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Source : Médiapart - Nejma Brahim - 29/04/2022

Le chercheur et économiste libanais Nizar Hariri revient sur le naufrage du 23 avril, au large de Qalamoun, au Liban, qui a fait six morts et une trentaine de disparus. Depuis 2019 et la crise que connaît le Liban, les tentatives de traversée se multiplient et ne concernent plus seulement les réfugiés mais aussi les Libanais.

Économiste et professeur associé à l’université Saint-Joseph de Beyrouth, Nizar Hariri décrypte les récents départs de migrant·es par la mer depuis le Liban, et le naufrage d’une embarcation transportant une soixantaine de personnes, survenu au large de Qalamoun (Tripoli) le 23 avril dernier, au cours duquel au moins six d’entre elles ont perdu la vie et une trentaine d’autres ont disparu.

Des proches des victimes se sont rassemblés, le 27 avril, pour réclamer que les recherches de disparu·es soient accélérées, déclarant ne pas avoir de problème avec l’armée, accusée d’avoir provoqué le drame, mais avec « la classe politique au pouvoir, qui a pillé le pays », rapporte le quotidien L’Orient-Le Jour. Moins d’une semaine après le naufrage, vendredi 29 avril, une autre embarcation, transportant 85 personnes, a été interceptée par l’armée libanaise.

Alors qu’une partie des réfugié·es syrien·nes et palestinien·nes a fui le Liban, des Libanais tentent eux aussi la traversée depuis la crise que connaît le pays. Selon le Haut-Commissariat aux réfugiés, près de 190 Libanais ont pris la mer en 2021. Au total, 400 000 personnes, « probablement plus si l’on compte les départs clandestins », ont déjà quitté le pays depuis 2019. Spécialiste du marché du travail, le chercheur, qui suit de près les migrations au Liban, explique pourquoi il est dans l’intérêt de la classe dirigeante de « pousser » les gens au départ.

Nizar Hariri, économiste et professeur associé à l'université Saint-Joseph à Beyrouth. © DR.

Les traversées depuis le Liban ne sont habituellement pas fréquentes et importantes. Le phénomène s’est-il amplifié au cours des derniers mois ?

Nizar Hariri : C’est un phénomène qui existait probablement déjà avant, mais qui était plus marginal. On n’en parlait pas ou très peu et on n’entendait pas parler de naufrages, ou alors de façon très sporadique. Les migrations depuis le Liban se sont développées dans la dernière décennie, avec les réfugiés syriens notamment. Cela s’est amplifié, au point de devenir un événement public et récurrent au cours des deux dernières années, surtout parce que cela ne concerne plus les réfugiés uniquement. Tant que cela ne concernait que les réfugiés, l’opinion publique libanaise ne s’y intéressait pas vraiment.

Celle-ci avait tendance à mettre la détresse et la pauvreté à l’écart en considérant que ça n’était pas son problème. Mais quand on a vu que le phénomène touchait aussi bien les Libanais que les Syriens, cela a été davantage médiatisé. En 2020, par exemple, un sérieux naufrage a fait beaucoup parler. Deux rescapés ont été ramenés au Liban et ont raconté la traversée et le déroulé du drame.

L’un d’entre eux était resté deux jours en mer et son sauvetage relevait du miracle… Il a été sauvé par hasard par un bateau qui passait par là. C’étaient des Libanais, originaires de Tripoli. Cet événement a sorti les Libanais de leur sommeil. Le naufrage du week-end dernier montre encore une fois que des Libanais partent clandestinement.

Que sait-on de ce naufrage et des personnes qui étaient à bord de l’embarcation ?

Déjà, il y avait plus de Libanais que de Syriens. Ensuite, on note un changement de profil assez marquant : dans l’embarcation du naufrage du 23 avril, il n’y avait pas que des personnes pauvres ou extrêmement pauvres. Cela signifie que les gens ne fuient pas uniquement la précarité, ou en tout cas pas prioritairement. On a vu, dans les témoignages des rescapés, que c’était davantage le désespoir qui poussait la classe moyenne à partir.

Certains disaient clairement qu’ils étaient partis parce qu’ils ne pouvaient plus vivre ici, parce qu’ils étaient dégoûtés de ce qu’était devenu leur pays. Ils ne disaient pas qu’ils partaient parce qu’ils avaient faim ou qu’ils ne pouvaient plus nourrir leurs enfants. Leur idée était plutôt de tenter d’offrir un meilleur avenir à leurs enfants, parce qu’ils ne pouvaient plus vivre avec la classe politique dirigeante actuelle. Comme si celle-ci les avait contraints à prendre la mer.

L’un des rescapés, dont la femme et l’enfant n’avaient toujours pas été retrouvés au moment où il témoignait, expliquait bien cela : il espérait d’abord permettre à ses enfants de ne pas revivre la même chose que lui dans son pays. C’est assez nouveau, ce sont des individus qui auraient pu survivre au Liban.

Ce n’est donc pas une question de subsistance qui a primé dans leur choix de partir, mais la recherche d’une vie plus digne. Un autre rescapé n’a pas hésité à dire qu’il retenterait la traversée dès que la situation se présenterait. Si la situation économique et politique ne s’améliore pas, les traversées depuis le Liban risquent de s’intensifier.

Est-ce étonnant que la classe moyenne, particulièrement touchée par la crise au Liban, fasse partie des migrant·es ?

C’est en effet l’une des catégories socio-professionnelles les plus touchées par la crise, de même que les salariés ou les professeurs, qui sont les seuls à ne pas avoir de marge de manœuvre sur leurs revenus, fixés en livre libanaise par un contrat de travail. Ils ne peuvent pas ancrer leur revenu sur la hausse du dollar. Paradoxalement, les tranches que l’on pourrait croire les moins protégées, comme les concierges ou les travailleurs indépendants, peuvent revendiquer des hausses de salaire car elles sont payées à la tâche ou à la mission. C’est très probablement ce qui pousse la classe moyenne à prendre la mer.

Des proches de victimes du naufrage à l'entrée de la morgue de l'hôpital de Tripoli, au Liban, le 25 avril. © Ibrahim Chalhoub / AFP

Le naufrage a coïncidé avec une affaire qui a eu beaucoup de retentissement au Liban la même semaine, celle d’un professeur d’université qui a demandé à être euthanasié car il ne pouvait plus payer ses frais d’hospitalisation (la mutuelle dépendant de la livre libanaise). Cela dénote toute la détresse et la dénonciation de la classe politique qu’il y a derrière ce geste, assez fort. Cet homme aurait pu très facilement prendre ce bateau, alors même qu’il est professeur d’université.

C’est aussi remarquable que ce naufrage soit survenu du côté de Tripoli, ville considérée comme la plus pauvre du pays et de la Méditerranée, alors que c’est en fait la deuxième plus grande ville du Liban. Tout le discours politique qui a suivi le naufrage s’est construit autour de cette notion de pauvreté, notamment dans la bouche du premier ministre et du chef du gouvernement, qui ont réagi comme s’il y avait d’un côté les nantis et de l’autre les pauvres. C’est une manière d’escamoter l’idée d’un appauvrissement général de la population.

Renvoyer ces départs à des problématiques purement économiques serait donc une erreur ?

Oui, car ce serait une manière de dédouaner le politique. Rappelons qu’il y a deux ans, le président de la République a dit, au moment du soulèvement populaire qui a touché le Liban, que celui qui n’était pas content pouvait partir. Il y a donc une intention politique de pousser les gens au départ. Ceux qui en avaient les moyens l’ont déjà fait ; les autres sont restés et certains tentent le passage en mer aujourd’hui.

Combien de personnes, réfugié·es inclus·es, sont déjà parties ?

400 000 personnes ont quitté le Liban depuis 2019, probablement plus si l’on compte les départs clandestins. Il y a d’abord eu une intensification des départs des réfugiés syriens et palestiniens, que la classe dirigeante libanaise ne veut pas s’avouer. Le sujet est extrêmement politisé au Liban. L’élite politique ne veut pas admettre que le nombre de réfugiés palestiniens est de moitié moins que ce qui est annoncé officiellement (500 000 selon l’État).

En réalité, tout semble indiquer qu’il ne reste que 200 000 réfugiés palestiniens résidant au Liban. Même chose pour les réfugiés syriens, qui seraient, selon les chiffres officiels, 1,5 million, alors que le Haut-Commissariat aux réfugiés en annonce 1,1 million, soit 400 000 de moins.

Pourquoi l’État refuse-t-il de s’avouer le départ de ces réfugié·es ?

D’abord parce qu’il y a, pour les Palestiniens, tout un discours politique construit sur le danger de leur installation définitive sur le territoire libanais. Durant des années, il s’agissait de toujours plus réglementer le travail des réfugiés palestiniens et d’encourager le droit au retour. C’est une question très importante du point de vue des classes dirigeantes libanaises, qui ont fabriqué toute une mythologie autour de ça.

Pour les Syriens, depuis le début de la guerre en 2011, il y a tout un discours autour de la crise des réfugiés, présentée comme étant la véritable cause de la dégradation de la situation économique du Liban. L’État n’a donc pas intérêt à minimiser les chiffres. Mais si l’on accumule les Libanais ainsi que les réfugiés déjà partis, on sait que cela va provoquer un choc démographique inverse de celui que l’on a connu il y a dix ans (avec une hausse de la démographie de 35 %), ce qui va fortement arranger l’État. Il y a une véritable intention politique de pousser les gens au départ.

Pour quelles raisons un État pousserait-il son propre peuple à l’exil ?

Avec tous ces départs, le Liban va connaître, à l’horizon 2030, une chute drastique de la population résidente active. Et c’est le principal moyen de régler la situation économique du Liban : cela signifie 60 % de chômeurs et un million de résidents en moins dans le pays. Ces individus vont par ailleurs travailler à l’étranger et venir augmenter le nombre de transferts d’argent déjà existants de la diaspora.

Car les gens qui quittent le pays envoient de l’argent à leurs proches restés sur place. Les transferts d’argent ont toujours été la colonne vertébrale de l’économie libanaise. Le Liban figure parmi les 15 pays qui reçoivent le plus de transferts d’argent en volume au monde. Cela représente 6 à 7 milliards par an et dépasse 10 % du PIB du pays, ce n’est pas négligeable.

C’est devenu la source première des rentes qui alimentent le système clientélaire libanais. La classe dirigeante et la Banque centrale ont donc tout intérêt à ce qu’il y ait un appauvrissement de la population et à pousser l’émigration pour que la diaspora libanaise de l’étranger envoie des fonds à ses proches.

 


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