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Source : Médiapart - Nejma Brahim et Camille Polloni - 14/12/2021

Trois semaines après le naufrage qui a fait au moins 27 morts au large de Calais, le patron de l’Office central pour la répression de l’immigration irrégulière, Xavier Delrieu, détaille le long travail de démantèlement des filières.

Le commissaire divisionnaire Xavier Delrieu est à la tête de l’Office central pour la répression de l’immigration irrégulière et de l’emploi d’étrangers sans titre (Ocriest) depuis deux ans. Cet ancien inspecteur, âgé de 56 ans, dirige les 123 policiers de cet office à compétence nationale. Mediapart l’a rencontré dans son bureau, en Seine-et-Marne.

Avez-vous un exemple de réseau démantelé récemment ?

Xavier Delrieu Nous avons démantelé un gros réseau de « small boats » il y a trois semaines, avec seize interpellations et treize personnes écrouées. Il organisait l’intégralité des filières et toute la logistique : l’acheminement des bateaux, la livraison sur les côtes, le recrutement des migrants, le paiement des passeurs et des guetteurs.

Quel est le profil des têtes de réseau ?

Des Irako-Kurdes connus de nos services, bien implantés dans le Nord, avec une filière d’approvisionnement à l’étranger. Ils sont en France depuis un certain temps, parfois dans la clandestinité, parfois avec des titres de séjour. D’autres vivent en Allemagne. Ils communiquent par messagerie cryptée, par WhatsApp.

Depuis combien de temps cette affaire vous occupait-elle ?

Environ un an. 90 % de notre travail est de l’initiative, on a peu de saisine directe des magistrats, sauf dans une affaire comme celle des 27 noyés. Nous travaillons principalement en renseignement, pour voir s’il y a matière à judiciariser. Nous avons accès à des écoutes administratives, des informateurs, des renseignements qui viennent des officiers de liaison et d’autres partenaires à l’étranger. Si un Français est interpellé dans les Balkans dans une fourgonnette, avec des migrants à l’intérieur, on va en être informés et vérifier si cette personne ou son véhicule sont connus dans nos fichiers.

Un policier de l'OCRIEST avec un suspect lors d'une perquisition dans un appartement à Viry-Chatillon, le 3 mars 2014. © Photo Martin Bureau / AFP

Comment fonctionne l’Ocriest ?

L’Ocriest enquête pour démanteler des réseaux de trafiquants de migrants, dans le Calaisis mais aussi aux frontières italienne et espagnole. Nous coordonnons l’ensemble des affaires judiciaires lancées par les 45 brigades mobiles de recherche (BMR) sur l’ensemble du territoire et dressons des bilans statistiques nationaux. Nous sommes amenés à travailler avec la Juridiction nationale chargée de la lutte contre la criminalité organisée (Junalco), les juridictions interrégionales spécialisées (Jirs) ou les tribunaux judiciaires de Calais ou Dunkerque, mais aussi Évry, Melun, Bobigny, Créteil, etc. Parfois c’est en co-saisine avec des BMR locales, bien placées pour détecter des filières, ou bien en nous appuyant sur nos propres renseignements pour lancer des enquêtes. 

Où mettez-vous le curseur entre petite délinquance et criminalité organisée ? Une partie des « passeurs » peuvent être dans le besoin et eux-mêmes exploiter d’autres personnes…

Les passeurs ne sont pas des grands criminels, même s’ils commettent des infractions qui doivent être sanctionnées. Ils sont parfois sous la coupe et l’emprise des réseaux et travaillent pour payer leur propre passage. Ils sont donc à la limite entre auteur et victime. 

L’Ocriest ne travaille pas sur les passeurs mais sur les trafiquants. La criminalité organisée suppose qu’il y ait une structuration, une réitération des faits, une rémunération. 

Un passeur peut nous intéresser en renseignement, pour voir s’il y a matière à démarrer une enquête sur un réseau structuré, s’il est connu dans nos bases de données, s’il parle, si son téléphone contient des numéros irakiens, anglais, allemands nous permettant de remonter à un réseau. 

N’est-il pas plus simple d’atteindre ces passeurs que les têtes de réseau, souvent dans l’ombre ?

Notre travail de fond, plus long, consiste justement à les arrêter. Une enquête sur un réseau de trafiquants en small boats peut durer de trois mois à un an, voire un an et demi. Je fais souvent la comparaison avec les trafics de stupéfiants, même si ce sont des réseaux criminels hermétiques les uns par rapport aux autres. 

Comment sont acheminés les bateaux qui servent aux traversées ?

Des réseaux irako-kurdes ont mis en place un système d’importation de bateaux qui viennent de Chine, passent par la Turquie, sont acheminés par voie terrestre en Allemagne ou aux Pays-Bas et sont ensuite stockés là-bas, comme des stups, dans des entrepôts secrets. 

Un ou deux jours avant la traversée vers la Grande-Bretagne, les bateaux sont redispatchés selon les besoins vers la France, parfois via la Belgique. Ils laissent les Zodiac dégonflés, le moteur et les gilets de sauvetage dans des coffres de voiture ou des fourgonnettes, le temps que la mise à l’eau se fasse. Ou bien ils les enterrent sur les plages. Quand les conditions météo sont favorables, ils n’ont plus qu’à amener les migrants, ce qui diminue le risque d’être contrôlé et interpellé.

Pourquoi est-il est aussi compliqué d’empêcher l’acheminement de ce matériel dont on connaît le parcours ?

D'abord, il n’y a pas de coopération avec la Chine et la Turquie. Tout l’enjeu pour nous est de mettre l’Allemagne dans la boucle. Jusqu’à maintenant, l’Allemagne considère que le fait de fournir des bateaux à des trafiquants de migrants organisant des traversées depuis la France n’est pas une infraction. Il est vrai que vendre un bateau, dans l’absolu, n’est pas illégal. Ils ont des réticences à ouvrir des enquêtes, mais je pense que ça va évoluer.

Dans 80 % de nos dossiers, on a des connexions avec l’Allemagne : soit les migrants ou les bateaux viennent d’Allemagne, soit des têtes de réseau y sont installées. On ne pourra pas résoudre ce phénomène sans une coopération franche et complète de l’ensemble de ces pays.

Êtes-vous ralentis ou entravés, comme dans la lutte contre la délinquance financière, par le fait que toutes vos investigations ont un caractère transnational ?

Forcément, ça fait perdre du temps. Quand on identifie un réseau très structuré, avec une partie à l’étranger, notre but est de les interpeller rapidement pour éviter des drames comme celui qu’on a connu fin novembre. Parfois, le pays partenaire a moins d’urgence que nous.

Des événements comme le naufrage du 24 novembre ou la découverte de 39 migrants vietnamiens morts dans un camion frigorifique à Londres, en 2019, ont-ils un impact sur votre travail ? 

Sur ces deux exemples, l’Ocriest a mis deux groupes d’enquêteurs sur l’affaire, soit une vingtaine de personnes. Ce sont des dossiers prioritaires. On met tous les moyens possibles parce qu’il y a des morts, il y a l’aspect médiatique, et ce sont des dossiers qui ne nous laissent pas insensibles. Nous avons à cœur d’identifier les trafiquants et de les mettre au trou. Dans ces affaires-là, les migrants sont avant tout des victimes. 

L’affaire des 39 Vietnamiens retrouvés dans le camion frigorifique [un procès se tient les 15 et 16 décembre à Bruges - ndlr], c’est nous qui l’avons traitée, avec la Junalco. Tous les chargements ont eu lieu en France et on travaillait déjà sur les Vietnamiens depuis plusieurs années. On a pu ouvrir un dossier pour identifier le réseau et le démanteler. Les premières interpellations ont eu lieu dix mois après, grâce à une équipe commune d’enquête avec la Belgique, la Grande-Bretagne et les Pays-Bas.  

Ce type d’événements amène-t-il les filières à se réorganiser ? Où en sont les tentatives de passage par la Manche depuis le naufrage du 24 novembre ?

On essaie d’anticiper. Actuellement, il y a moins de traversées pour plusieurs raisons : il y a la grosse affaire qu’on a faite, ce naufrage et les conditions météo. C’est un ensemble. Mais ça ne veut pas dire que ça ne reprendra pas demain, une fois l’émotion passée et la météo favorable revenue.

On voit le changement de mode opératoire d’un réseau au fil d’une enquête. Avant, les réseaux faisaient surtout du chargement de poids lourds la nuit, sur les aires d’autoroute. Pendant que le chauffeur dormait, les trafiquants chargeaient des migrants. Depuis 2019, ils se sont rabattus sur les small boats.

Avec le renforcement des contrôles ? 

Oui, mais ça a vraiment commencé à exploser avec le confinement. Les passages en avion, camion ou voiture sont devenus compliqués. Le bateau est quasiment le seul moyen de passer vers la Grande-Bretagne. Les trafiquants se sont rendu compte que c’était très rentable : le prix moyen de la place sur un bateau va de 2 000 à 3 000 euros. Des réseaux d’acheminement de bateaux se sont mis en place, avec ces grands Zodiac sur lesquels on peut avoir 30 ou 40 migrants en moyenne, avec des pointes à 50 ou 60, alors qu’avant, c’était plutôt dix ou douze personnes par bateau.

La filière camion s’est-elle complètement asséchée ? 

Non, elle existe encore, mais depuis 2019, la proportion s’est inversée : environ 20 % des passages ont lieu par camions, 80 % par bateaux.

Le nombre de traversées a explosé cette année : plus de 22 000 personnes ont déjà réussi à passer. Comment l’expliquez-vous ?

Les trafiquants ont industrialisé leur activité criminelle. Ils ont commencé par acheter des bateaux dans des magasins dans le Nord, mais ça s’est su. Ils sont ensuite passés par des petites annonces, de type Le Bon Coin. Puis ils ont mis en place une chaîne d’approvisionnement par containers, avec 80 ou 100 bateaux qui arrivent d’un coup en Allemagne.

Avec ce mode opératoire, ça reste rentable, même si un bateau sur deux est intercepté, ou même deux sur trois. Le réseau qu’on a récemment démantelé disait faire 74 000 euros de bénéfice net par bateau et quatre bateaux par mois, soit 280 000 à 300 000 euros de bénéfice. Sur un an, ça représente plus de 3 millions d’euros de bénéfice, charges déduites.

Énormément de forces de sécurité intérieure sont déployées tous les soirs, une trentaine d’enquêtes sont en cours. Malgré tout, 40 % des bateaux arrivent à passer. On ne peut pas tous les intercepter. Notre stratégie est de créer de l’insécurité chez les trafiquants, jusqu’au jour où ils se diront que cela coûte trop cher.

Des associations et des chercheurs estiment que le renforcement des contrôles et la militarisation des frontières contribuent à renforcer l’ingéniosité des passeurs. Qu’en dites-vous ?

Les réseaux ont une très grande adaptabilité et sont inventifs. S’ils voient qu’un mode opératoire ne marche plus, ils en trouvent un autre. Dès qu’il y a des failles quelque part, ils s’engouffrent dans la brèche, comme en Biélorussie et en Pologne (lire ici ou nos articles). C’est un peu comme un cours d’eau qui déborde, l’eau arrive à passer même s’il y a un rocher, à moins de faire un barrage complet.

Vous faites le parallèle avec les stups, où même l’arrestation de gros trafiquants n’arrête pas la consommation ni la vente de drogue. Quel est votre moteur professionnel, puisque vous ne pouvez pas en venir à bout ?

Notre objectif est de démanteler des réseaux de criminalité organisée, tout en concourant à ce qu’il y ait moins de migrants qui risquent leur vie quand ils traversent vers la Grande-Bretagne. On sait qu’on ne va pas complètement stopper le phénomène, il faut être réaliste. Le but est de les ralentir, de les contrarier, de mettre des voyous en prison pour les empêcher d’être sereins dans leur trafic et de se sentir en totale impunité.

 

 


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