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La secrétaire générale de La Cimade dénonce : les enfermements arbitraires, les violences et les mises à l’isolement répétées, un climat de stigmatisation grandissante, les expulsions illégales

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Source : Le monde - Anne Hazard, Mattea Battaglia, Solène Cordier, Lucie Soullier et Margherita Nasi - 30/04/2022

TémoignagesCarnets d’exil, épisode 3. Avec la guerre, ils ont quitté Odessa, Kiev ou Lviv, et ont posé leurs valises à Strasbourg, Asnières, ou encore désormais à Semur-en-Auxois. Pour quelques semaines, quelques mois… qui peut savoir ? Douze familles ukrainiennes et russes ont accepté de nous raconter leur quotidien et de nous donner des nouvelles au fil des semaines.

Leurs vies ont été bouleversées par le conflit. Douze familles ukrainiennes et russes nous racontent leur nouveau quotidien en France au fil des semaines. Depuis nos derniers échanges, Lessya a dû quitter avec regret le foyer qui l’hébergeait à Dijon, Alina attend toujours un rendez-vous à Pôle emploi à Nice, la lycéenne Maria, installée à Strasbourg, a profité des vacances scolaires pour aller voir des amis réfugiés en Pologne. Khrystina, elle, se demande si elle doit écouter son père, qui lui conseille de revenir à Lviv, tandis que, pour Tamara, l’inquiétude concernant ses proches restés à Odessa a été ravivée par les bombardements meurtriers sur la ville.

Dans cette série « Carnets d’exil », tous les noms ne seront pas publiés afin de protéger les personnes qui ont accepté de témoigner auprès du Monde.

Deux mois après le début de la guerre en Ukraine, plus de 70 000 déplacés ukrainiens bénéficient de l’allocation pour demandeurs d’asile en France, selon les chiffres de l’Office français de l’immigration et de l’intégration publiés le 27 avril.

Lessya, à Semur-en-Auxois « Ce déménagement loin de Dijon est la pire des solutions »

Le 19 avril, Lessya (40 ans) et ses filles, Eva et Amelia (13 et 9 ans), ainsi que sa sœur Ira ont été déplacées dans un foyer à Semur-en-Auxois (Côte-d’Or), à 80 kilomètres de Dijon et de l’école des filles. Une absurdité, selon elle. Pourquoi vivre aussi loin de tout ce qui lui permettrait de s’installer en France ? Pour l’heure, ce sont les vacances jusqu’au 2 mai. Malgré un sentiment d’isolement et d’infantilisation, Lessya reste cependant très touchée par l’accueil exceptionnel qu’elle reçoit.
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« À PÂQUES, NOUS ÉTIONS À SEMUR, loin de nos amis de Dijon avec qui nous avons échangé des e-cartes faute d’être ensemble. Les déplacements sont contraignants : deux heures trente aller-retour avec deux bus par jour le week-end, quatre en semaine. Ce « déménagement » est, selon les personnes de l’aide sociale, la meilleure solution parce qu’elle est pérenne. Pour moi, c’est la pire. Elle me coupe des possibilités pour m’intégrer au plus vite. J’ai pourtant expliqué notre situation, la scolarisation d’Eva et Amelia… A Semur, nous sommes toutes les quatre, le père de mes filles a sa chambre. Il y a une seule autre famille ukrainienne, l’aide humanitaire y est plus rare – deux fois par mois. C’est bien pour les gens qui préparent leur retour en Ukraine, pas pour nous. Cet éloignement n’empêchera pas Eva et Amelia de poursuivre leur scolarité à Dijon et d’y finir leur année scolaire. Je ne peux pas leur enlever ça, elles y sont si heureuses. Elles sont ma priorité.

Mardi, j’ai eu rendez-vous à Pôle emploi, j’attends la date d’un test de français. J’aimerais suivre une formation de trois mois au Greta. Pour trouver du travail, je dois connaître votre langue. Pour l’apprendre, je dois suivre cette formation. L’interprète bénévole qui m’a accompagnée a été rassurante. Mais le contrat que je dois signer au foyer de Semur m’inquiète. Si je m’absente trois jours, je dois prévenir, si c’est plus de sept, c’est l’expulsion et la suppression de l’aide de l’Etat. C’est injuste et vexant. A 40 ans, je dois tout justifier comme une enfant, moi qui pensais être libre d’aller et venir ! Eva et Amelia ignorent tout de ces obstacles. Elles profitent des vacances. Eva voulait voir ses copains à Dijon mais c’est trop compliqué en raison du temps de transport.

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Ma sœur reste optimiste, elle veut retrouver Kiev et son fils de 18 ans. Pour moi, c’est impossible. Boutcha a ravivé trop de souffrances. Depuis la guerre, la peur ne me quitte plus. Ce n’est pas la vie que j’espère pour mes filles. Et ça, je voudrais que mes interlocuteurs l’entendent. » – Anne Hazard

Tamara, à Asnières « Si les bombardements reprennent à Odessa, il faudra faire venir ici la femme et les enfants de mon fils »

Lors de notre première visite à l’appartement paroissial, à Asnières (Hauts-de-Seine), occupé par Tamara (63 ans), sa fille Violetta (39 ans) et sa petite-fille Sofia (12 ans), un flyer de campagne d’Emmanuel Macron était affiché au mur, à côté de la photo de Sergueï, le fils de Tamara demeuré avec le reste de la famille à Odessa. Cette fois, c’est un poster du président tout juste réélu. Un sourire éclaire les larmes de Tamara : « Je savais qu’il allait gagner, c’est mon amour. » Elles l’ont demandé à des jeunes qui en distribuaient au parc.

« CE WEEK-END, LES RUSSES ONT BOMBARDÉ ODESSA. Huit personnes sont mortes, dont un bébé. Dix-huit autres sont blessées, et il y a encore des gens qui ne sont pas sortis des ruines. On cherche une femme enceinte. Mon fils a appelé. Il a dit qu’il voulait attendre de voir si ça se calmait, et que, si les bombardements reprenaient, il faudrait faire venir ici sa femme et leurs deux enfants. Il me dit qu’il a attendu treize ans pour avoir sa fille, et qu’il ne veut pas s’en séparer alors qu’elle n’a qu’un an. Mais, là, ils bombardent des maisons. On ne sait pas du tout où les bombes vont tomber. Vous comprenez ce qu’il se passe ? Poutine veut obtenir une victoire avant le 9 mai [jour anniversaire de la capitulation de l’Allemagne nazie, en 1945]. C’est un diable, un vampire, combien de sang doit-il boire pour être satisfait ?

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Depuis la dernière fois qu’on s’est vues, nous sommes allées à la préfecture, on nous a donné des cartes qui vont être créditées, d’ici quarante-cinq jours, de plusieurs centaines d’euros. J’ai consulté le médecin, qui m’a rassurée en disant que mon cœur bat trop vite à cause du stress, mais que ce n’est pas une pathologie. Il m’a donné des médicaments et je dors mieux. Sofia est inscrite au collège qui se trouve à dix minutes d’ici à pied, elle commencera après les vacances. Elle a toujours aimé l’école, elle s’est toujours débrouillée toute seule pour ses devoirs. Ce n’est pas pareil pour mon petit-fils, qui est resté à Odessa. Il a toujours été très fragile, il a été opéré à la tête quand il était petit. Mais il est très fort pour tout ce qui touche à l’ordinateur. Chacun d’entre eux a ses qualités. Il me manque. » – Solène Cordier

Khrystyna, à Courbevoie « Mon père insiste pour que je reprenne mes études à Lviv »

Khrystyna (20 ans) prend enfin ses marques à Courbevoie : elle s’est fait des amis qui l’accompagnent visiter des musées ou dessiner en plein air, fait de longues balades pour découvrir Paris. Elle souhaiterait rester en France et pourquoi pas faire une école d’art, son rêve d’enfant. Mais ses parents s’inquiètent et voudraient qu’elle reprenne ses études de langues à Lviv.
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« JE PENSAIS QUE LA GUERRE se terminerait rapidement, quand elle a commencé, que la société civile russe réagirait. Je n’ai plus cet espoir désormais. Le conflit s’installe. Je me sens bien en France, mais je ne peux pas m’empêcher de penser qu’à chaque instant des gens meurent dans mon pays. J’ai recommencé à donner des cours de langues en ligne, et je vire l’argent que je gagne à l’armée [ukrainienne], ça m’aide à déculpabiliser. J’ai de plus en plus d’amies qui partent, direction le Danemark, la Suède, l’Allemagne, car, en Ukraine, on ne trouve plus de travail.

Pour Pâques, j’ai appelé une ancienne camarade d’université à Lviv, qui s’est installée à Strasbourg. On est restées au téléphone toute la nuit. On a salivé en évoquant les plats qui nous manquent le plus : en ce qui me concerne, ce sont les pierogi, des sortes de ravioles, aux cerises. Et on a parlé de nos traditions. Généralement, on se rend le soir à l’église avec un panier de nourriture, on rentre à la maison vers 5 heures du matin, on réveille tout le monde, et on mange le pain de Pâques. Chaque famille en prépare plusieurs. Il faut en manger douze préparés par différentes personnes pour avoir de la chance pendant l’année qui vient.

J’ai aussi appelé ma grand-mère, je ne l’avais pas eue depuis mon départ, elle était surprise et heureuse d’apprendre que je suis en France. Je ne l’avais pas prévenue pour qu’elle ne s’inquiète pas, mais elle est très sereine : elle m’assure que je trouverai ma voie. Mes parents sont plus inquiets. Ma mère est à bout, elle est réveillée toutes les nuits par le bruit des sirènes. Mon père insiste pour que je reprenne mes études de langues à Lviv. Moi, je rêve de rester en France en tant que jeune fille au pair, tout en faisant des études d’art à Paris. Mais je n’ai pas assez confiance en moi pour me lancer.

Ma famille d’accueil me rassure et me suggère de prendre mon temps. Mais je suis impatiente. Je m’interroge beaucoup sur mon futur. Parce que j’ai 20 ans, l’âge des questionnements. Et parce qu’avec tout ce qui se passe en Ukraine j’ai l’impression que l’avenir est brouillon, et injuste. » – Margherita Nasi

Alina, à Nice « Je n’ai pas compris, mon rendez-vous à Pôle emploi a encore été décalé ! »

A Nice, le temps s’est ralenti pour Alina (31 ans), son mari, Yevhen, et leur petite Uliana, 6 ans. Après la course, à Nice, pour trouver un toit, une banque, une école, l’urgence s’est transformée en longue attente. Comme ce rendez-vous avec Pôle emploi prévu le 12 avril qui n’a pas eu lieu. Alina s’est présentée, un papier à la main sur lequel un agent avait inscrit l’adresse, la date et l’heure : 15 h 10. Elle avait aussi reçu un SMS confirmant ces informations. Mais le document officiel du rendez-vous, en français, indiquait 10 h 30. Un nouveau rendez-vous a été fixé le 28 avril. La veille, on vient aux nouvelles. La conversation démarre par un « bonjour, ça va ? », fièrement lancé en français.
 
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« MON RENDEZ-VOUS A ENCORE ÉTÉ DÉCALÉ ! Je n’ai pas compris : ils m’ont appelée, et maintenant, je dois y aller le 5 mai. Pour ne pas perdre encore plus de temps, je suis en train de rédiger mon CV en français. Je ne perds pas espoir de trouver un travail dans mon domaine [Alina et son mari avaient lancé une marque de vêtements à Kharkiv, et ouvert des magasins en Ukraine].

Yevhen, lui, a terminé ses cours de webdesign en ligne : maintenant, il a un diplôme officiel. Croisons les doigts pour que ça lui permette de trouver rapidement un travail. Nous sommes aussi passés à l’université, mais sans trouver le bâtiment pour les étudiants étrangers. On va réessayer. Maintenant qu’Uliana a repris l’école, après quinze jours de vacances, ce sera plus facile d’avancer.

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On continue tous d’apprendre le français, Uliana s’amuse à nous donner des cours avec ses livres d’école. Mais c’est encore très difficile de parler. Peut-être parce que nos pensées sont ailleurs… J’essaye de me distraire mais ça ne fonctionne pas toujours. Les nouvelles de nos proches sont pires chaque jour, on entend tellement d’horreurs sur ce qu’il se passe à Kharkiv et dans tout le pays. Mais ma famille est en sécurité, je prie pour ça tous les jours…

On est toujours aussi surpris par la bienveillance des Français depuis notre arrivée. Yevhen avait des problèmes de vue, il a pu voir un ophtalmologiste et a eu des lunettes gratuitement. La veille de Pâques, Steffy – qui nous prête déjà l’appartement – nous a invités à dîner. J’ai mangé le meilleur fromage de ma vie. C’était une soirée magique. Je ne peux pas encore dire que je me sens chez moi, mais je peux définitivement dire qu’on se sent bien, ici. » – Lucie Soullier

Maria, à Strasbourg
« J’avais terriblement besoin de retrouver mon groupe d’amis en Pologne »

Première séparation pour la lycéenne Maria (17 ans) et sa grande sœur, Valeria (26 ans). Depuis leur départ de Kiev et leur installation à Strasbourg, début mars, elles ne s’étaient jamais quittées. Le 14 avril, la cadette a profité des vacances scolaires pour rejoindre quatre camarades réfugiés en Pologne. Six jours de retrouvailles.
 
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« MES PREMIÈRES VACANCES ENTRE AMIS, ce n’est pas exactement comme ça que je les imaginais… mais je ne regrette rien ! Vingt heures de voyage – dans six trains différents – à l’aller comme au retour, pour rejoindre la petite ville de Zabrze, dans le sud de la Pologne. Des journées sous la pluie. Des magasins fermés pour cause de jours fériés [en raison de Pâques]… On est très loin de la carte postale !

Mais quel plaisir de retrouver Bogdan, Daria, Alex et Marie ! On ne s’était plus vus depuis les premiers jours de février. Trois semaines avant l’offensive russe, mon lycée, à Kiev, a fermé. Une « quarantaine » pour cause de Covid. Ensuite, ç’a été la guerre, la fuite… On avait tellement de choses à se raconter. Ça tombait bien : entre le budget serré – même si j’ai pu voyager gratuitement dans les trains français – et la météo, on est souvent resté enfermés. On a bien tenté quelques balades, à Katowice et même à Varsovie, une journée. C’était l’anniversaire de la révolte du ghetto. J’ai eu l’impression d’y croiser plus d’Ukrainiens que de Polonais ! Mais l’essentiel n’était pas là.

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J’avais terriblement besoin de retrouver mon groupe d’amis. Se confier, partager nos souvenirs, se rassurer sur nos proches : c’était l’objectif. Ils vivent des choses très dures : eux viennent de Boutcha, d’Hostomel et d’Irpine, trois villes où règne aujourd’hui le chaos. On a parlé des massacres ; ils sont très inquiets. A ce stade, ils ne se voient pas rentrer en Ukraine, et s’imaginent déjà étudier ailleurs : Daria et Bogdan en Pologne, Alex et Marie au Canada. En attendant, ils continuent de suivre certains enseignements, en visio, avec notre lycée de Kiev. Ça a du bon : ils gardent un lien fort avec notre classe.

Mais, sincèrement, je crois, dans un contexte aussi compliqué, que je préfère mes « vrais » cours dans mon « vrai » lycée de Strasbourg. Le bac français approche, j’ai fini de lire Rabelais… J’arrive de mieux en mieux à me sentir une lycéenne de 1re. Je m’en suis rendu compte au contact de mes amis, en comparant nos situations respectives.

Ces six jours de vacances sont passés trop vite… On parle déjà d’en reprogrammer d’autres ! » – Mattea Battaglia

 


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