moins de deux semaines du sommet France-Afrique qui doit se tenir à Montpellier vendredi 8 octobre et où l’un des objectifs affichés est, par exemple, « de faciliter l’accès à l’éducation et à l’enseignement supérieur, notamment en multipliant les mobilités », le président français discrédite ses ambitions de « réinventer ensemble » les liens qui unissent la France au continent africain. Nombre de participants se retrouvent d’ailleurs sans visa, à l’instar du sociologue marocain spécialiste des migrations Mehdi Alioua, qui interviendra finalement par visioconférence.

« Au lieu de jouer la carte de la francophonie, la France choisit d’insulter encore plus ceux qui sont déjà insultés », regrette le chercheur de l’université internationale de Rabat, qui voit également dans ce durcissement « un calcul politique, à la fois un appel du pied à la droite et l’extrême droite, obnubilées par l’immigration et une prétendue “islamisation” de la société française avant l’élection présidentielle », mais aussi « un opportunisme européen ».

La France va pouvoir instrumentaliser la politique française et européenne selon sa position du moment
Claudia Charles, chargée d’étude au Gisti

La France prendra en janvier 2022 la présidence tournante de l’Union européenne et elle entend montrer qu’elle sait mettre la pression sur les pays dits limitrophes, c’est-à-dire dans le jargon de Bruxelles, les pays tiers qui ont une frontière maritime ou terrestre avec la forteresse Europe et en particulier l’espace Schengen, notamment les pays maghrébins.

« Il ne faut pas oublier que les critères d’octroi du visa court séjour relèvent de l’Union européenne. La réglementation européenne voudrait donc que ce type de décision se prenne au niveau de l’Union européenne, souligne Claudia Charles, chargée d’étude au Groupe d’information et de soutien des immigrés (Gisti). La politique commune devrait prévaloir au détriment de cette politique bilatérale, d’autant plus pour les pays maghrébins avec lesquels il y a des accords. C’est d’autant plus important que la France prendra bientôt la présidence de l’Union européenne et va pouvoir instrumentaliser la politique française et européenne selon sa position du moment. »

Tunis, Tunisie, le 06 novembre 2020. Gérald Darmanin lors de sa conférence de presse conjointe avec et le ministre tunisien de l'Intérieur Taoufik Charfeddine. © Photo Yassine Gaidi / Agence Anadolu via AFP
Tunis, Tunisie, le 06 novembre 2020. Gérald Darmanin lors de sa conférence de presse
conjointe avec et le ministre tunisien de l'Intérieur Taoufik Charfeddine. © Photo Yassine Gaidi / Agence Anadolu via AFP
 

Le ministre de l’intérieur Gérald Darmanin, qui s’était rendu à l’automne 2020 au Maghreb pour parler terrorisme, immigration et exiger des autorités des trois pays qu’elles reprennent leurs ressortissants arrivés clandestinement sur le sol français, ainsi que ceux qui sont radicalisés, a d’ailleurs prévenu mercredi 30 septembre que la France profiterait de sa présidence tournante pour réformer le système d’asile européen qui divise les Vingt-Sept. 

« Ce qui se joue ici n’est pas nouveau, analyse Mehdi Alioua. C’est une pression et un chantage européens qui ont 20 ans et qui sont aujourd’hui mis à exécution. La question de la réadmission date des années 2000. Que ce soit à travers les pays membres ou au niveau des commissions à Bruxelles, il y a une demande permanente auprès de ces pays afin qu’ils reprennent de manière automatique leurs ressortissants, voire même les non-ressortissants qui auraient transité par leur territoire. Ni le Maroc ni l'Algérie n’ont signé la totalité de ce que l’on appelle le pacte pour la mobilité, qui est un euphémisme, car c’est plutôt le pacte pour l’immobilité. C’était “visas contre réadmissions”. La Tunisie a signé et c’est pour cela qu’elle a une punition moins forte. »

Qu’il y ait des désaccords entre pays est une chose. Mais dire “on va punir vos ressortissants” rappelle la période coloniale
Mehdi Alioua, sociologue et chercheur

L’Europe reste encore choquée par les milliers de migrants déferlant sur l’enclave espagnole de Ceuta en 24 heures en mai dernier, ce résidu de l’ère coloniale au nord du Maroc, l’unique frontière terrestre entre l’Afrique et l’Union européenne (avec l’autre enclave espagnole de Melilla). Une crise d’une ampleur inédite, ouverte par le Maroc, qui n’hésite pas à instrumentaliser la détresse des candidats à l’exil pour presser l’Europe à reconnaître, comme les Américains, la marocanité du Sahara occidental et pour réprimander l’Espagne qui soignait dans un de ses hôpitaux une bête noire du royaume chérifien : Brahim Ghali, chef du Front Polisario. 

« Qu’il y ait des désaccords entre pays est une chose. Mais dire “on va punir vos ressortissants” rappelle la période coloniale, déplore le sociologue Mehdi Alioua. On amalgame des populations. Quel est le lien entre un Tunisien d’un village reculé de la Tunisie qui obtient une bourse d’excellence pour étudier en France, une vieille dame qui veut venir voir ses enfants, le fonctionnaire algérien qui va faire soigner sa fille à l’hôpital Necker car il ne le peut pas dans son pays et des personnes appréhendées par la police française car arrivées illégalement, à part qu’ils appartiennent au même groupe racialisé ? Il ne s’agit pas de dire que les uns doivent avoir plus de droits que d’autres mais on les met tous dans le même bateau pour dire : “Vous, les Maghrébins, vous ne savez pas migrer.” »

« Le mépris que la France peut exprimer à l’égard des pays du Maghreb n’est pas nouveau. Les relations ont des hauts et des bas et sont empreintes de néocolonialisme », abonde Claudia Charles.

Interrogé par le magazine marocain TelQuel, le ministre de l’intérieur français Gérald Darmanin (qui évoque sur les plateaux télé français aussi un « deuxième paquet d’étrangers que nous ne voulons pas sur notre sol, ceux qui ont tué, frappé leur femme, dealé de la drogue ») a affirmé que ces mesures seraient « d’application immédiate », mais seraient « progressives et réversibles », invitant ses partenaires à « prendre leurs responsabilités »

« Notre objectif n’est évidemment pas d’affaiblir les échanges économiques et culturels avec ces pays, qui sont particulièrement denses. C’est pourquoi nos consulats s’efforceront de préserver les publics prioritaires (les étudiants, les voyages d’affaires, passeports talents, travailleurs qualifiés, etc.). Nous viserons en priorité les milieux dirigeants, qui sont les premiers responsables de cette situation », a ajouté Gérald Darmanin.

Un discours qui ne convainc pas Mehdi Alioua : « Je m’occupe d’un institut d’études politiques qui a des accords de mobilité dans le monde entier. Nous n’avons aucun problème sauf avec les pays européens. Des étudiants parmi les meilleurs ne parviennent pas à faire leur mobilité alors qu’on a des accords de coopération par ailleurs, et c’est le cas depuis des années, bien avant cette annonce, bien avant le Covid-19. » Lui-même en témoigne et « vit dans sa chair l’humiliation du visa ».

Né en France avant que ses parents ne retournent vivre au Maroc, il va et vient entre les deux rives de plus en plus difficilement et se souvient de sa grand-mère, aujourd’hui disparue, qui s’était vu octroyer en 1998 une interdiction du territoire pendant cinq ans pour avoir dépassé d’une demi-heure son visa de touriste : « Elle avait donné sa vie à la France, travaillé pendant des années à l’Assistance publique, où elle avait pris soin des personnes âgées, et d’un coup, on lui interdisait la France, qui était aussi son pays. »

La communication gouvernementale, à grands coups de clairon, ne doit pas faire oublier que la France délivre aux compte-gouttes des visas pour les habitants du Maghreb depuis des années déjà. 

« Cette annonce ne va pas avoir un impact incroyable, prévient Mehdi Alioua. Les personnes issues des classes plus ou moins privilégiées, qui estiment y avoir droit, vont continuer de demander le visa pour la France. Pour les autres, l’obtention d’un visa est rendue tellement difficile depuis une vingtaine d’années qu’elles étaient déjà inscrites dans une logique d’autocensure. »

Dans un article scientifique intitulé « Algérie : des visas au compte-gouttes » (Plein Droit, 2012), la chercheuse Farida Souiah pointait déjà la difficulté d’obtenir un visa pour les ressortissants algériens, avec un taux de refus particulièrement élevé en 2007 (47,82 % et 43,98 % de refus à Annaba et Alger en 2007, selon un rapport du Sénat, contre 20 % en moyenne dans les consulats français).

Le risque d’un effet dangereux et contre-productif

Des obstacles à la mobilité qui ont décrédibilisé la notion même de « visa » aux yeux d’un certain nombre de candidats au départ et qui expliquent, à l’époque, l’ampleur du phénomène de harraga (qui désigne un départ clandestin par la mer du Maghreb vers l’Europe). « La majorité des personnes qu’on retrouve depuis 10 ou 15 ans dans le hrig n’ont pas fait de demande de visa. Il y a eu un effet dissuasif du visa qui précède ces nouvelles annonces, avec un sentiment de hogra (“mépris” ou “humiliation” en arabe) très fort », souligne Mehdi Alioua.

Les chiffres sur l’immigration, communiqués par le ministère de l’intérieur français, montrent qu’au cours des dernières années, l’octroi de visas a fortement baissé pour les Algériens, passant de 413 976 visas délivrés en 2017 à 274 421 en 2019 (soit une baisse de 33 %). En Tunisie, la hausse du nombre de visas octroyés par la France entre 2017 et 2018 a été suivie d’une baisse en 2019 (− 5 %), tandis que le Maroc enregistre une hausse constante du nombre de visas délivrés entre 2017 et 2019, bien que celui-ci ne dépasse pas la barre des 200 000 (pour les trois pays, la baisse a été drastique en 2020 pour des raisons liées à la pandémie de Covid-19).

Qui plus est, les chiffres avancés par l’Élysée datent de la crise sanitaire : « Seuls 81 Marocains ont été éloignés depuis début 2021, contre 865 en 2019 ; 23 Algériens, contre 1 650 en 2019 ; 131 Tunisiens, contre 893 en 2019 », a justifié Gérald Darmanin. Or les voyages ont été entravés par la pandémie. « Pour être expulsé, il fallait un test PCR. Comme on ne pouvait pas obliger les personnes à faire un PCR, celles qui le refusaient n’étaient pas expulsables », rappelle Mehdi Alioua.

Depuis, un article de loi pénalisant le refus de se soustraire à un test PCR en vue de son éloignement a été voté par le gouvernement dans le cadre de la loi sur la gestion de la crise sanitaire. « Il y a différents facteurs qui expliquent la non-exécution des mesures d’éloignement, explique la juriste Claudia Charles. Cela peut être l’annulation des OQTF [Obligation de quitter le territoire français – ndlr] par le tribunal administratif, l’annulation de la décision de maintien en centre de rétention administrative (CRA), le non-placement en CRA malgré l’OQTF, la difficulté de prouver la nationalité... En réalité, la non-délivrance des laissez-passer consulaires n’explique qu’une petite partie du phénomène. »

La chargée d’études du Gisti dénonce une décision « tout à fait opportuniste, dans contexte pré-électoral ». « La France instrumentalise à nouveau la question de l’immigration et fait tout pour laisser croire qu’elle maîtrise la situation, que les personnes ne viennent pas et que celles devant quitter le territoire le font effectivement. En réalité, la politique des visas à l’égard de ces pays n’a jamais été la plus ouverte. La baisse des visas octroyés a déjà eu lieu et pour l’Algérie, elle n’est pas anodine. Cette volonté de taper du poing sur la table est hypocrite », développe-t-elle.

Cette décision, qui marque la volonté d’Emmanuel Macron d’imposer le thème de l’immigration au cœur de la présidentielle, risque également d’avoir un effet dangereux et contre-productif : celui de décourager encore davantage les candidats au départ à demander un visa, les poussant à emprunter des voies illégales pour rejoindre l’Europe, et donc de renforcer l’immigration irrégulière. « Bien sûr, cela dépend des catégories sociales concernées par cette restriction de l’octroi des visas, mais cela peut renforcer chez certains la tentation de l’immigration clandestine vers l’Europe et la France, tout comme le reste de la politique migratoire européenne qui va dans ce sens. Les personnes n’ont d’autres voies que la mer, les passeurs, la mort. »

Et Mehdi Alioua d’ajouter : « Les personnes qui n’arrivent pas à partir de manière légale finissent par ne plus demander de visa, pensant qu’ils ne sont pas éligibles, et tentent de passer par des moyens détournés. Il a déjà été démontré, notamment par des chercheurs du réseau Migreurop, qu’un durcissement des conditions d’accès au sol européen s’accompagne d’effets immédiats sur le nombre de morts qui tentent la traversée. Ce sont donc des logiques morbides. »

 

 


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