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Fermez les Centres de Rétention !

La secrétaire générale de La Cimade dénonce : les enfermements arbitraires, les violences et les mises à l’isolement répétées, un climat de stigmatisation grandissante, les expulsions illégales

Solidarite avec Mimmo Lucano

Source : Le Monde - Grégoire Mérot(Correspondant à Mayotte) - 11/2/2022

Les locaux de la Cimade sont bloqués depuis près de deux mois par des collectifs radicaux, qui reprochent à l’association de venir en aide aux étrangers au détriment des Mahorais. Un discours relayé par Marine Le Pen, qui a affiché son soutien aux militants.

L’opération prévue par la préfecture n’avait rien d’une nouveauté. Raser un bidonville, détruire une quarantaine de bangas, ces logements de tôle et de bois abritant les plus précaires de Mayotte. Et évacuer les 113 personnes qui y vivent. L’arrêté préfectoral du 22 octobre 2021 concernant le quartier dit « La Pompa », à Combani, ressemble à tant d’autres. Depuis deux ans, les destructions de quartiers informels menées sous le sceau de la loi ELAN [pour « évolution du logement, de l’aménagement et du numérique »] s’enchaînent à un rythme effréné : en 2021, 1 652 logements ont été rasés.

A La Pompa, on s’apprête à plier bagage et à récupérer tous les matériaux qui peuvent l’être avant le passage des engins. Pour reconstruire ailleurs, quitte à s’enfoncer dans la forêt ou vivre au gré des aléas de la mangrove. Mais, à la surprise de tous, le chassé-croisé n’a pas eu lieu. Avant l’opération, une dizaine d’habitants, soutenus par des associations, telles que le Gisti, la Ligue des droits de l’homme, la Fasti, Médecins du monde, ou encore la Cimade (à l’origine acronyme de Comité inter-mouvements auprès des évacués), ont attaqué l’arrêté préfectoral devant le tribunal administratif de Mayotte. « Nous avons effectué des visites de terrain, fait passer des questionnaires, il n’y avait eu aucune proposition de relogement ou d’hébergement d’urgence adaptée proposée aux familles en amont de la publication de l’arrêté, ce qui est contraire aux dispositions de l’article 197 de la loi ELAN », explique Pauline Le Liard, chargée de mission pour la Cimade, passée sous le feu des projecteurs – et des critiques – depuis.

Lire aussi : Dans les bidonvilles de Mayotte, les bulldozers chargent, le relogement piétine

Des « mamans » très politiques

Ce recours a provoqué l’ire d’une partie de la population, fermement attachée à la destruction des bidonvilles, désignés comme réceptacles de l’immigration clandestine et de la délinquance. Lors de l’audience devant le juge des référés, le 13 décembre, « ils nous attendaient à la sortie avec des banderoles bardées de mots doux nous accusant notamment de trafic d’êtres humains et nous demandant de quitter l’île, témoigne Pauline Le Liard. Les requérants qui étaient sur place ont été largement invectivés, ont subi des propos extrêmement virulents et ont même été chahutés physiquement ».

L’équipe se réfugie au sein des locaux de la Cimade, à quelques pas du tribunal administratif de Mamoudzou. Dans le même temps, sur les réseaux sociaux, des « collectifs » appellent à venir manifester devant la bâtisse. Les familles de La Pompa sont évacuées de justesse, « il fallait que l’on évite la confrontation, ça aurait pu mal tourner », estime l’employée de la Cimade. La suite lui donne raison. Insultes, intimidations et coups de pied dans les portes pleuvent avant que les associatifs, barricadés dans les locaux, finissent par en sortir escortés par la police.

Le 23 décembre, le juge des référés, constatant l’absence de propositions de relogement adaptées, donne raison aux requérants et suspend l’arrêté préfectoral. Mais « rien n’a véritablement changé, nous avons essayé quelques fois de retourner au sein du local, mais elles sont toujours là et ça dégénère très vite », rapporte la chargée de mission, vidéos à l’appui. « Elles », ce sont « les mamans », comme on les appelle sur le territoire. Se revendiquant de l’héritage des « chatouilleuses » – les militantes du détachement de Mayotte des Comores et de son rattachement à la France dans les années 1960 –, ces femmes connues pour leur capacité à tenir des barrages avec pugnacité répondent notamment à l’appel du Collectif des citoyens 2018, issu du dernier grand mouvement social qui a paralysé l’île plusieurs mois durant, et connu pour ses élans xénophobes.

Lire aussi l’analyse : Démographie, immigration, habitat : les défis de Mayotte

Preuve que ce collectif est très politique, au premier jour de sa visite à Mayotte, en décembre 2021, la candidate à l’élection présidentielle Marine Le Pen a suivi les militants jusqu’au local bloqué de la Cimade pour un échange de soutiens réciproques, l’une dans la course à la présidentielle ; les autres dans leur volonté de bouter l’association humanitaire hors de l’île.

« Provocation » des associatifs

A son retour dans l’Hexagone, la candidate du Rassemblement national reprend même à son compte les slogans et déclare sur le plateau de BFM-TV, le 12 janvier, que « les associations humanitaires sont parfois complices des passeurs ». « J’étais à Mayotte récemment. La population mahoraise manifeste contre la Cimade, qui organise des arrivées de migrants depuis les Comores », avait-elle assuré.

La secrétaire générale de l’association, Fanélie Carrey-Conte, dénonce une « instrumentalisation extrêmement grave de la situation que connaît Mayotte ». « Marine Le Pen a déjà gagné le territoire, je ne vois pas comment on pourrait l’aider d’avantage », assure une des « mamans », Aïcha Fadhuili, plus connue sous le nom de « Qatary Lawson », sur le perron de la Cimade Mayotte. Pour elle, la situation est simple : « Il n’est pas question que des gens qui sont là pour quelques années viennent se donner bonne conscience à travers des associations humanitaires et faire la loi chez nous sans tenir compte de la réalité locale. Ces gens-là nous méprisent. »

L’argumentaire est bien rodé, la Cimade aiderait « les clandestins » au détriment des Mahorais. « C’est profondément mal connaître notre action », rétorque Pauline Le Liard, selon qui « on se sert de cette méconnaissance pour attiser les tensions à des fins politiques ». Pour la secrétaire générale de l’association, le sujet dépasserait même les frontières de la petite île au lagon. « On est dans une situation qui doit interpeller tout le monde, car lorsqu’on laisse pourrir une situation pareille, lorsqu’on laisse prospérer des propos qui n’ont aucun fondement et dont le seul but est la division à des fins politiques, on s’engage sur une voie très dangereuse », avertit Fanélie Carrey-Conte, ancienne députée socialiste de Paris.

Sur le terrain, dans le quartier Boboka, le dialogue ne passe pas. D’un côté : « On a essayé d’exposer la situation, d’expliquer que raser des bidonvilles sans relogement ne ferait qu’aggraver la situation en plongeant des familles dans une précarité encore plus grande, mais on a trouvé un mur face à nous, des personnes qui nous demandent de quitter l’île, tout simplement », résume la Cimade. De l’autre, les habitants déclarent : « Les associatifs sont dans la provocation, ils ne veulent pas discuter avec nous. »

Des autorités en retrait

Ils partagent une colère triste face à une île qui semble sombrer chaque jour davantage. Mais deux lectures s’affrontent. Irréconciliables ? « En l’état des choses, oui, forcément, puisque l’on n’arrive pas à dialoguer », répond la Cimade. « Ce qui est fou, c’est que l’on se retrouve sur de nombreux sujets, nous sommes les premiers à dénoncer des attitudes que l’on pourrait qualifier de coloniales qui existent encore à Mayotte. Nous nous battons également pour la fin du “titre de séjour territorialisé”, qui empêche les étrangers en situation régulière de se rendre dans d’autres départements, pour l’alignement des droits sociaux, pour l’égalité tout simplement », dit encore Pauline Le Liard.

« L’Etat n’a rien fait ici, alors maintenant on dit “stop”. On est ici chez nous », assène une des « mamans », Qatary Lawson

Autant de thèmes chers à la « maman » qui participe au blocage de la Cimade. « Nous sommes français depuis 1841, mais nous sommes toujours un territoire arriéré, personne ne nous écoute. L’Etat n’a rien fait ici, alors maintenant on dit “stop”. On est ici chez nous. Et s’ils [les associatifs] veulent travailler, ils doivent travailler avec nous, car nous sommes les gardiens de Mayotte. Sinon ils s’en vont », assène Qatary Lawson, qui suggère une médiation entre les deux parties.

Reste que les autorités, au premier rang desquelles la préfecture, se placent soigneusement en retrait. Une position dénoncée par la secrétaire générale de la Cimade, Fanélie Carrey-Conte : « Ce que nous disent les autorités, c’est que le degré de gravité n’est pas suffisant car ils craignent, à mon sens, qu’en cas d’intervention il y ait une escalade des tensions, voire de violences. (…) On ne laisserait pas faire cela ailleurs. »

Contactée à ce sujet, la préfecture de Mayotte n’a pas donné suite aux sollicitations du Monde. Selon nos informations, celle-ci n’a pas fait appel de la décision du tribunal administratif et a également annulé une nouvelle opération de destruction de quartier informel pour laquelle les solutions de relogements adaptées manquaient. Dans le même temps, une porte s’entrouvre peut-être à Boboka. L’une des femmes tenant le siège malgré les caprices de la saison des pluies l’affirme : « Nous resterons autant qu’il faudra pour faire entendre notre voix, mais nous sommes ouverts au dialogue. » Reste à l’organiser. A l’abri des vents mauvais.

Lire aussi : Mayotte, département français toujours en quête d’identité

Rectificatif le 12 février 2022 à 22h22 : Une erreur a été commise, dans une première version de cet article, en associant Estelle Youssouffa au Collectif des citoyens 2018, qui s’oppose aux associations d’aide aux migrants et a reçu le soutien de la candidate du Rassemblement national, Marine Le Pen, lors de son récent déplacement dans l’archipel, en décembre 2021. Estelle Youssouffa, présidente du Collectif des citoyens de Mayotte et candidate aux prochaines élections législatives, tient à faire savoir qu’elle est sans étiquette politique et qu’elle n’a aucun rapport avec le Collectif des citoyens 2018. Nous la prions d’accepter nos excuses.

 

 


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