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La secrétaire générale de La Cimade dénonce : les enfermements arbitraires, les violences et les mises à l’isolement répétées, un climat de stigmatisation grandissante, les expulsions illégales

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Source : Mediapart - Nejma Brahim - 18/2/2022

En octobre 2021, une Française d’origine turque, menacée en Turquie, a tenté de fuir le pays par la Grèce. Arrêtée, elle a été refoulée vers la Turquie malgré ses documents d’identité français, aux côtés d’un groupe de migrants, et a été emprisonnée depuis.

 

L’histoire est rocambolesque. Et les conséquences gravissimes. Le 19 octobre 2021 au petit matin, Meryem (tous les prénoms ont été modifiés), une citoyenne française, ainsi que son mari, de nationalité turque, tentaient de fuir la Turquie en traversant le fleuve Evros, où la surveillance est particulièrement élevée pour empêcher tout passage de migrants, dans l’objectif de trouver refuge en Grèce.

Interpellés par des militaires grecs à proximité du village de Soufli, au nord de la Grèce, ils sont d’abord détenus arbitrairement durant plusieurs heures, puis contraints de monter à bord d’une embarcation pneumatique « surchargée » aux côtés d’un groupe de migrants, sans gilets de sauvetage. Le bateau gonflable est ensuite lancé à l’eau en pleine nuit par les Grecs, droit vers une zone militaire turque.

« C’est la première fois qu’un citoyen européen est soumis à cette politique migratoire atroce que représente la pratique du refoulement, déjà illégale, par ailleurs, pour les demandeurs d’asile, dont c’est aujourd’hui le quotidien aux frontières extérieures de l’Union européenne », relève Omer Shatz, avocat et directeur juridique de l’ONG Front-Lex, qui accompagne les exilé·es dont les droits ont été bafoués aux portes de l’Europe. « Même les papiers ne suffisent plus », lâche-t-il en sus, pour évoquer un « processus de déshumanisation » et un « terrain glissant » conduisant la pratique du refoulement à se généraliser, y compris pour les personnes en situation régulière.

Ce jour-là, Meryem a beau marteler aux soldats qu’elle est française, carte d’identité et photocopie de son passeport à l’appui, elle n’est pas écoutée. « Elle leur a dit en français et en anglais, insistent ses sœurs, Azra et Esma, qui ont suivi, au moment des faits, le départ de Meryem et de son mari à distance. Elle leur a également dit qu’elle était victime du régime de persécution d’Erdogan et qu’ils seraient en danger si on les renvoyait en Turquie. Mais ça n’a rien changé. » 

En région parisienne, Azra* et Esma* luttent pour faire libérer leur sœur détenue en Turquie après avoir été refoulée par les Grecs. © Sébastien Calvet / Mediapart.

 

Lorsque nous les rencontrons à Paris, Azra et Esma tiennent une enveloppe à la main : un courrier que leur a transmis le mari de Meryem depuis la prison turque où il croupit depuis son retour forcé, accompagné de bracelets qu’il a confectionnés pour les enfants de la famille de Meryem.

Elle est détruite psychologiquement. À chaque fois qu’on lui pose une question relative à ce qui lui arrive, elle pleure.

Azra, la sœur aînée de Meryem

Cet après-midi-là, elles ont aussi pu échanger par téléphone avec Meryem, placée dans une prison différente, et profondément marquée, selon ses sœurs, par ce qu’elle a traversé. « Elle est détruite psychologiquement. À chaque fois qu’on lui pose une question relative à ce qui lui arrive, elle pleure. Elle laisse aussi de longs silences parce qu’elle n’arrive pas à parler », détaille Azra, l’aînée de la fratrie, tout en allaitant son bébé de sept mois. Meryem, 32 ans, qui a grandi en région parisienne avec un père ouvrier et une mère au foyer, choisit en 2013 de poursuivre ses études supérieures à Konya, en Turquie. Mais cinq ans plus tard, elle est arrêtée aux côtés d’une soixantaine d’étudiant·es et accusée de terrorisme – des accusations qu’elle a toujours niées.

Fuir par les voies illégales, la « dernière option »

« Elle a été victime de la répression conduite par le gouvernement turc à la suite de la tentative de coup d’État du 15 juillet 2016 », écrivent ses défenseurs, Violeta Moreno-Lax, professeure à l’université Queen Mary de Londres, Francesco Gatta, avocat à Front-Lex, et Omer Shatz, dans la requête adressée ce vendredi 18 février à la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH). « Meryem n’a jamais rien fait, assurent ses sœurs. Si elle avait été coupable de quoi que ce soit, nous aurions été les premières à penser qu’elle devait être condamnée. Mais il suffit de jouer à Candy Crush pour que le régime d’Erdogan vous juge comme un opposant ou un terroriste. »

En l’occurrence, il a été reproché à la jeune femme d’avoir ouvert un compte dans une banque donnée et d’avoir passé un appel à une librairie appartenant à un membre de l’organisation FETO (dont l’acronyme signifie « Organisation terroriste des partisans de Fethullah »), accusée par Ankara d’avoir commandité la tentative de putsch en 2016. Si Meryem est relâchée douze jours après son arrestation, elle a l’interdiction de quitter le territoire turc et de rentrer dans son pays d’origine, la France. Selon ses avocats et ses proches, elle est alors « victime de persécutions politiques » et visée par une peine de six ans et trois mois de prison pour laquelle elle fait appel.

« Avec son mari, ils s’attendaient à ce que la Cour suprême valide la peine et s’étaient préparés à se rendre à la police, pour éviter l’humiliation d’être arrêtés à leur domicile devant les voisins », raconte Azra. Ils tentent malgré tout de s’enfuir par l’intermédiaire d’un homme travaillant à l’aéroport d’Istanbul, qui leur propose de cacher la mention « interdiction de sortie du territoire » dans le système numérique au moment de leur passage contre 128 000 livres turques, soit 12 000 euros. « L’homme a disparu de la circulation dès qu’ils l’ont payé. Ça représentait toutes leurs économies... »

Un échange de SMS entre Azra et Meryem au moment où celle-ci a passé la frontière entre la Grèce et la Turquie. © Capture d'écran.

Finalement, c’est un avocat turc, qui ne souhaite pas s’exprimer dans ce dossier, qui leur suggère de s’enfuir comme il a pu le faire un an plus tôt, en empruntant le chemin des migrants à la frontière avec la Grèce par l’intermédiaire d’un passeur. Avant leur départ, Meryem et son mari achètent un téléphone et une nouvelle carte SIM. Ils restent en contact, sans donner trop de détails sur leur voyage, avec Azra et Esma. Pour en arriver là, Meryem « n’avait vraiment plus d’autre choix », précise Esma. « Elle a une phobie de l’eau, la traversée du fleuve était donc très angoissante pour elle. C’était sa dernière option. »

Sur leur téléphone, une application permet à l’avocat et au passeur de les tracer. Les sœurs ne dorment pas de la nuit, dans l’attente de leurs nouvelles. Et préparent des mails à destination des autorités françaises – le ministère de l’Europe et des affaires étrangères et son centre de crise et de soutien, l’ambassade de France à Athènes, le consulat français à Thessalonique – pour les envoyer dès que Meryem et son mari auront réussi à passer. À 9 heures, le 19 octobre, Meryem envoie un SMS à sa sœur pour lui signifier qu’ils sont désormais en Grèce.

En objet, Azra appelle au « SECOURS ».

« Notre sœur (de nationalité française) et son mari sont actuellement aux abords des côtes grecques. Nous sollicitons les autorités afin qu’ils soient pris en charge le plus rapidement possible et surtout éviter qu’ils soient remis de force aux autorités turques. Ils sont victimes de la persécution de la part du gouvernement actuel turc. Nous vous prions de bien vouloir prendre contact avec les gardes-côtes et de nous tenir informés. Leur vie est en danger. Ils sont actuellement à SOUFLI. Nous sommes TRÈS TRÈS inquiets pour eux. Nous faisons confiance aux autorités françaises telles que grecques. »

Les services du ministère, tant à Paris qu’en Grèce et en Turquie, ont maintenu un lien étroit avec la famille de Mme X.

Quai d’Orsay

Azra assure ne pas recevoir de réponse écrite, malgré plusieurs relances consultées par Mediapart. Elle appelle à plusieurs reprises l’ambassade de France à Athènes et le consulat à Thessalonique, comme en atteste le journal d’appels de son téléphone dans le dossier remis à la CEDH. Contacté, le Quai d’Orsay répond : « Les services du ministère, tant à Paris qu’en Grèce et en Turquie, ont maintenu un lien étroit avec la famille de Mme X, dès qu’ils ont été alertés de la situation de cette dernière. Les démarches conduites auprès des différentes autorités locales potentiellement concernées ont conduit à sa localisation en Turquie. »

L’ambassade de France à Athènes a refusé de nous répondre ; le consulat français à Thessalonique, qui aurait été en contact par téléphone avec Esma toute la matinée du 19 octobre et n’aurait « rien fait » selon elle, n’a pas répondu à l’heure où nous publions cet article.

Refoulée sur un bateau gonflable aux côtés d’une dizaine de migrants

Dans le même temps, Esma contacte l’ambassade de Grèce en France afin qu’elle alerte les autorités grecques. « J’ai échangé avec un Monsieur [secrétaire de l’ambassade et directeur du bureau consulaire – ndlr], qui m’a dit avoir appelé tous les postes de police à la frontière pour les prévenir de ne pas expulser Meryem et son mari. Il m’a aussi donné son numéro de portable pour me tenir informée de la suite. » Dans les échanges SMS, les messages se veulent rassurants.

« Nous n’avons aucune nouvelle et on s’inquiète énormément ! », alerte Esma qui, après le dernier SMS de Meryem leur apprenant qu’ils avaient réussi à traverser la frontière, n’a plus de nouvelles.

« [Ne vous] inquiétez pas. Probablement comme ils ont traversé les frontières illégalement (pas à un point d’entrée officiel), ils pensent que sera un problème, c’est pour ça ils choisissent des chemins à la campagne à pied et ça prend du temps. Mais elle a un passeport français il y a aucun problème. Bientôt ou ils vont communiquer ou la police qui est au courant, va les trouver. Calmez-vous, il y a aucun danger en Grèce », écrit le représentant de l’ambassade grecque, que Mediapart a contacté, et qui ne nie pas le fait d'avoir été en contact avec Esma mais dit ne pas être autorisé à s'exprimer sur ce sujet.

« Je n’ai aucun doute sur ça. On veut juste qu’elle ne soit pas refoulée et renvoyée aux autorités turques ! On fait confiance aux autorités grecques et françaises. »

« Pas question de cela. Elle a un passeport européen. Calmez-vous. »

Mais comme l’écrit Meryem dans sa déclaration complète, elle redoutait d’être refoulée. « Nous avons marché à peu près deux heures et avons traversé une zone arborée et avons suivi la direction de rails de train. À ce moment-là, une voiture s’est approchée de nous. Nous avions peur d’être refoulés. Il y avait deux policiers (en bleu). Ils ont demandé du renfort et d’autres officiers (en vert) sont arrivés. Je leur ai présenté la version originale de ma carte d’identité française, une copie de mon passeport français et l’original de mon livret de famille. »

Nous continuions de les supplier de ne pas nous renvoyer, en leur expliquant que j’étais française et que nous étions persécutés en Turquie.

Meryem, citoyenne française refoulée par les Grecs vers la Turquie

Les officiers auraient ensuite confisqué leurs effets personnels et coupé les lacets de leurs chaussures. « Ils étaient méchants avec nous. Ils nous ont demandé de nous taire et nous ont fait monter à l’arrière d’un camion avec d’autres migrants comme des chiens. »

La responsabilité des autorités françaises pointée par les avocats

Enfermés dans un « box » situé sur un terrain entouré de grillages, ils retrouvent d’autres migrant·es, parfois de nationalité afghane. « D’autres migrants ont été amenés au fur et à mesure. » L’un d’eux est violemment frappé sous leurs yeux. Six ou sept heures plus tard, ils sont tous emmenés aux abords du fleuve. « Les officiers grecs nous ont fait monter de force dans le bateau gonflable. Nous continuions de les supplier de ne pas nous renvoyer, en leur expliquant que j’étais française et que nous étions persécutés en Turquie. Ils sont repartis sans se soucier de nous », poursuit Meryem. Deux hommes, dont elle ignore la fonction, manœuvrent alors l’embarcation, qui transporte en tout « onze ou douze » personnes selon la jeune femme, en direction d’une zone militaire turque.

Comment expliquer qu’une citoyenne française et son mari aient pu être refoulés par un pays européen, au milieu de migrants sans papiers ?

Omer Shatz, avocat et directeur juridique à Front-Lex, ainsi qu'Estelle Nandnaba, assistante légale. © NB.

Esma ignore s’il s’agit d’une décision arbitraire, prise par les officiers grecs sur place, ou si ces derniers ont répondu à des ordres établis venus « de plus haut ». Pour Azra, sa sœur, les officiers ont agi en connaissance de cause. « Ils avaient plusieurs heures pour vérifier son identité lorsqu’elle était enfermée dans le box. On ne comprend pas comment ils ont pu agir ainsi. Ils ont agi en connaissance de cause, sans pitié, en sachant ce qui les attendait en cas de retour en Turquie. »

Elle a été catégorisée selon son apparence physique. Si elle avait été blonde aux yeux bleus, on aurait considéré ses documents d’identité et elle n’aurait jamais fini sur ce bateau gonflable.

Violeta Moreno-Lax, professeure à l’université Queen Mary de Londres

Violeta Moreno-Lax, qui a accompagné le travail de Front-Lex dans ce dossier, pointe le caractère raciste de ce renvoi forcé. « Elle a été catégorisée selon son apparence physique. Peut-être qu’ils ont eu un doute sur l’authenticité de ses papiers. Mais si elle avait été blonde aux yeux bleus, on aurait considéré ses documents d’identité et elle n’aurait jamais fini sur ce bateau gonflable. » Et Omer Shatz d’ajouter : « Le racisme commence avec le fait qu’ils ne lui aient pas demandé d’où elle venait, qui elle était. Cette politique systématique de refoulement, à Evros et ailleurs, mène à ce genre de dérives. »

L’avocat de l’ONG pointe une « faute lourde » de la part des autorités françaises, qu’il accuse de ne pas avoir fait le nécessaire pour assurer une protection à la jeune femme, ainsi qu’un « crime » commis par la Grèce. « C’est une violation grave des droits de l’homme, du droit international et du droit européen. La Grèce, c’est aussi chez elle. Meryem n’est pas seulement citoyenne française mais aussi européenne. » Azra abonde : « La Grèce ne mérite pas l’Union européenne. C’est bien beau de profiter des avantages de l’Union européenne, mais il faut aussi respecter les engagements internationaux. »

Le centre de crise et de soutien du ministère des affaires étrangères aurait, selon les sœurs de Meryem, recontacté Esma par téléphone une fois que le couple avait été refoulé et emprisonné en Turquie. « C’est moi qui faisais tout le travail à leur place, notamment pour les localiser et savoir dans quelle prison ils se trouvaient. Ils nous ont promis qu’il y aurait une visite consulaire dans les jours qui suivraient, on nous a finalement annoncé la date du 22 avril », détaille Esma. « L’organisation d’une visite consulaire au titre de la convention de Vienne du 24 avril 1963 a été sollicitée. La protection consulaire, telle que prévue par la convention de vienne du 24 avril 1963, ne peut être exercée qu’avec l’accord préalable des autorités de l’État concerné », rétorque le Quai d’Orsay.

Depuis, Azra et Esma ne cessent de lutter pour obtenir la libération de leur sœur et de leur mari. Bien qu’elles soient conscientes que même si la Grèce était condamnée par la CEDH, cela ne signifierait pas pour autant que leur sœur pourrait être libre. « On le fait aussi pour les autres, à qui cela pourrait également arriver », souffle Azra, qui ne peut retenir un sanglot pudique.

Leur vie et leur famille « détruites », les deux sœurs de Meryem disent se sentir « abandonnées » par l’État français. Le 5 novembre 2021, l’aînée de la fratrie a adressé un courrier à Emmanuel Macron, puis à la commissaire européenne chargée de la migration, Ylva Johansson. « J’ai eu une réponse accusant réception de mes courriers, mais depuis, rien. » « Cela fait des années que l’on multiplie les cas de refoulements à cette frontière. Un cas aussi grave doit permettre d’ouvrir les yeux sur la réalité de ce qui se joue là-bas », espère le directeur juridique de Front-Lex.

 

 


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