Source : Le monde - Julia Pascual - 20/04/2022
Plus de 5 millions d’hommes, femmes et enfants ont fui la guerre en Ukraine. De cet exode sans précédent en Europe depuis la seconde guerre mondiale, une part infime est allée en France.
Depuis le début de l’invasion russe, le 24 février, près de cinq millions d’Ukrainiens ont quitté leur pays. De cet exode sans précédent en Europe depuis la seconde guerre mondiale, une part infime d’entre eux s’est tournée vers la France.
Au 18 avril, d’après les données de l’Office français de l’immigration et de l’intégration (OFII), 57 000 Ukrainiens percevaient l’allocation de subsistance accordée par l’Etat, ce qui donne une idée assez fine du nombre d’Ukrainiens ayant demandé la protection temporaire en France, ainsi que des enfants qui les accompagnent. Un chiffre qui amène à relativiser le pouvoir d’attraction du pays, à un moment où la thématique de la submersion migratoire ou de la trop forte générosité des prestations sociales est agitée à l’extrême droite.
« L’attractivité d’un pays relève de plusieurs facteurs et notamment de l’existence préalable ou pas d’une communauté, analyse Didier Leschi, le directeur de l’OFII. Or, la France n’était pas un pays où la communauté ukrainienne était importante. » En 2021, un peu moins de 19 000 Ukrainiens étaient détenteurs d’un titre de séjour sur le territoire.
A l’inverse, 1,5 million d’Ukrainiens résidaient en Pologne avant la guerre, dont une majorité de travailleurs migrants. La Pologne est aujourd’hui et sans surprise le premier pays d’accueil des réfugiés d’Ukraine. Selon les données du Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés, le pays a vu arriver 2,8 millions d’Ukrainiens dont on estime que 70 % à 80 % sont restés. Outre le fait que l’existence d’une diaspora représente la possibilité d’une aide pour trouver un logement ou s’insérer dans le tissu économique, « 80 % des réfugiés sont des femmes et des enfants qui veulent rester dans les pays limitrophes pour rentrer au plus tôt », souligne M. Leschi. Le programme de répartition volontaire des réfugiés mis en place fin mars par la Commission européenne pour soulager la Moldavie – qui a accueilli près d’un demi-million d’Ukrainiens – ne rencontre d’ailleurs pas un franc succès. « Les gens ne saisissent pas toutes les offres, loin de là », constate M. Leschi, alors que la France a promis d’accueillir par ce biais 2 500 Ukrainiens.
Ailleurs en Europe, c’est en Allemagne, en République tchèque, en Hongrie, en Espagne ou en Italie que les réfugiés ukrainiens se rendent, et où se trouvaient les diasporas les plus importantes. Une réalité qui renvoie notamment à des migrations économiques dans les années 1990 et 2000. « Sur les 286 000 Ukrainiens présents en Italie, il y a 183 000 femmes, détaille par exemple Didier Leschi. Ce sont les “badante”, qui font de l’aide à domicile pour les personnes âgées. »
« L’Allemagne dégage autre chose »
Pour François Héran, titulaire de la chaire Migrations et sociétés au Collège de France, le fait que les ressortissants des pays d’Europe centrale aient migré vers les pays du sud de l’Europe repose aussi sur l’idée que « dans les vieux pays d’immigration, des diasporas sont déjà installées et il est plus difficile d’y créer de nouvelles filières que dans les pays qui viennent de s’ouvrir à l’immigration ».
Le faible nombre d’Ukrainiens arrivant en France fait en outre écho au faible nombre de Syriens qui sont venus y demander l’asile au moment de la « crise des migrants » en Europe. A l’époque directeur de l’Office français de protection des réfugiés et des apatrides (Ofpra), Pascal Brice se souvient qu’il s’était rendu en 2015 au Palais des congrès de Munich, avec une dizaine de fonctionnaires de l’Ofpra, pour convaincre péniblement des Syriens et des Irakiens de venir demander l’asile en France, alors que François Hollande avait promis de soulager Angela Merkel. « Ça avait été très compliqué, reconnaît-il. Je n’ai jamais ressenti de rejet de la France mais l’Allemagne dégage autre chose en termes de puissance économique et de capacité d’accueil. »
Entre 2014 et 2020, la France a enregistré 25 195 premières demandes d’asile de Syriens quand, dans le même temps, l’Allemagne en a enregistré plus de 633 000, bien que la majorité des réfugiés syriens se soient maintenus dans des pays limitrophes comme la Turquie ou le Liban. « Sur les 6,8 millions de Syriens qui vivent aujourd’hui en dehors de chez eux, 17 % vivent dans l’Union européenne », souligne M. Héran.
On observe la même dynamique pour les Afghans. Alors qu’ils ont déposé près de 600 000 premières demandes d’asile dans l’Union européenne entre 2014 et 2020, 109 000 ont été enregistrées en Allemagne, contre 88 000 en France. Et si, aujourd’hui, la demande afghane reste à un niveau élevé en France (c’est la première nationalité, avec 10 000 demandes d’asile), elle est bien souvent le fait de demandeurs qui ont été déboutés dans d’autres pays comme l’Allemagne, l’Autriche ou la Suède, faisant de la France, un choix de rebond, de dépit.