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Source : Médiapart - Nejma Brahim - 25/01/2022

En 2021, de nombreuses personnes ont tenté de quitter l’Algérie et de rejoindre l’Europe par la mer, débarquant à Almeria, Carthagène ou aux Baléares. Dans le sud de l’Espagne, Mediapart s’est s’entretenu longuement avec un de ces « guides » qui déposent les « harraga » (exilés) en un aller-retour.

Almeria (Espagne).– Samedi 15 janvier au soir, près du port d’Almeria, Bachir, Malik et Tarek* remontent tranquillement vers leur logement, dans un quartier populaire à quelques kilomètres de la vieille ville. Tarek pose sa canette de Fanta, farfouille dans sa poche pour en sortir son trousseau de clés, puis ouvre la porte noire donnant sur rue.

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C’est dans ce baraquement, loué au mois avec plusieurs autres migrants marocains, qu’ils se réfugient depuis dix jours : Bachir et Malik sont en fait des passeurs algériens, qui ont pour habitude de faire l’aller-retour entre Oran et Almeria, où ils déposent des harraga, ces exilés algériens partis par la mer pour rejoindre l’Europe.

Mais cette fois, les choses ne se sont pas passées comme prévu. « La mafia du coin nous attendait à notre arrivée et a braqué des armes sur nous pour voler notre matériel. Elle s’en sert ensuite pour acheminer la drogue depuis le Maroc. On n’a pas eu d’autre choix que de fuir », relate Bachir, l’air dégoûté. Ils doivent rester en Espagne jusqu’à ce que les conditions météo s’améliorent et qu’un autre passeur fasse le voyage et en profite pour les récupérer.

Un bateau utilisé par les passeurs pour les traversées à Almeria, en Espagne, le 15 octobre 2021. © Photo Jorge Guerrero / AFP

« C’est la deuxième fois qu’ils nous font ça. Il va falloir qu’on trouve une solution. » L’habitation leur sert ainsi de planque lorsqu’ils ne retournent pas directement en Algérie, le plus souvent quand ils ont un problème avec l’embarcation ou le matériel.

C’est aussi là que certains harraga, débarqués grâce à leurs « services », font étape pour la nuit, avant de poursuivre leur chemin. « Il y a dix jours, on avait trois jeunes à la maison. Ils ont pris une douche, des vêtements neufs et je leur ai expliqué comment remonter en bus vers la France », raconte Tarek, l’aîné, âgé de 62 ans, qui précise connaître les points de passage à privilégier.

Lui n’en est pas à sa première traversée et connaît bien l’Europe. Il y a vécu près de 20 ans, de l’Espagne à la France, en passant par le Portugal, sans jamais réussir à obtenir ses papiers. « La première fois que je suis parti, j’avais 18 ans. C’était le début du phénomène et c’était beaucoup plus épisodique. »

Après être rentré deux fois au pays, il a de nouveau « brûlé » les frontières, et tente de s’en sortir comme il peut en Espagne. « J’ai eu des problèmes de santé en Algérie et on m’a demandé de payer très cher pour me soigner. On n’imagine pas ce que vivent les gens là-bas. » 

Parti trois mois plus tôt à bord d’un « boti » (du nom de ces bateaux en fibre de verre), cet ancien chauffeur de taxi « clandestin » laisse femme et enfant derrière lui, et espère pouvoir les faire venir dans un avenir proche. « Je n’arrivais plus à subvenir à leurs besoins. Je me dis que c’est ma dernière chance, même si ça me rend malade de ne pas voir mon fils chaque jour. »

Payé 15 000 euros par traversée

À l’entrée de la planque, deux lits individuels, recouverts d’une couverture, se font face. Deux boîtes de tabac entamées trônent sur la table basse qui sépare les lits, et Bachir comme Tarek piochent toutes les dix minutes à l’intérieur pour se rouler une cigarette – parfois, un joint – tandis que Malik, le troisième homme, plus méfiant, préfère rester dans la cuisine, au fond de l’appartement, enchaînant les coups de fil avec sa dulcinée.

« Au début, à notre rencontre, il a cru que vous étiez flic », confie Bachir dans un sourire, en remuant la tête de gauche à droite. Ce dernier n’était pas moins parano, à notre rencontre à proximité du port, jetant un œil partout autour de lui pour être sûr de ne pas être suivi.

Des embarcations utilisées par les passeurs à Oran. © Document Mediapart

À 35 ans, Bachir n’aurait jamais cru devenir « guide », du nom de ces passeurs déposant les migrant·es dans le sud de l’Espagne. C’est en 2018, lorsque son commerce (dont nous tairons l’emplacement et le domaine) voit son activité diminuer, qu’il commence à y songer. « Ça marchait très bien jusqu’au “Hirak” [le mouvement de contestation sociale ayant touché l’Algérie à partir de février 2019 - ndlr]. Ensuite, petit à petit, je travaillais de moins en moins. C’est devenu trop compliqué, le Covid nous a achevés », dit-il pour expliquer comment il est « tombé là-dedans ». En parallèle, de plus en plus d’Algériens et d’Algériennes issu·es de la classe moyenne, confronté·es à une crise majeure, politique mais aussi socioéconomique, sont tenté·es par la traversée.

Je ne prends jamais plus de dix personnes, jamais de femmes et d’enfants.
Bachir, passeur algérien

Un départ par la mer qui attirait surtout, depuis le début du phénomène de harraga dans les années 2000, de jeunes hommes sans emploi. « Aujourd’hui, on a un peu de tout. Des personnes qui revendiquent la liberté de bouger, des jeunes qui ont eu des ennuis avec la justice, des gens ayant des problèmes de santé ou qui sont dans la précarité… Des femmes aussi, qui se sont laissé convaincre qu’elles pourraient avoir des papiers en Europe et aider leurs proches à distance. Et enfin des familles entières, un couple et les enfants, qui espèrent tout recommencer à zéro. »

À ces profils viennent se greffer des migrant·es d’autres nationalités, marocaine, syrienne ou subsaharienne, qui font la traversée depuis les côtes algériennes pour gagner l’Europe.

Ce soir-là, Bachir enchaîne les coups de fil : tantôt des proches qui viennent aux nouvelles, tantôt des collègues qui parlent matériel à réparer ou GPS caché dans le sable à récupérer. Son second téléphone, qu’il utilise pour les « clients », explique-t-il, est éteint. « Sinon, c’est simple, il n’arrêterait pas de sonner. »

A-t-il conscience des risques qu’il prend, de ces vies humaines dont il a la responsabilité ? « Quels risques ?, balaie-t-il d’un revers de la main. En Algérie, il y a deux camps. Les amateurs, donc des personnes qui veulent toutes partir et s’organisent entre elles pour acheter du matériel de mauvaise qualité et faire la traversée ; et les pros. Nous, on est avec les pros. » Avec le matériel « neuf et de qualité » qu’il met en avant – des semi-rigides costauds, des moteurs 300 chevaux très puissants, des GPS et des téléphones satellites –, il n’y a « pas d’accident », jure-t-il.

« C’est aussi pour ça que c’est cher », résume le trentenaire. 5 000 euros par personne, à raison de dix migrants par bateau. Sur la somme totale, Bachir prend 15 000 euros par traversée. « Je ne prends jamais plus de dix personnes, jamais de femmes et d’enfants. Ceux qui le font sont des irresponsables qui veulent se faire plus d’argent ou qui n’y connaissent rien. » Il ne fait « que » quelques traversées par mois.

Lui et ses collègues sont, poursuit-il, des « enfants de la mer » « On baigne là-dedans depuis qu’on est tout petits, on maîtrise la conduite, la météo et les vents – chergui (vent d’est), gharbi (vent d’ouest) –, on sait quand on peut partir, on sait se servir d’un GPS. Les autres dépassent 30 kilomètres et se perdent car ils ne voient plus les lumières de la côte. Ce sont eux qui font des accidents. » Bachir ajoute même avoir pour habitude de s’orienter avec les étoiles, en mer.

Sur son smartphone, il nous dévoile le tracé qu’il emprunte depuis les côtes oranaises jusqu’à Almeria, enregistré grâce au traceur installé sur chacun de leurs bateaux. Ses trois derniers trajets apparaissent. Car Bachir et son ami font partie de ceux qui déposent les harraga en un aller-retour, surnommés les « taxis pateras » dans la péninsule ibérique. « Grâce au traceur, ils [leurs chefs – ndlr] savent même à quelle vitesse on va », sourit-il.

Si la police ou les gendarmes trouvent de l’essence ou du matériel dans ton coffre de voiture, c’est prison direct.
Un passeur

Avec les moteurs utilisés par ces réseaux, l’embarcation rejoint les côtes espagnoles en 3 heures à 3 h 30, et revient plus rapidement encore, étant déchargée du plus gros de ses passagers au retour. Mais tout ne se passe pas toujours sans encombre.

« Il y a moins d’un mois, il a passé 18 heures en mer à cause des conditions météo qui se sont dégradées brutalement, raconte Tarek, qui revient de la cuisine avec un plateau de côtes d’agneau et de brochettes de poulet. Il n’a rien lâché, il est allé jusqu’au bout. »

« J’ai réussi à rejoindre la côte quand même. Je n’ai pas eu peur, avec les semi-rigides, on ne craint rien », enchaîne Bachir en saisissant la viande de ses deux mains pour la porter à sa bouche. Celui-ci assure que l’un de leurs bateaux, abandonné en mer près de l’île de Paloma, au large d’Oran, pour échapper à la marine algérienne, est resté un mois et demi sans chavirer. « Quand il a été retrouvé, il était intact. C’est grâce aux boudins qui entourent l’embarcation. »

Des semi-rigides « insubmersibles », témoignent plusieurs pêcheurs oranais interrogés, dont le prix avoisine 50 000 euros. Il y a aussi la surveillance de plus en plus accrue des forces de l’ordre à proximité de la corniche oranaise. « Si la police ou les gendarmes trouvent de l’essence ou du matériel dans ton coffre de voiture, c’est prison direct. Ça nous oblige à être plus vigilants. »

« On bosse avec des tactiques que la marine met 10 à 12 mois à décrypter »

Tarek ajoute que l’un de leurs amis, revenu d’Espagne avec un GPS déréglé, l’a jeté immédiatement à son arrivée. « Un guide qui se fait prendre en Algérie, c’est minimum quatre à cinq ans de prison ! », commente Bachir, qui dit devoir graisser la patte de certains représentants de la marine pour qu’ils les laissent « tranquilles ». « 5 000 euros rien que pour laisser le matériel à proximité. C’est tout ça qui fait grimper les prix de la traversée... »

Le plus souvent, le matériel est entreposé dans des garages à proximité des points de départ ou caché dans les dunes. Mais parfois, comme en été (période où les traversées battent leur plein), les semi-rigides servant à la harraga mouillent directement en mer au large des plages, témoignant du sentiment d’impunité des passeurs. Un moyen de gagner du temps en amont du départ et d’éviter d’être contrôlé sur la route.

lexil ne sarretera jamais

Une fois en mer, pour être plus légers et plus discrets, il arrive que certains « guides » refilent des jerricans d’essence à des pêcheurs. « L’autre jour, l’un d’entre eux m’en a donné un alors que je n’avais rien demandé. Je savais très bien que c’était pour s’alléger, la marine n’était pas loin », témoigne Salim, un pêcheur oranais qui a préféré garder l’anonymat. « On bosse avec des tactiques que la marine met 10 à 12 mois à décrypter. Ensuite, on change de stratégie », se gargarise Bachir, qui avoue apprécier les effets de « l’adrénaline » lorsqu’il est en mer.

J’ai donné l’ordre de jeter tous les bidons d’essence qu’on avait à l’eau, pour s’alléger et gagner en vitesse.
Bachir, passeur algérien

Et de raconter sa dernière course-poursuite avec la marine algérienne, qui l’aurait pourchassé une heure durant en mer. « Ils sont plus rapides que nous, d’autant qu’on était plein à bord. Ils nous ont rattrapés jusqu’à arriver à une centaine de mètres de nous. J’ai donné l’ordre de jeter tous les bidons d’essence qu’on avait à l’eau, pour s’alléger et gagner en vitesse. Il y avait du brouillard, j’ai fini par réussir à les semer », se vante Bachir.

Il n’en mène pas toujours large, comme lorsque la marine leur tire dessus à l’aide d’un canon à eau, des oignons ou des pommes de terre en guise de munitions. « Je peux vous dire qu’en plein visage, ça fait mal », lâche le passeur en glissant une main sur sa joue. Parfois, les trafiquants répliquent avec des tirs de mortier.

Il ne peut s’empêcher de rire lorsque nous l’interrogeons sur une rumeur datant de plusieurs mois, selon laquelle des passeurs avaient tiré sur la marine à l’aide d’armes à feu, au large des côtes oranaises. Pour Tarek comme pour Bachir, le business est bien rodé. La demande n’a jamais été aussi forte qu’en 2021, après un coup de mou en début d’année 2020, lié à la pandémie de Covid-19, très vite dépassé.

« La harraga ne s’arrêtera jamais, prévient Bachir. Sauf si les États européens délivrent des visas. » Peu avant la fin de notre rencontre, le passeur évoque la Pologne, puis Calais, et le récent naufrage qui a coûté la vie à 27 personnes. À près d’une heure du matin, son téléphone sonne. On vient de lui signaler un « accident » au départ d’Oran. « Est-ce qu’il y a des morts ? », demande-t-on. « Sûrement. On en saura plus dans quelques heures, les médias l’annonceront le lendemain. »

 


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