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Source : Médiapart - Nejma Brahim et Sarah Brethes - 18/12/2021

Après le naufrage qui a fait 27 victimes au large de Calais fin novembre, Gérald Darmanin avait annoncé que l’État prendrait en charge les inhumations des exilés. Toutefois, le rapatriement des corps, coûteux mais souvent réclamé par les familles, reste assuré par les associations et les pays d’origine.

Jeudi matin, à quatre heures, Samad Akrach a pris la route pour Lille depuis la banlieue parisienne. Pour la quatrième fois en trois semaines. Le président de l’association Tahara s’est rendu à l’institut médico-légal pour procéder aux toilettes rituelles de quatre victimes du naufrage du 24 novembre, des Afghans qui cherchaient à rejoindre l’Angleterre où ils travaillaient dans le bâtiment depuis plusieurs années (lire ici notre enquête). Et pour organiser l’acheminement des cercueils à l’aéroport Charles-de-Gaulle, en vue de leur rapatriement vendredi vers leur pays d’origine, via le Pakistan.

L’obsession de cet aide-soignant de 34 ans ? « Offrir des obsèques dignes » à ces exilés et « éviter qu’ils ne soient enterrés dans le carré des indigents, d’où on retire leurs os au bout de cinq ans ».

Mardi 14 décembre, la procureure de la République de Paris a rendu les premières conclusions de la commission d’identification des victimes, qui travaille dans le cadre d’une enquête suivie par la Junalco (Juridiction nationale chargée de la lutte contre la criminalité organisée) : dix-sept des vint-sept naufragés sont des Kurdes, d’Irak - quatre femmes âgées de 22 à 46 ans, un adolescent de 16 ans, une enfant de 7 ans et dix hommes âgés de 19 à 37 ans - et d’Iran - un jeune homme de 23 ans.

Calais, le 25 novembre 2021. Des habitants de la ville et des exilés sont réunis pour rendre hommage aux 27 personnes qui ont perdu la vie lors du naufrage de leur embarcation la veille. © Photo Marie Magnin / Hans Lucas via AFP

Trois Éthiopiens, deux femmes de 22 et 25 ans et un homme de 46 ans, une Somalienne de 33 ans, quatre Afghans âgés de 24 à 40 ans, un Égyptien de 20 ans et un Vietnamien de 29 ans - la dernière victime identifiée, jeudi 16 décembre - ont également été identifiés par la commission. Dans la foulée, 27 permis d’inhumer ont été délivrés par le parquet de Paris.

Avant même cette annonce, Samad avait déjà multiplié les allers-retours à Lille au volant de sa voiture pour accompagner des Afghans cherchant à identifier leurs proches et assurer les formalités administratives.

Un scénario qui se répète. Le président de l’association Tahara, qui œuvre pour assurer des obsèques « dignes » aux personnes sans ressources, gère de plus en plus de décès d’exilés aux frontières. Ces trois derniers mois, il a organisé le rapatriement de quatre Marocains morts au large des Canaries.

La plupart des victimes seront rapatriées dans leur pays d’origine

Contactée par Mediapart, la représentation du gouvernement régional du Kurdistan irakien indique avoir lancé « les démarches nécessaires pour rapatrier les 16 victimes au Kurdistan irakien dans les meilleurs délais ». Les rapatriements auront lieu dès la semaine prochaine, selon le prestataire funéraire, et seront pris en charge par le gouvernement du Kurdistan d’Irak.

Ce sont habituellement les associations actives sur le littoral Nord – et plus particulièrement le « groupe décès », composé notamment du Secours catholique, d’Utopia 56, de l’Auberge des migrants ou de la Croix-Rouge – qui lancent les démarches pour les inhumations ou rapatriements concernant des exilés décédés à la frontière. Mais au vu de l’ampleur du drame, la Croix-Rouge a cette fois été la principale structure associative officiellement mobilisée sur cette affaire. Sollicitée par Mediapart, celle-ci a refusé de s’exprimer.

C’est un drame tellement terrible qu’on ne peut pas, en plus, demander de l’argent à ces familles de demandeurs d’asile sans ressources
Jan Kakar, président de l’association des Afghans de Paris

Bien souvent, les familles des exilés souhaitent enterrer les corps des défunts sur leurs terres mais n’ont pas les moyens de financer les rapatriements, dont le coût est compris, en moyenne, entre 3 000 et 5 000 euros, selon les associations et pompes funèbres interrogées.

« Les familles veulent absolument voir les corps de leurs proches, c’est très important », explique Jan Kakar, président de l’association des Afghans de Paris, qui a géré les signalements de disparition et accompagné les proches des victimes. « C’est un drame tellement terrible qu’on ne peut pas, en plus, demander de l’argent à ces familles de demandeurs d’asile sans ressources, qui vivent dans des pays en guerre », ajoute-t-il.

Après le naufrage du 24 novembre, Jan Kakar a sollicité Samad Akrach, qui a très vite activé ses réseaux : « Quand ils ont su que c’était pour les victimes du naufrage, les partenaires avec lesquels j’ai l’habitude de travailler m’ont offert les cercueils et prêté deux corbillards pour le transport des corps jusqu’à Roissy Charles-de-Gaulle. » Restent à la charge de son association la conservation des corps à l’aéroport et les billets d’avion. « Cette fois, cela ne coûtera que 200 euros par cercueil. Étant donné le drame, la société m’a dit qu’ils pouvaient faire un geste », précise-t-il.

Pour financer, le militant puise dans les ressources de son association, alimentées par des dons et les services qu’il rend aux sociétés de pompes funèbres.

Pour les morts à la frontière dont les proches ont accepté une inhumation en France, comme pour ceux qui n’ont pas pu être identifiés – c’est le cas pour de nombreux migrants morts en Méditerranée –, l’organisation de l’enterrement est une obligation du service public, qui incombe à la mairie.

« Les cimetières doivent avoir des “terrains communs”, autrefois appelés “carrés des indigents”, pour pouvoir inhumer les personnes sans ressources, explique Eva Ottavy, responsable des solidarités internationales à la Cimade, association d’aide aux étrangers. Pour les obsèques, chaque mairie fixe un “minimum” : par exemple, deux personnes des pompes funèbres pour porter le cercueil, quelques mots prononcés, un bouquet de fleurs. En Italie, pour les personnes non identifiées, on ajoute parfois un petit écriteau avec le jour du naufrage. » Un nom peut aussi être apposé sur la sépulture, s’il est connu.

Eva Ottavy a par ailleurs construit un guide destiné à aiguiller les associations d’aide aux migrants, en France, en Italie ou aux Comores, dans la prise en charge des décès et des obsèques – des procédures à la fois douloureuses humainement et lourdes sur le plan administratif.

On a déjà eu le cas d’un rapatriement pour un Kurde dont le corps est resté bloqué un an à la morgue car il manquait un document
Une membre de l’association Solidarity Border

Légalement, tous les cinq ans, un arrêté municipal peut autoriser « la levée des corps » : les ossements sont alors retirés des tombes, incinérés et placés dans un ossuaire, et la mairie récupère les emplacements. « Ce qu’on comprend, en échangeant avec les mairies et les cimetières, c’est qu’en pratique on attend plutôt 10 ou 15 ans », relève la représentante de la Cimade.

Selon l’association Solidarity Border, qui vient en aide aux exilés sur le littoral dunkerquois et qui participe, avec la Croix-Rouge, aux démarches concernant les naufragés du 24 novembre, aucune victime ne sera finalement inhumée. « Toutes les familles ont demandé un rapatriement pour leur proche décédé, indique la structure. Les familles ont jusqu’à vendredi [17 décembre] pour voir les dépouilles, dans un souci de conservation des corps. »

Les procédures administratives, qui peuvent être assez lourdes et longues, sont cette fois accélérées. « Le plus souvent, le temps de réunir les passeports et documents nécessaires aux démarches, c’est assez long. Les rapatriements peuvent prendre plusieurs semaines, parfois plus. On a déjà eu le cas d’un rapatriement pour un Kurde dont le corps est resté bloqué un an à la morgue car il manquait un document », poursuit une membre de Solidarity Border.

Depuis 1999, 340 personnes ont perdu la vie à la frontière franco-britannique, dont 15 en 2020. Le 28 septembre dernier, Yasser, un Soudanais âgé de 20 ans, est mort fauché par un camion en tentant la traversée. « On compte six personnes disparues et sept dont le corps n’a pas été retrouvé. Le naufrage du 24 novembre s’inscrit dans un contexte particulièrement grave, qui montre combien la politique menée est meurtrière », rappelle Juliette Delaplace, chargée de mission « personnes exilées sur le littoral Nord » au Secours catholique, qui assistait à l’enterrement d’un exilé le matin même du naufrage au large de Calais.

Depuis des années, les associations pallient les absences de l’État

Les réponses apportées au drame – deux hélicoptères et un avion de l’agence européenne de surveillance des frontières Frontex, survolant la Manche – sont « loin de prévenir » sa réitération, selon elle. « En réunion cette semaine, la sous-préfète a d’ailleurs admis que cela se produirait de nouveau. Mais les autorités sont dans un logiciel aveugle, déconnecté de la réalité, visant à dire que ce n’est pas de leur responsabilité mais de celle des passeurs. »

Avec le naufrage, le bilan dressé par les associations atteint 37 morts et 7 disparus depuis le début de cette année, tandis que le gouvernement en décompte 30, et 4 disparus. Le 10 décembre, un corps sans vie a été remonté dans les filets d’un pêcheur au large de Calais, mais celui-ci n’aurait pas de lien avec le naufrage, selon le parquet de Paris : « Des analyses de comparaisons [...] n’établissent pas de correspondance avec l’une des personnes déclarées disparues après le naufrage du 24 novembre 2021. »

Pour les associations participant aux démarches, la tâche se révèle particulièrement difficile : alors que leur mission principale vise à venir en aide aux exilés sur le littoral et à tout mettre en œuvre pour améliorer leurs conditions de vie, elles se retrouvent contraintes, faute de soutien de la part de l’État, à organiser leurs obsèques et rapatriements éventuels lorsque ces derniers décèdent à la frontière.

Il y a toujours eu des personnes impliquées pour permettre l’identification des victimes et assurer un enterrement dans le respect de la volonté des familles
Juliette Delaplace, chargée de mission au Secours catholique

« Les associations font ce travail-là depuis des années en palliant les absences de l’État. Ce ne sont pas des moments faciles pour nous et ce sont des démarches très lourdes. On aimerait que ce soit appliqué à chaque personne qui meurt, mais surtout qu’il n’y ait plus de morts », insiste Nathanaël Caillaux, chargé de mission « migration » au Secours catholique dans les Hauts-de-France.

L’organisation, qui a pour habitude d’organiser les démarches liées aux inhumations et rapatriements des migrants décédés à la frontière, n’a cette fois pas été mobilisée. « Les décès à la frontière datent de son existence, et il y a toujours eu des personnes impliquées pour permettre l’identification des victimes et assurer un enterrement dans le respect de la volonté des familles », complète Juliette Delaplace.

En 2017, la création du « groupe décès » a permis de formaliser l’aide apportée aux proches de victimes. Un processus « complexe », visant d’abord à identifier les victimes et à faire le lien avec les familles, les pompes funèbres et les autorités. « Ensuite, les associations organisent le plus souvent un appel aux dons et tentent d’aider les proches à vivre cette période de deuil le plus dignement possible », poursuit Juliette Delaplace.

Brahim, gérant des pompes funèbres Bab el Jenna, présentes dans le Calaisis, entretient des liens étroits avec le « groupe décès ». « Le plus souvent, c’est le Secours catholique qui m’informe du décès. Je me mets alors en relation avec la police, qui me donne le corps. Quand on a un contact avec les proches, on cherche à savoir s’ils préfèrent une inhumation en France ou un rapatriement, et on organise la suite. »

Les pompes funèbres participent aux frais, en « offrant » certains services. « Pendant longtemps, on finançait tout, seuls. L’État ne nous a jamais aidés. Mais on fait ça pour les défunts, pour qu’ils soient protégés et partent dignement », souligne modestement Brahim. Le Secours catholique complète, de même que certains consulats. « Le consulat irakien nous aide de temps en temps pour les rapatriements. Parfois, ils m’annoncent avoir un budget qu’ils n’ont plus ensuite. Moi, je ne peux pas laisser les gens dans les morgues, donc je finis par m’en occuper, même si je n’ai pas reçu l’argent. »

Certains souhaitent que le corps soit rapatrié dans le pays d’origine, d’autres préfèrent qu’il soit enterré le plus vite possible, dans le respect des traditions et rites religieux. Pour l’inhumation de personnes de confession musulmane, la prise en charge par les mairies reste très sommaire, regrette la représentante du Secours catholique. « Les personnes sont enterrées dans le carré des indigents, sans toilette mortuaire ou prière, ce qui ne correspond pas au souhait de la famille. C’est donc la solidarité communautaire et confessionnelle, à travers les mosquées, les églises, les habitants des alentours et les associations qui s’en occupent. »

Les cagnottes peuvent atteindre 2 000 euros pour une inhumation, entre 3 000 et 5 000 euros pour un rapatriement. « La moindre des choses serait de financer les rapatriements [des victimes du naufrage] aussi, ce serait une forme de respect pour les personnes décédées », complète Nikolaï, de l’association Utopia 56. Ce dernier reconnaît tout de même un « pas en avant » dans la prise en charge des inhumations pour ce naufrage, mais qui s'explique surtout, selon lui, par l’ampleur du drame et sa médiatisation. « Ça devrait être tout le temps comme ça. Sur les naufrages qu’on a déjà eus par le passé, il n’y a rien eu. »

Pour Nathanaël Caillaux, l’État français ne va pas au bout des choses. « Il n’exauce que partiellement le vœu des familles et finit par choisir à leur place en décidant de ne prendre en charge que les inhumations. Ces grandes petites annonces sont un leurre, car l’État refuse de voir où est le fond du problème, dénonce-t-il. Ces exilés sont avant tout des victimes des politiques migratoires française et britannique. Il faudrait donc faire en sorte que ça ne se reproduise pas, avec un changement dans les politiques menées à la frontière. »

 

 


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