Source : Le monde - Michaël Calais - 20/12/2021
En France, la démarche de territorialisation des politiques d’immigration et d’intégration reste aujourd’hui limitée au droit d’asile. Une politique assurant une plus grande favoriserait l’insertion des nouveaux arrivants ainsi que le rééquilibrage de la croissance démographique explique, dans une tribune au « Monde », Michaël Calais, haut fonctionnaire territorial.
Tribune. Dans les débats binaires sur l’immigration qui agitent la France à la faveur de la campagne présidentielle, peu de choses ont été dites sur ce qu’il faudrait faire pour améliorer les capacités d’intégration des immigrés au sein de leur pays d’accueil.
Sur ce sujet, une étude de l’Organisation de coopération et de développement économiques récemment publiée a montré qu’une trop forte concentration géographique des immigrés peut nuire à leur bonne intégration à long terme. Une répartition territoriale plus équilibrée de l’immigration est donc nécessaire, à l’instar de celle qu’avait mise en place l’Allemagne pour l’accueil des réfugiés lors de la crise migratoire de 2015-2016.
Concentration
En France, cette démarche de territorialisation des politiques d’immigration et d’intégration reste aujourd’hui limitée au droit d’asile. Généralisée, elle permettrait d’orienter les parcours d’immigration vers des offres d’accueil et d’intégration exprimées par les territoires.
Les études de l’Insee et de France Stratégie montrent que la population immigrée de la France se concentre dans quelques régions (Ile de France, Sud, Auvergne-Rhône-Alpes, Grand Est…), dans les grandes aires urbaines, et, en leurs seins, dans des quartiers dont les périmètres coïncident largement avec ceux de la politique de la ville.
En parallèle, les « petites et moyennes aires, campagnes isolées restent à l’écart de la croissance », portée par les grandes métropoles (Insee, 2018). Dans ces territoires, il semble par ailleurs que le sentiment d’abandon puisse créer un terreau favorable aux idées radicales contre un étranger d’autant plus fantasmé qu’il est relativement peu présent.
L’engorgement des services et des capacités d’accueil, la ségrégation des populations immigrées et le décrochage démographique entre centres et périphéries ont des effets néfastes. Il est donc crucial de promouvoir une politique assurant une meilleure répartition territoriale et une plus grande territorialisation de l’immigration et de l’intégration en France.
Initiatives locales
En matière d’immigration politique, cet horizon a déjà inspiré une partie des lois n° 2015-925 et n° 2018-778, qui ont créé le schéma national d’accueil des demandeurs d’asile et des réfugiés, une clé de répartition des demandes entre régions, et conditionné les aides à l’accueil des demandeurs d’asile au respect par ceux-ci de critères géographiques.
A l’échelle locale, les collectivités territoriales prennent de plus en plus d’initiatives pour offrir aux réfugiés un accueil appuyé sur des services de base qui relèvent de leurs compétences (logement, insertion, aide sociale, enfance, culture…). De petites communes (Luzy, dans la Nièvre, Ferrette, dans le Haut-Rhin…) ont obtenu des résultats prometteurs qui peuvent être source d’inspiration pour les autres.
En matière d’immigration économique cependant, l’orientation et la sélection des candidats sont déterminées à l’échelle de périmètres très vastes (les listes régionales des métiers en tension, les plates-formes interrégionales de main-d’œuvre étrangère). Difficilement en phase avec les préférences et les besoins des écosystèmes politiques, économiques et sociaux locaux.
Pour l’avenir, il pourrait être intéressant de réfléchir à un schéma d’orientation territoriale des demandes de titres de séjour, et à un cadre permettant aux collectivités d’exprimer des offres d’installation pour des nouveaux arrivants : travail dans les services publics locaux, reprise de commerces de proximité, d’exploitations agricoles, rétablissement de l’offre de soins…
Critères objectifs
Un schéma d’orientation des demandes pourrait répartir les flux estimés à l’échelle nationale entre régions et types de territoires, en tenant compte de critères objectifs. Les collectivités volontaires pourraient ensuite contractualiser avec l’Etat en s’engageant à lancer des appels à candidatures pour des offres d’installation, définies à partir des besoins locaux.
Ces offres seraient accessibles aussi bien aux Français qu’aux étrangers, mais ces derniers seraient incités à y répondre par les administrations compétentes – préfectures, Office français de l’immigration et de l’intégration – et verraient leurs processus de droit au séjour et d’intégration facilités s’ils étaient retenus.
Un tel dispositif permettrait de lier davantage les parcours d’immigration aux besoins et aux offres exprimées à l’échelle locale. Il favoriserait l’insertion et l’intégration des nouveaux arrivants, la mixité sociale, culturelle et d’origines dans les territoires, et le rééquilibrage de la croissance démographique de la France, au bénéfice de sa cohésion sociale et territoriale.
Il serait financé par l’abondement des crédits et des effectifs de la mission « immigration, asile, intégration », qui, avec seulement 2 milliards d’euros de crédits proposés dans le projet de loi de finances 2022, ne représente qu’à peine 0,5 % du budget général de l’Etat, alors qu’elle revêt une importance stratégique majeure pour l’intérêt national.