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Source : Le monde - Soazig Le Nevé - 14/03/2022

Originaires d’Europe orientale et de Russie, ils vivent une guerre à distance qui les plonge dans l’incertitude et met à bas leurs aspirations à vivre avec les valeurs européennes.

« Où est notre place ? » La question taraude les étudiants ukrainiens, moldaves, biélorusses et russes du campus de Sciences Po, à Dijon, spécialisé dans les études européennes, et plus particulièrement l’Europe centrale et orientale. Depuis le 24 février, le temps est comme suspendu. Leur monde s’est écroulé sans qu’ils y aient directement assisté, leurs familles sont en danger sans qu’ils puissent être à leurs côtés.

Agés de 18 à 21 ans, Yelyzaveta, Alexandra, Valeriia, Corina, Paula, Oleg, Irina et Alia (qui ont souhaité garder l’anonymat) sont de nationalités différentes mais ont un point commun : l’adhésion à l’Union européenne, qui était pour eux une aspiration naturelle, est subitement devenue la justification d’une guerre impliquant de près ou de loin leurs pays. « Je lis attentivement les discours officiels et les textes de la Douma pour voir comment les élites russes se perçoivent et perçoivent le monde, illustre la Russe Irina (le prénom a été modifié). Jusqu’ici, je me moquais un peu : Poutine pouvait dire ce qu’il voulait, il était vieux, isolé depuis deux ans à cause du Covid-19 et, murmurait-on, avait des problèmes mentaux. Mon esprit analytique disait : ce sont juste des propos militants et militaires, une rhétorique. »

La veille de la guerre encore, en cours de sciences politiques, Irina déclarait que les références à la dénazification ou à « la grande victoire », dont use à l’envi le président russe, n’étaient que « du bluff ». Aujourd’hui, elle a du mal à se rendre compte qu’il s’agit bien d’une guerre « comme celles dont on parle dans les manuels d’histoire ».

« J’entends des bruits de guerre »

« Yelyza, j’ai quelque chose à te dire. Je pense que la guerre a commencé. » L’Ukrainienne Yelyzaveta a appris la nouvelle en écoutant ce message laissé par son père au matin du 24 février. Rivée sur les réseaux sociaux, elle ne cesse d’y penser et de s’interroger sur la façon dont elle peut venir en aide à ses parents et grands-parents qui vivent à Odessa, dans le sud du pays.

A la tête du collectif Help Ukraine Bourgogne-Franche-Comté, elle organise des collectes reversées à la Croix-Rouge. « J’ai beau être à Dijon, en toute sécurité, j’entends des bruits de guerre comme si j’étais là-bas, sans doute à force de regarder des informations et des vidéos sur les réseaux sociaux », confie-t-elle. Tous les garçons de son ancienne classe de lycée sont partis au front.

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Après le choc, immense, les sombres perspectives de guerre nucléaire brandies par le chef de l’Etat russe laissent ces étudiants désemparés. « Personne ne peut comprendre comment Poutine prend ses décisions. On sait qu’il ne regarde pas Internet, il est comme enfermé dans une bulle, analyse Alia (le prénom a été modifié), biélorusse. Quand un pouvoir n’est pas démocratique, je peux en témoigner puisque j’ai vécu dans une dictature, il devient sourd à l’actualité et finit par croire à sa propre propagande. »

A Science PO les illusions

Corina et Paula, deux étudiantes moldaves, dans l’amphithéâtre de Science Po Dijon, le 10 mars 2022.

« Il n’existe aucune stabilité »

A Sciences Po, les cours sur la théorie du droit international, le gouvernement mondial ou encore le fonctionnement de l’ONU et de l’OTAN sonnent de plus en plus faux aux oreilles d’Alexandra, ukrainienne. « Ce sont des termes vagues, des références philosophiques qui ne sont pas du tout ancrés dans la réalité actuelle. Nous vivons un choc de politique internationale et c’est comme si on était dans le déni en continuant à suivre ce type d’enseignement », tacle-t-elle. « Etudier les moyens politiques et juridiques de régler un conflit ? C’est foutu, il n’existe aucune stabilité, complète Yelyzaveta. Bien sûr, ce n’est pas la première fois que le droit international n’est pas respecté, mais il faut en tirer des leçons. »

L’incompréhension s’installe parfois, comme lors d’un cours d’histoire où des étudiants ont affirmé que dans quelques décennies, on ne retiendrait pas la guerre en Ukraine mais uniquement le changement climatique pour caractériser ce début de XXIe siècle. Alexandra est d’un tout autre avis et perçoit « une symétrie avec l’Allemagne de la fin des années 1930 », nourrie d’une comparable « haine profonde » dirigée cette fois par la Russie à l’encontre des Etats-Unis et de l’Union européenne et qui, dit-elle, mènera tôt ou tard à un conflit mondial.

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Natif de Moldavie, Oleg retient son souffle. « C’est ancré dans notre culture : à tout moment, nous pouvons disparaître au profit de la Russie, cadre-t-il. Ce qui se passe avec le Donbass en Ukraine, c’est ce que mon pays a vécu avec la Transnistrie : lorsque la Moldavie a signé son accord d’association avec l’Union européenne [en 2014], les choses se sont crispées. » Sa compatriote, Corina, pense que, en comparaison avec l’Ukraine, la Moldavie ne serait pas assez forte pour se défendre. « Elle n’a pas de sentiment national assez affirmé car elle est composée de beaucoup de communautés, Gagaouzes, Russes, Bulgares, Roumains… », explique-t-elle. Et son armée est toute petite, « pas plus de 6 000 soldats », évalue Oleg.

En Transnistrie, la quatorzième armée de Poutine, elle, prend de l’ampleur, selon des proches de Corina qui y vivent. « Mes parents, depuis la Moldavie du Sud, entendent les bombes qui tombent sur Odessa, à 140 kilomètres de distance. » Corina, comme ses parents, a la double nationalité moldavo-roumaine, ce qui lui laisse un espoir de repli rapide.

« J’ai payé mon loyer pour deux ans »

Les médailles de l’Armée rouge étaient la fierté du grand-père d’Alexandra, ancien combattant en Pologne. « Il y a huit ans, lors de la guerre du Donbass, mes grands-parents étaient les seuls de la famille à ne pas savoir s’ils étaient pro-ukrainien ou pro-Poutine, narre la jeune ukrainienne. Le rêve soviétique, la grande URSS, c’était leur bonheur et ils y croyaient toujours. » Une façon de renouer avec un passé glorieux qui n’a jamais été qu’une chimère aux yeux de la jeune fille. « Même eux, qui se sentaient en sécurité avec la Russie, comprennent avec effroi qu’on peut les réduire en cendres du jour au lendemain », lâche Alexandra. Sur des photos que ses proches lui ont transmises, elle a reconnu quelques-uns de ses amis russes qui, après avoir manifesté leur opposition à Poutine, se sont fait arrêter. « Ils se sentent honteux et sont prêts à renoncer à leur nationalité », affirme-t-elle.

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La carte bancaire d’Irina a cessé de fonctionner le 10 mars, conséquence des sanctions infligées à la Russie par les deux géants américains Visa et Mastercard. L’étudiante a eu le temps de récupérer une grande quantité de fonds. « Mes parents m’avaient tout transféré afin qu’un membre de la famille ait des euros. J’ai payé mon loyer pour deux ans, j’espère que je vais pouvoir rester en France », souffle la jeune fille dont le visa expire en juin. « Fin mars, je dois déposer une demande à la préfecture pour renouveler ce visa et le transformer en titre de séjour, précise Irina. J’ai très peur que des documents complémentaires me soient demandés. Mes parents auront certainement quitté Moscou et ne pourront plus me les transmettre. »

Pour Noël, Irina a passé un mois dans la capitale russe. Elle avait trouvé le temps long, impatiente de recouvrer sa « liberté d’étudiante en France ». « Mais cette liberté n’est bonne que quand on a un lieu où revenir. Ma famille partie, je n’aurai plus nulle part où revenir. »

Dans les décombres de la guerre, on compte aussi des illusions perdues. Celle de vivre dans un monde globalisé, notamment, « où on pouvait exister loin les uns des autres mais en gardant toujours le contact », décrit Irina. « Je me considérais comme appartenant à cette génération éduquée avec les valeurs européennes, habitant au centre de Moscou, et qui constituait une société civile de plus en plus dynamique dans une ville qui devenait centrale. J’étais tellement fière ! Voir cette communauté asphyxiée aujourd’hui par Poutine me procure une tristesse énorme », poursuit la jeune fille qui se voit désormais comme « une exilée » dont l’identité est à reconstruire.

 


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