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Fermez les Centres de Rétention !

La secrétaire générale de La Cimade dénonce : les enfermements arbitraires, les violences et les mises à l’isolement répétées, un climat de stigmatisation grandissante, les expulsions illégales

Solidarite avec Mimmo Lucano

Source : Médiapart - Bruno Villarosa Giuliani - 25/01/2022

En voyage au Mexique, j’ai été arrêté comme de nombreux touristes et jeunes précaires pour un visa expiré depuis quelques heures sans que j’en ai connaissance. Dans un centre de détention mexicain, j’ai été confronté à l’appareil répressif d’immigration du pays, qui prend en étau les migrants, et parfois les touristes occidentaux ou la jeunesse étrangère paupérisée.

Début Janvier 2022. C’est mon dernier jour à Tulum. La Guardia Nacional, un bataillon de l'armée mexicaine récemment créé pour assurer la sécurité des touristes, fait un contrôle sur la piste cyclable empruntée par les touristes. Ces contrôles se sont multipliés depuis les fusillades de gangs de l’automne dernier dans la région. Je n’ai pas mes papiers sur moi, je donne mon nom. Ils ne me trouvent pas dans leur base de données. La police à la frontière est également présente. Je montre une copie sur mon téléphone de mon passeport américain avec mon deadname. Les officiers m'annoncent que je suis” illégal”. “Vous avez un visa de onze jours et cela fait douze jours que vous êtes au Mexique” me disent-ils. Je tombe des nues, je pensais ne pas avoir besoin de visa. On m’embarque dans une camionnette de police avec un touriste grec, dont le visa est également expiré depuis quelques jours.

Dans la camionnette, je vérifie  sur le site du Département d'État américain les conseils aux voyageurs se rendant au Mexique.  Les touristes américains ne sont pas tenus d'avoir un visa pour les séjours inférieurs à 180 jours.

"Passez-moi vos téléphones” nous ordonne l’officier d’immigration. 

On nous amène au bureau d’immigration de Playa del Carmen à une heure de route.   

Là-bas, on nous explique : “Vous allez à  la “Estacion Migratoria”, le centre de rétention pour migrants de Cancun”. Je dis à l'officier que j’ai un avion à prendre à 19h. J’ai un travail et une famille qui m’attendent aux Etats-Unis.

“Vous êtes illégal et vous nous avez donné un faux nom au contrôle, vous ne sortirez pas de ce centre avant quelques semaines. Et n’essayez pas de nous corrompre ça ne marchera pas”. Je m’abstiens de lui révéler que je suis non-binaire et que mon passeport n’est pas encore mis à jour avec mon nouveau nom. On tente de nous rassurer. “Vous n'êtes pas des criminels, vous n’allez pas en prison. C’est une détention administrative. C’est un endroit très bien, ce centre. Et on n’y gèle pas contrairement aux centres de détention ICE où l’on met les Mexicains aux Etats-Unis”. 

Le centre de détention se trouve aux abords de la zone de fret de l'aéroport de Cancun. En arrivant, on passe des portes blindées. Les officiers d’immigration répertorient et confisquent toutes nos possessions. Coupés du monde, on aura le droit à deux coups de fil par semaine de cinq minutes chacun, et à trois visites maximum.

On est escortés dans un corridor vers le fond du centre. Dans la première cour intérieure, les gardes pointent du doigt des migrants d’Amérique centrale. Plus loin, dans une cour avec huit cellules, une cinquantaine de femmes détenues, des draps sur les fenêtres pour créer un semblant d’intimité. Des couples séparés communiquent à travers les cloisons en criant.

Notre cellule fait deux mètres sur trois. Il y a quatre couchettes, deux fois deux lits superposés en béton. Derrière les lits, sans séparation de mur, une douche et des toilettes. Nos voisins de cellule sont de jeunes Argentins et un Américain, la vingtaine. Tout de suite nous engageons une conversation. Le touriste grec, ancien boxeur, propose un entraînement dans la cour pour tous les prisonniers. Nous apprenons les bases de la posture et du jeu de jambes, l’exercice nous rend plus confiants.

Plus tard, les gardes m'amènent voir l'avocat des services d’immigration. L'interprétation des lois migratoires a changé depuis quelques mois: la période d’admission de 180 jours habituellement accordée aux touristes occidentaux par l’agent d’immigration à leur arrivée au Mexique n’est plus garantie. Sans le préciser oralement, l’agent remet un permis (Forma Migratoria Multiple) avec un nombre de jours limité, en fonction de son entretien. Les voyageurs se retrouvent souvent sans le savoir avec des visas très courts, parfois plus courts que leur séjour. C’est risqué ces temps-ci, surtout s’ils sont contraints de rester au Mexique pour cause de test Covid positif. 

Une femme enfermée en isolement hurle pendant la nuit en face de notre cellule.  “Je suis de Los Angeles, laissez-moi sortir! Je vais faire appel aux Nations Unis!”  “Cela fait trois mois qu’elle est là. Son ambassade ne la reconnaît pas”  m’apprennent les autres prisonniers , “et sa santé mentale n’est pas prise en compte”.

Les matons ouvrent notre cellule à 8 heures. De nouveaux prisonniers arrivent cet après-midi. ils doivent nous transférer ailleurs dans le centre. On est accueilli par des Cubains dans notre nouvelle cellule : ils ont fait la traversée en bateau de leur île jusqu'à la péninsule du Yucatan en six heures. Ils demandent l’asile politique. 

Je rencontre deux Dominicains de Santo Domingo, un Yéménite, qui ne parle que l’arabe, trois Américains dont un qui est là depuis 5 mois. Un Américain noir me confie sa crainte d'être enfermé dans cet endroit où les tensions racistes à l’égard des prisonniers sont manifestes : il a eu une crise cardiaque l’automne dernier, et on lui refuse une aide médicale. 

Le lendemain, j’ai un coup de fil de l’ambassade américaine. Ils sont très occupés, et ne peuvent rien pour moi. “Vous êtes sans statut au Mexique. La procédure mexicaine de déportation doit suivre son chemin”, me dit l’attachée diplomatique, indifférente. Aucune aide ni compassion de sa part. J’insiste : “Le Département d’Etat américain doit informer correctement ses ressortissants eu égard au changement d'interprétation des lois d’immigration en cours au Mexique”. Ils en prennent bonne note, et feront remonter mon grief au consul. 

De retour dans ma cellule, j’anime une séance de respiration « Wim Hof » pour mes compagnons de cellule. Le plus jeune du groupe n’a pas dormi de la nuit. Notre angoisse se dissipe grâce à l’exercice. Les Argentins parlent de la crise dans leur pays. Sans travail, ils pensaient rester en vacance au Mexique pour laisser passer la nouvelle vague pandémique. Ils n’ont rien dit à leurs parents de leur situation actuelle pour ne pas les alarmer. 

Je sortirai au bout de quatre jours de détention, l'avocate mexicaine des services d’immigration me convoquera, et me demandera d’acheter mon propre billet d’avion. Si vous n’avez pas les moyens, vous pouvez rester en détention jusqu’à trois mois, le temps que le gouvernement mexicain vous trouve un vol. Elle me fera signer une vingtaine de documents légaux en espagnol. Sans service de traduction. Avant de sortir, on me fiche, en prenant mes empreintes digitales et des photos de mon visage. Puis je serai reconduit à la frontière de l'aéroport de Cancun.

L’“estacion Migratoria” de Cancun est un des 58 centres de détention au Mexique. Ce réseau carcéral constitue l’un des plus grands systèmes de détention de migrants au monde selon un rapport du Global Detention Project. Les chiffres records de détention de non-citoyens reflètent la pression continue des gouvernements américains sur le Mexique pour “contenir” les personnes venant d'Amérique centrale.

Depuis la multiplication des contrôles militaires dans les zones touristiques du Quintana Roo, des touristes et une jeunesse étrangère précarisée viennent grandir les rangs de la communauté existante de migrants du centre de détention de Cancun, tous détenus de manière abusive.

 


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