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La secrétaire générale de La Cimade dénonce : les enfermements arbitraires, les violences et les mises à l’isolement répétées, un climat de stigmatisation grandissante, les expulsions illégales

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Source : Médiapart - Sarah Brethes, Sheerazad Chekaik-Chaila - 02/12/2021

Qui sont les vingt-sept hommes, femmes et enfants qui ont péri dans la Manche en tentant de rallier la Grande-Bretagne ? Il faudra des semaines, voire des mois pour les identifier formellement. Pour l’heure, Mediapart a réuni les visages de dix de ces exilés, afghans et kurdes irakiens, portés disparus depuis le naufrage du 24 novembre.

« Je veux voir son corps. Il faut qu’on sache, il faut nous dire. » Amanullah, yeux cernés emplis de larmes, enrage devant la morgue de l’institut médico-légal de Lille. Depuis près d’une semaine, ce jeune Afghan fait le tour des hôpitaux de la région, envoie à la chaîne photos et mails aux gendarmes. Il y décrit son cousin Husain, 24 ans, sa « cicatrice sur le front, au-dessus du nez », la doudoune noire et les baskets blanches « toutes neuves » qu’il portait le 24 novembre, jour du pire naufrage d’un bateau emportant des exilés dans les eaux glacées de la Manche.

Quelques jours plus tôt, Husain, qui voyageait avec deux compagnons de route, avait fait escale à Amiens dans le studio de son ami Zar Mohmmad. Après un séjour de quelques mois en Afghanistan, où deux d’entre eux s’étaient mariés, les trois hommes voulaient retrouver l’Angleterre, où ils travaillaient dans le bâtiment depuis plusieurs années.

Zar Mohmmad montre le passeport de Husain. © Photo Sarah Brethes / Mediapart

Bouleversé, Zar Mohammad fait apparaître sur son smartphone le dernier message de son ami Husain, envoyé le 23 novembre, à 12 h 33 : « Nous sommes dans le campement. On va tenter de passer ce soir, on croise les doigts. » « Il s’est marié en Afghanistan il y a sept mois, il voulait retourner en Angleterre pour travailler. Une personne qui travaille peut nourrir toute une famille en Afghanistan, résume Zar Mohmmad, qui a, lui, obtenu le statut de réfugié en France. C’est difficile ici, on ne peut pas travailler, alors les gens finissent par partir, et ils meurent. »

Par peur d’être expulsé en cas d’arrestation en France, Husain avait laissé son passeport et sa carte d’identité à Amiens, chez son ami. Ce dernier les a conservés dans un sac plastique soigneusement replié qu’il a remis à Jan Kakar, président de l’association de solidarité et culturelle des Afghans de Paris.

Depuis le naufrage, cet interprète, qui a longtemps officié pour la police aux frontière (PAF) de Calais, centralise les appels des proches à la recherche de disparus, grâce à un appel posté sur sa page Facebook. Les messages vocaux, photos, copies de passeports arrivent sans cesse sur son téléphone, jour et nuit, d’Afghanistan, du Pakistan, de France, de Grande-Bretagne ou encore de Belgique. « Les passeurs, il faut qu’ils arrêtent, ils mettent 40 personnes sur des bateaux prévus pour dix. C’est dur », lâche-t-il.

Ahmad et Hamdullah.

« C’était une personne exceptionnelle »

Au lendemain de l’annonce du naufrage, la liste de disparus qu’il a dressée comportait une dizaine de noms. Puis de « bonnes » nouvelles sont arrivées : certains de ses compatriotes étaient à bord d’un autre bateau et avaient été interpellés à leur arrivée sur les côtes britanniques.

Mercredi, cinq noms, ceux de cinq hommes, jeunes pour la plupart, restaient sur sa liste : ceux d’Husain et de ses deux compagnons, Naeem et Shahwali. Et puis Ahmad, né en 1994, et Hamdullah, né en 1991.

Il a joint des amis en Angleterre à 2 heures du matin pour leur demander d’appeler le commissariat. Il leur a dit qu’ils allaient mourir, qu’ils avaient appelé la police anglaise mais que ça n’avait rien donné.
Ghafour, ami de Naeem, porté disparu

Mercredi matin, Jan Kakar a réuni leurs proches dans un pavillon de Seine-Saint-Denis. Après avoir partagé un thé brûlant dans une ambiance pesante, ils sont partis à bord de quatre voitures, direction l’institut médico-légal de Lille, où les corps sont conservés en attendant d’être formellement identifiés.

Ghafour faisait partie du convoi. Il cherche son ami Naeem, 40 ans, qui avait demandé l'asile en Grande-Bretagne. Quand il a appris pour le naufrage, Ghafour a appelé les amis de Naeem qui vivent Outre-Manche : « Ils m’ont dit qu’il les avait joints à 2 heures du matin pour leur demander d’appeler le commissariat. Il leur a dit qu’ils allaient mourir, qu’ils avaient appelé la police anglaise depuis le bateau mais que ça n’avait rien donné. Deux minutes après, son téléphone ne répondait plus. »

Husain, Naeem et Shahwali.

Naeem vivait en fait en Grande-Bretagne depuis 2009. Il revenait d’Afghanistan où il était rentré quelques mois voir sa famille : une femme, quatre enfants, deux filles et deux garçons, énumère à voix basse Ghafour.

Adam a lui aussi fait la route pour Lille mercredi depuis la banlieue parisienne. C’était son deuxième voyage dans les Hauts-de-France en quelques jours. Vendredi, il avait pris le train pour Calais, avant d’errer dans les « jungles » du côté de Dunkerque à la recherche de son ami Shahwali, âgé d’une vingtaine d’années. Après avoir croisé le chemin de trois hommes qui l’avaient aperçu avant le naufrage, il a dormi dehors et repris un train pour Paris, transi et désespéré.

Sur son smartphone, il fait défiler une vidéo TikTok où ils apparaissent ensemble dans un parc parisien, riant sous un soleil estival. Puis une photo où l’on voit Shahwali appuyé sur une table de billard, jean délavé et polo bordeaux, traits fins et sourire discret. « C’était une personne très gentille, exceptionnelle, je le respectais beaucoup », souffle-t-il en pachtou.

Le petit garçon voulait devenir coiffeur, la grande fille artiste, la petite institutrice.
Abdul Saabor, photographe

Adam, qui vient comme Shahwali de la ville de Logar en Afghanistan, explique que son ami avait déjà passé six ans en Grande-Bretagne, où il était arrivé mineur et travaillait dans le bâtiment. L’année dernière, il est rentré au Pakistan, où sa famille est exilée, pour se marier : « Il a un enfant qu’il n’a jamais vu », murmure-t-il. Shahwali voulait retourner en Angleterre pour travailler afin de faire vivre sa famille restée au pays, « car en France et en Italie, nous, les Afghans, on ne peut pas », dit Adam.  

« Beaucoup de membres de sa famille et d’amis de Shawali m’appellent et m’écrivent depuis la semaine dernière, c’est quelqu’un qui était très aimé », ajoute Jan Kakar, président de l’association

Mercredi, les proches de ces Afghans n’ont pas été autorisés à reconnaître les corps et sont repartis sans aucune réponse à leurs questions et leurs angoisses. Ceux qui ont des liens de sang avec les victimes présumées ont été invités à se rendre à la gendarmerie de Pontoise, dans le Val-d’Oise, pour y laisser leur ADN. Le frère d’Ahmed y est allé jeudi pour faire les prélèvements. Le processus d’identification sera long, pour eux comme pour les autres naufragés.

Parmi ces derniers figurent aussi, selon le Times qui les avait rencontrés mi-novembre dans le camp de Grande-Synthe, Khazal, une mère de famille kurde d’Irak de 46 ans et ses trois enfants, Hadia, 22 ans, Mubin, 16 ans, et Hasti, 7 ans. Le journaliste, Tom Ball, retrace leur rencontre dans un article publié après le naufrage. C’était une semaine avant le drame, un jour de grand froid. La police venait de passer la veille pour chasser tout le monde. Comme après chaque expulsion, beaucoup s’étaient retrouvés privés de tente et de sac de couchage. Khazal Ahmad et ses enfants avaient tout perdu dans l’évacuation.

La mère de famille avait offert un thé au journaliste, qui lui demandait si la traversée de la Manche sur un petit bateau l’inquiétait. « Bien sûr, j’ai très peur, lui avait-elle répondu. L’idée que mes enfants et moi allions dans ce bateau m’inquiète à chaque minute. Mais regardez où nous en sommes : nous ne pouvons pas rester ici. »

Khazal, une mère de famille kurde d’Irak de 46 ans, en novembre 2021 à Grande-Synthe. © Photo Abdul Saboor

Le photographe afghan Abdul Saboor, qui accompagnait notre confrère, se souvient avec émotion de cette famille qui tentait de se réchauffer autour d’un feu de palettes. « Il n’avaient rien à manger, pas d’eau. Je lui ai dit qu’elle ressemblait à ma mère, elle a souri », raconte-t-il à Mediapart. « Le petit garçon voulait devenir coiffeur, la grande fille, artiste, la petite, institutrice. Les enfants étaient souriants, ils étaient excités à l’idée d’aller en Angleterre, pleins d’espoir. Ils m’ont demandé quel temps il faisait là-bas », poursuit-il. La mère, elle, était « triste et fatiguée ».

« Je suis retourné là-bas, je voulais les revoir, on m’a dit qu’ils étaient partis sur l’eau. C’est le journaliste du Times qui m’a dit qu’ils étaient morts, conclut le photographe. Je travaille depuis des années à Calais, je n’ai jamais rien vu d’aussi triste. »

Dans un campement près de Dunkerque, un homme brun a aussi raconté à Mediapart avoir croisé cette famille : « Je l’ai rencontrée il y a un mois dans une autre jungle. Je lui ai dit : “T’es kurde ? Tu viens d’où ?” Elle m’a donné le nom de son village. » Darbandikhan, en Irak, à une centaine de kilomètres du Kurdistan iranien.

Maryam Nuri Hama Amin, avait 24 ans et voulait rejoindre son fiancé Karzan, installé en Grande-Bretagne. © Photo Safin Hamed / AFP
37 morts depuis le début de l’année

Une autre victime du naufrage venait elle aussi, d’après le Daily Mail, du Kurdistan irakien. Elle s’appelait Maryam Nuri Hama Amin, avait 24 ans et voulait rejoindre son fiancé Karzan, installé en Grande-Bretagne. Celui-ci était avec elle au téléphone au moment du naufrage, et c’est lui qui a prévenu sa famille. « Je ne savais pas qu’elle allait partir clandestinement », a dit son père à l’AFP, qui a rencontré la famille de la jeune fille à Soran, à 130 kilomètres de la capitale régionale, Erbil.

Si la famille de Maryam a la certitude qu’elle était à bord du pneumatique, les proches des autres disparus devront attendre des semaines, voire des mois pour savoir s’ils étaient avec elle.

Beaucoup de larmes sont versées par les autorités mais les dernières annonces renforcent la létalité des frontières, c’est absurde.
Juliette Delaplace, du Secours catholique

Depuis 2017, à Calais, un collectif interassociatif baptisé Groupe décès œuvre pour redonner une identité aux exilés et leur éviter un enterrement sous X. Selon Juliette Delaplace, chargée de mission auprès des personnes exilées sur le littoral nord pour le Secours catholique, la frontière avait déjà fait 15 morts en 2020. Avec le naufrage, le bilan dressé par les associations atteint 37 morts et 7 disparus depuis le début de cette année, tandis que le gouvernement en décompte 30, et 4 disparus.

« On recense 340 décès depuis 1999. Depuis ce naufrage, beaucoup de larmes sont versées par les autorités mais les dernières annonces renforcent la létalité des frontières, c’est absurde », estime Juliette Delaplace.

Cette fois, étant donné l’ampleur inédite du drame, le collectif a laissé la main à la Croix-Rouge, chargée de centraliser tous les signalements et éléments d’identification, qu’elle transmettra ensuite à la gendarmerie. Sa mission : « Collecter le maximum d’éléments sur la personne : description physique, cicatrices, tatouages, bijoux, photos », explique Florence Boreil, responsable du pôle rétablissement des liens familiaux. En raison de l’enquête judiciaire en cours, la Croix-Rouge refuse de préciser où en est le processus d’identification, et la nationalité des victimes.

Dans un communiqué de presse diffusé mercredi, le parquet de Paris, qui coordonne les investigations judiciaires, a indiqué que le travail d’identification sera mené conformément à une méthode internationale validée par Interpol, sous la houlette de l’institut de recherches criminelles de la gendarmerie nationale. Outre les éléments recueillis par la Croix-Rouge, les gendarmes travailleront notamment sur la base des empreintes digitales, des relevés dentaires et des prélèvements ADN des victimes. L’identification formelle devra ensuite être validée par « une commission d’identification », à l’issue de laquelle les permis d’inhumer pourront être délivrés.

Mubin, 16 ans, et Hasti, 7 ans, le fils et la fille de Khazal, à Grande-Synthe en novembre 2021. © Photo Abdul Saboor

En attendant, restent les témoignages des deux rescapés, un Somalien et un Kurde d’Irak. Dans une interview diffusée par la télévision kurde, Mohammed Shekha, 21 ans, a confirmé que la famille de Khazal était à bord avec lui.

Il raconte qu’un groupe d'une trentaine de personnes a pris la mer ce soir-là et qu’au petit matin l’eau a commencé à s’infiltrer dans leur bateau gonflable, instable et surchargé. Alors que des passagers tentaient d’évacuer l’eau, un gros navire serait passé à proximité. D’après son récit, Mubin, le fils de Khazal, passe alors plusieurs appels téléphoniques de détresse. Le survivant poursuit : « Nous avons appelé la police française, qui nous a dit d’envoyer notre emplacement en direct. Nous le leur avons donc envoyé, mais ils ont dit : “Vous êtes en territoire britannique, nous ne pouvons rien faire.” Nous avons ensuite appelé les Britanniques, mais ils ont dit : “Non, appelez les Français !” »

Le moteur du bateau finit par s’arrêter, décrit-il. Le pneumatique se dégonfle, puis coule. Ramenés par les courants vers les eaux françaises, les naufragés à la dérive se tiennent par les mains dans une mer glaciale. Avant de sombrer les uns après les autres. « Nous sommes morts là-bas et ils ne sont pas venus nous aider », accuse Mohammed Shekha, bouleversé.

Interrogé par Mediapart, le ministère de l’intérieur britannique affirme que « les gardes-côtes britanniques n’ont pas été appelés par les personnes sur le bateau » mais « par les autorités françaises quand elles ont eu besoin d’aide ». « Les gardes-côtes ont répondu immédiatement en envoyant un hélicoptère en quelques minutes » ; « le ministère sait ce qu’a dit le survivant, mais ce n’est pas possible que cela se soit passé comme ça », ajoute-t-on. Côté français, le parquet de Paris a refusé de répondre à nos questions, invoquant le secret de l’enquête.

 

 

 


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