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La secrétaire générale de La Cimade dénonce : les enfermements arbitraires, les violences et les mises à l’isolement répétées, un climat de stigmatisation grandissante, les expulsions illégales

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Source : Le monde - Gilles Rof - 07/05/2022

Plus de 830 réfugiés vivent depuis plus d’un mois sur ce bateau de la Corsica Linea. Une initiative unique en Europe, qui doit prendre fin le 10 juin.

Il y a ces bataillons de poussettes qui attendent à la porte des cabines. Ces dessins d’enfants collés aux murs du bar. Ces femmes assises dans les fauteuils des couloirs, le regard perdu ou fixant fiévreusement l’écran de leur téléphone portable. Ou cette boîte de nuit transformée en halte-garderie, dont la moquette rouge, très années 1990, est jonchée de peluches aux couleurs pétantes. Et puis, il y a cette gravité générale qui amortit les bruits et les émotions.

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Depuis le 29 mars, le ferry Méditerranée, 30 ans d’âge, est devenu le plus grand centre d’accueil de réfugiés venus d’Ukraine dans les Bouches-du-Rhône. Un site unique en France qui, au 4 mai, hébergeait plus de 830 personnes, dont 230 enfants, et centralise, dans un seul lieu, services médicaux, sociaux, d’aide à l’emploi, pour soutenir ceux qui ont fui leur pays en guerre. Une bulle hors du temps, amarrée au quai de la Joliette (2e) et protégée par les hautes grilles du port de Marseille. Un sas sécurisé et bienveillant entre un passé écrasé par les bombes et un avenir inconnu.

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« Je sais bien qu’ils ne peuvent pas être heureux d’être là. Mais je pense que les réfugiés se sentent bien sur ce bateau. » A la poupe du Méditerranée, Pierre-Antoine Villanova, directeur général de la Corsica Linea, navigue entre fierté et bouffées d’émotion. Ouvrir le ferry était son idée, saisie au vol par le préfet de la région Provence-Alpes-Côte d’Azur, Christophe Mirmand, et les services de l’Etat. Immédiatement soutenue par le conseil régional, la municipalité, la chambre de commerce et d’industrie de Marseille et de nombreux partenaires privés et associatifs. Un élan solidaire dont la vitesse surprend encore l’entrepreneur de 54 ans.

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Sur le pont, derrière lui, des vêtements sèchent sur des étendoirs. Et trois grands-mères papotent en prenant le soleil. En à peine plus d’un mois, le Méditerranée est devenu essentiel dans le dispositif d’accueil des Bouches-du-Rhône, absorbant près des deux tiers des 1 360 réfugiés officiellement recensés. Une immense majorité de femmes isolées avec leurs enfants, mais aussi des personnes âgées et quelques hommes. « Début mars, plus de 50 réfugiés arrivaient quotidiennement sur notre territoire et nous n’avions aucune visibilité, se remémore Anthony Barraco, directeur départemental adjoint de l’emploi, du travail et des solidarités, qui pilote l’opération. Les résidences d’hébergement étaient saturées, alors que nous gérions toujours la question du Covid-19. Comment aurions-nous fait sans le bateau ? »

« On se sent utiles »

Avec ses 500 cabines, le Méditerranée peut accueillir jusqu’à un millier de réfugiés. « C’est une mission atypique. Un bateau est fait pour naviguer, pas pour être à quai. Mais l’équipage se montre très motivé. » Crâne rasé, haute taille, épaulettes à galons, le commandant Sébastien Adam donne l’exemple. Il y a quelques jours, il accompagnait les enfants du bord en sortie au zoo. « On apporte hébergement et sécurité, on se sent utiles », reconnaît l’officier.

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Désarmé en 2021, le Covid-19 bloquant ses rotations habituelles entre Alger et Marseille, le Méditerranée s’est adapté dans l’urgence. Cinq cents panneaux de signalétique en ukrainien ont été installés. L’antenne satellite a été réorientée pour capter les télévisions du pays. Le vaste garage du pont 5, où flotte toujours une tenace odeur de moteur, a mué en espace sportif, avec filets de tennis, cages de foot et panneaux de basket… Et le salon Pullman est devenu une zone d’accueil pour les différentes associations présentes à bord. Avec, tout au fond, à l’écart, l’espace réservé aux médecins et psychologues de la cellule d’urgence médico-psychologique des hôpitaux universitaires de Marseille.

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En face, un autre salon propose des dons de fournitures scolaires, de produits d’hygiène, de poussettes et, une fois par semaine, distribue le linge de cabine… « Certains n’avaient plus rien en arrivant ici », témoigne le commissaire de bord Loïc Derrieu, pivot du dispositif. « Habituellement, je suis chargé de la restauration, de l’hébergement et des passagers… Maintenant, c’est restauration, hébergement et réfugiés », s’amuse ce Marseillais de 32 ans qui, depuis le 29 mars, ne quitte plus son poste. « Je prendrai mes repos à la fin de la mission », assure-t-il.

Le 24 avril, il a aidé les réfugiés à organiser la Pâques orthodoxe. « Messe dans le cinéma, chasse aux œufs sur les ponts… A bord, chacun dépasse ses missions », s’enthousiasme-t-il. Deux jours plus tôt, Loïc Derrieu a envoyé ses équipes accompagner une réfugiée, enceinte, à l’hôpital Nord. Et Erik, 3,4 kilos, le premier bébé du Méditerranée, est né quelques heures plus tard.

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Au self, qui assure gratuitement trois repas par jour, le chef Philippe Torrisi s’adapte, lui aussi. « Certains m’ont montré que les plats proposés leur faisaient mal au ventre, raconte-t-il, en mimant la scène. Je leur ai demandé des recettes. » Ce jeudi 5 mai, il propose donc choucroute, salade avec câpres et pommes de terre… La veille, c’était un bortsch. Et des fruits, que chacun emporte par poignée, pour plus tard.

« Je veux travailler rapidement »

Mais ce qui frappe surtout cet ancien du Méditerranée, c’est le silence qui règne dans la file d’attente. « Leurs regards sont graves… », note le cuisinier, touché. Tout au fond du restaurant, bondé, Lydia finit son repas sans bruit. Arrivée depuis quatre jours sur le bateau, cette Ukrainienne du Donbass s’éclaire un peu quand on lui parle du bortsch. « Très bon », félicite-t-elle. Après quelques semaines à Reims (Marne), elle apprécie les conditions d’accueil du ferry. Son fils, Luka, 5 ans, court entre les tables. Peau diaphane et yeux clairs, elle a laissé mari, père et sœur au pays. Elle leur parle tous les jours au téléphone et rêve de repartir. « Mais je ne sais pas dans quel état sera ma maison quand ce sera possible », s’inquiète-t-elle.

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A la table voisine, Nikoloz Khizanishvizi est l’un des quelques Géorgiens présents à bord. A 34 ans, il vivait à Kiev depuis près d’une décennie. Lui ne peut pas travailler en France et ne bénéficie pas des démarches administratives simplifiées offertes aux Ukrainiens. Malgré cela, il joint ses mains : « L’accueil est meilleur ici qu’en Pologne ou en Allemagne. Merci, la France ! »

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Le cœur de la vie quotidienne du Méditerranée bat au bar du pont 8. Au comptoir, les boissons chaudes – thé, café, chocolat… – sont gratuites. Et les sodas coûtent 1 euro. A bord, la vente d’alcool est strictement interdite.

Seul à une table, Dymytrii Kornilov, 30 ans, travaille son français. Survêtement noir, chaussettes dans des sandales vertes, il reconnaît être un peu « perdu ». « Je mets toute mon énergie à apprendre votre langue », explique, en russe, cet ingénieur textile, parti de Kharkiv à 5 heures du matin avec sa compagne le jour de l’attaque. Hébergé à Lyon, un ami lui a parlé du ferry. Et, le 4 avril, il a débarqué là. Depuis, Pôle emploi, qui se déplace sur le bateau deux fois par semaine, l’a inscrit à une formation en cybersécurité. « Je veux travailler rapidement », annonce-t-il, en replongeant dans ses conjugaisons.

« Je veux refaire ma vie ici »

Nadezhda, 67 ans, Irina, 39 ans, Daniela, 10 ans, sirotent leur thé pour passer le temps. Originaires de Mykolaïv, elles occupent deux cabines contiguës, pont 7, depuis trois semaines. « Sur le bateau, chacun a son caractère. Les gens sont très stressés », relativise la grand-mère quand on évoque l’ambiance à bord.

Avec sa fille et sa petite-fille, Nadezhda a visité le MuCEM, tout proche, et, chaque samedi, comme un rituel, elle se rend sur le Vieux-Port pour la manifestation de soutien à l’Ukraine. Sur la table, elle a posé une pochette plastique transparente. La même que celles que transportent précieusement tous les adultes du ferry. A l’intérieur, on repère le bleu profond du passeport ukrainien et quelques formulaires administratifs français. « On fait les papiers, c’est un peu compliqué. La CMU [couverture maladie universelle], ouvrir un compte… », énumère la sexagénaire. Aujourd’hui, comme chaque jeudi, la Caisse primaire d’assurance-maladie et une banque française tiennent guichet sur le pont 8. « Les gens veulent un compte pour recevoir leur salaire dès qu’ils vont commencer à travailler », explique Yulia Lukasheva, une des interprètes du bord.

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Dans l’après-midi, le président de l’Union des métiers et des industries de l’hôtellerie (UMIH) des Bouches-du-Rhône, Bernard Marty, est venu proposer des emplois, dans la salle de cinéma. « Nos adhérents cherchent désespérément des employés. Si on peut résoudre nos problèmes et aider les réfugiés, tout le monde est gagnant », glisse le patron de l’UMIH. Natalia Rogitskaïa, 53 ans, qui assure maîtriser six langues, sera ainsi envoyée au Sofitel du Vieux-Port, qui recherche des réceptionnistes. Sur le Méditerranée depuis un mois, elle dit être impatiente de reprendre une activité. « Je marche beaucoup, je fais du yoga sur le pont… Je pense que la France a été très gentille avec nous. Je veux refaire ma vie ici », résume-t-elle.

Si l’Etat promet de rendre public le coût de l’opération à la fin de la mission, la préfecture de région sait que le dispositif s’arrêtera dans près d’un mois, le 10 juin. Quelques semaines plus tard, le ferry reprendra ses rotations commerciales vers l’Algérie. « Mai sera le mois de la réorientation des personnes vers d’autres dispositifs. Les familles sont informées depuis le début », assure le pilote de la mission, Anthony Baracco. Cette perspective inquiète déjà Boris Mardariev, professeur bénévole de français à bord. « Ici, c’est à la fois un petit village ukrainien et un concentré de France au niveau social… Les réfugiés auront du mal à partir », prévient-il.

 


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