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Source : Le monde - Jacob Rogozinski - 23/01/2022

« L’apparition d’une pensée forte a toujours suscité la jalousie hargneuse des médiocres et ils l’ont à chaque fois accusée d’être “destructrice” », note le philosophe Jacob Rogozinski, indigné par la mise en cause de Jacques Derrida (1930-2004) lors du colloque des 7 et 8 janvier en Sorbonne.

Tribune. Un spectre hante l’université française. Il pervertit la jeunesse étudiante, impose aux chercheurs une doctrine totalitaire et fait régner la terreur dans les amphis. Que l’on se rassure : d’héroïques résistants s’apprêtent à le combattre. Encore faudrait-il savoir en quoi il consiste exactement.

Il y a un an, notre ministre de l’enseignement supérieur, de la recherche et de l’innovation, Frédérique Vidal, avait cru l’identifier. « L’islamo-gauchisme » est un phénomène qui « gangrène l’université », avait-elle déclaré, demandant au Centre national de la recherche scientifique (CNRS) de créer une commission pour enquêter sur le sujet.

Une chimère inventée aux Etats-Unis

La direction du CNRS avait répondu qu’il s’agissait d’un « terme aux contours mal définis », d’un « slogan politique » qui « ne correspond à aucune réalité scientifique »… Qu’à cela ne tienne, un autre terme passe-partout fera aussi bien l’affaire : le « wokisme ». Depuis des mois, des polémistes médiatiques se déchaînent contre ce monstre venu des campus américains.

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Hélas, lorsque l’on tente de le définir précisément, on se heurte aux mêmes difficultés qu’avec l’« islamo-gauchisme » : le « wokisme » n’est en effet qu’une chimère, un croquemitaine inventé aux Etats-Unis par des idéologues néoconservateurs afin de discréditer l’antiracisme et la pensée progressiste. Heureusement, l’ennemi a été démasqué : la racine commune du « wokisme », du « décolonialisme », de l’« écoféminisme » et autres doctrines perverses se nomme « déconstruction ». C’est pourquoi il importe, comme l’écrivait déjà Eric Zemmour dans Le Suicide français (Albin Michel, 2014), de « déconstruire les déconstructeurs ».

C’est à cela que s’est consacré le colloque « Après la déconstruction : reconstruire les sciences et la culture » qui s’est tenu les 7 et 8 janvier en Sorbonne [organisé par l’Observatoire du décolonialisme et le Collège de philosophie], avec la participation enthousiaste du ministre de l’éducation nationale, de la jeunesse et des sports, Jean-Michel Blanquer.

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Comme l’avoue ingénument l’une des participantes [la sociologue Nathalie Heinich], il s’agit d’imposer un « contrôle des productions fortement politisées pour qu’un enseignant ne puisse proférer que la Terre est plate ou qu’il existe un racisme d’Etat »… Bref, de créer une « police de la pensée » chargée de scruter le contenu des cours, des thèses et des projets de recherche, afin de traquer les dissidents et d’éradiquer l’hérésie.

Virus heideggérien

Qu’est-ce que cette déconstruction qui suscite tant de rage ? Selon l’un de ces éradicateurs, elle ne serait qu’une « pédanterie à la portée de tous ». Dans ce cas, à quoi bon mobiliser le ban et l’arrière-ban des néoconservateurs français pour critiquer une pensée si inconsistante ? L’un des organisateurs du colloque en présente cependant une version très différente. Pour lui, les plus grandes figures de la pensée moderne seraient des « déconstructeurs ».

Après un « premier âge » de la déconstruction où se sont illustrés Descartes et Kant, et un « deuxième âge », celui de Marx, Nietzsche et Freud, elle se serait « enfermée dans une impasse », car elle « ne vise plus qu’elle-même ». Mais notre homme ne craint pas de se contredire et il lui reproche aussi de viser une cible précise, « la civilisation démocratique phallologocentrée, comme dit Derrida, qui, sous couvert d’émancipation, cacherait une oppression sournoise » (Pierre-Henri Tavoillot, entretien avec Eugénie Bastié publié dans Le Figaro du 4 janvier).

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Le caractère à la fois nihiliste et totalitaire de la déconstruction derridienne s’expliquerait aisément : comme l’assène un autre éradicateur (François Rastier, sur le site de l’Observatoire du décolonialisme), elle serait issue de la « destruktion de la métaphysique » entreprise jadis par le « maître à penser (de Derrida), le philosophe nazi Martin Heidegger ».

L’un de ses amis proposait naguère d’expurger les bibliothèques des œuvres du maléfique Heidegger. Sans doute convient-il d’en retirer également celles de Jacques Derrida (1930-2004) et d’autres penseurs contaminés par le virus heideggérien, comme Hannah Arendt (1906-1975) et Emmanuel Levinas (1905-1995). Faudra-t-il, comme en d’autres temps, brûler leurs livres en place publique ?

« Le réel comme lieu de domination et d’oppression »

Ces accusations n’ont rien d’original : c’est le même réquisitoire que l’on trouvait déjà il y a trente ans dans un pamphlet intitulé La Pensée 68 (Gallimard, 1985), de Luc Ferry et Alain Renaut. L’apparition d’une pensée neuve et forte a toujours suscité la jalousie hargneuse des médiocres et ils l’ont à chaque fois accusée d’être « destructrice ». Puisque l’on évoque René Descartes et Emmanuel Kant, rappelons que leurs œuvres ont été mises à l’index par l’Inquisition ; que le premier, accusé d’athéisme, a été menacé du bûcher, alors que le second était surnommé par ses détracteurs « der All-Zerreibende Kant », « l’universel démolisseur »…

On peut se demander si ceux qui accusent la déconstruction derridienne d’être uniquement destructrice ont lu Derrida. Il n’a cessé en effet d’affirmer que « les déconstructions seraient faibles si elles étaient négatives, si elles ne construisaient pas » (Psyché, Galilée, 1987).

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Lorsqu’il analyse les hiérarchies implicites de la tradition philosophique, il s’efforce de dégager des motifs de pensée qui leur échappent. Sa pratique de la déconstruction est en quête d’un « indéconstructible » qu’il en est venu à identifier avec l’exigence de justice, celle d’une « démocratie à venir ».

Nos inquisiteurs reprochent à la déconstruction de « ne voir le réel que comme lieu de domination et d’oppression : des femmes par les hommes, du Sud par le Nord occidental, des “racisés” par les Blancs » (Pierre-Henri Tavoillot, dans le même entretien précédemment cité, et de nombreuses autres interventions à ce colloque). Ils vivent probablement dans un monde où aucun féminicide n’est jamais commis, où aucun acte de racisme n’est jamais recensé et où la colonisation des peuples du Sud aurait un « bilan positif »

Préjugés patriarcaux et condition animale

Pas plus que Foucault, Derrida n’a jamais réduit la réalité sociale au seul exercice de la domination ; mais ses travaux ont permis de remettre en cause certaines formes concrètes de domination. En mettant en question l’orientation « phallocentrique » de la psychanalyse lacanienne, il a favorisé la contestation des préjugés patriarcaux et l’analyse de la construction des identités de genre.

En s’interrogeant sur la démarcation traditionnelle entre l’homme et l’animal, il a ouvert la voie à de nouvelles recherches sur la condition animale. En analysant les limites de la notion classique d’hospitalité, il a rendu possible une réflexion critique sur l’origine de la xénophobie et les modalités d’accueil des migrants.

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Il serait souhaitable d’étendre la déconstruction à des notions que Derrida n’a pas examinées, par exemple à ces mots fétiches dont la fausse évidence obstrue la pensée et coupe court à tout débat : la République, l’universalisme, la laïcité. Déconstruire la République permettrait d’analyser les tensions internes qui traversent cette notion, le caractère équivoque d’un signifiant dont se sont réclamés aussi bien les révolutionnaires de 1792 que le régime qui a écrasé la Commune, puis colonisé l’Indochine et l’Afrique.

Déconstruire l’universalisme ne revient pas à sombrer dans le « relativisme », mais à découvrir la pluralité peut-être irréductible des différentes prétentions à l’universalité et contribuer ainsi à une refondation de l’universel qui ne surplomberait plus les singularités. Sur toutes ces questions et bien d’autres encore, la déconstruction reste une tâche requise.

 


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