Source : Le monde - Marina Rafenberg - 27/10/2021
Le nombre de migrants morts entre la Grèce et la Turquie a baissé depuis le début de l’année, mais les ONG contestent les méthodes illégales de refoulement d’Athènes.
Vers 6 heures du matin, mardi 26 octobre, trois enfants âgés de 3 à 14 ans et une femme, tous originaires d’Afrique, ont été retrouvés morts noyés par les garde-côtes grecs au large de l’île de Chios, à seulement 18 kilomètres de la ville balnéaire turque de Çesme. Selon le communiqué de la police portuaire grecque, aucun des 27 passagers ne portait de gilet de sauvetage, alors que les vents de force 6 sur l’échelle de Beaufort rendaient la traversée périlleuse.
« C’est la réalité de l’exploitation des migrants par des gangs criminels en mer Egée – des trafiquants sans scrupule qui mettent des vies en danger à bord de canots surchargés impropres à la navigation en mer au large de Chios », a dénoncé sur Twitter le ministre grec des migrations, Notis Mitarachi, photo à l’appui de l’embarcation bleue chavirant sous les vagues. « Les autorités turques doivent agir davantage pour empêcher l’activité des groupes criminels qui exploitent les migrants. Ces traversées ne devraient même pas pouvoir avoir lieu », a fustigé le ministre.
En 2020, le Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR) avait recensé plus de 100 morts ou disparus en mer Egée. Le premier ministre grec, Kyriakos Mitsotakis, a assuré, lors d’une interview le 1er octobre, « défendre les frontières terrestres et maritimes dans le plus grand respect des droits de l’homme, en plaçant toujours la protection des personnes en mer comme première priorité ». « Personne ne s’est noyé dans la mer Egée cette année », avait-il ajouté. Mais, selon le HCR, trois naufrages ont pourtant eu lieu entre janvier et mars, faisant six morts, dont l’un dans les eaux territoriales grecques au large de l’île de Lesbos.
Le premier ministre grec déclarait aussi que « les réseaux de passeurs qui profitent de la souffrance humaine avaient été anéantis » et que « les flux migratoires avaient baissé de 90 % par rapport à 2019 ». Selon les défenseurs des droits de l’homme, et après de nombreuses enquêtes journalistiques, cette baisse est néanmoins le résultat de refoulements systématiques et illégaux de migrants vers la Turquie. Jusqu’à présent, Athènes a toujours nié avoir recours à cette pratique, contraire à la convention de Genève et au droit international. Mais Bruxelles, en particulier la commissaire européenne des affaires intérieures, Ylva Johansson, et le HCR pressent le gouvernement grec de mettre en place une instance indépendante pour contrôler les abus et les violations des droits de l’homme aux frontières.
Entraves au travail des ONG
Au Parlement européen, les députés ont également demandé le gel d’une partie du budget 2022 de l’agence européenne de surveillance des frontières, Frontex, accusée d’être témoin de ces « pushbacks » (renvois de migrants) sans intervenir. Les eurodéputés souhaitent voter ce budget seulement si l’agence met en place un système opérationnel de surveillance des droits fondamentaux, permettant de signaler les incidents graves, et recrute vingt officiers aux droits fondamentaux et trois directeurs exécutifs à cette fin.
Les ONG de sauvetage en mer s’inquiètent aussi de l’entrave à leur travail au large des îles grecques. L’association allemande Mare Liberum a ainsi rapporté dans un communiqué il y a peu que son bateau venant au secours des demandeurs d’asile au large de l’île de Lesbos avait été interdit de naviguer par la police portuaire locale. « Si nous ne sommes pas autorisés à naviguer en mer Egée, les seuls acteurs qui restent présents sont les auteurs de violations des droits humains », estime Marie Read, membre de l’équipage du Mare Liberum. Rien qu’au large de Lesbos, l’ONG a enregistré 156 cas de refoulements illégaux depuis le début de l’année, impliquant près de 5 000 réfugiés. « Et ces trois derniers mois, la situation empire ».