Source : Le monde - Gilles Rof - 11/05/2022
Une centaine de personnes a été évacuée de trois des bâtiments du parc Kallisté à la suite d’incidents entre demandeurs d’asile et habitants sur fond de trafic de stupéfiants.
« Welcome to the dark side. » Sur le fronton de l’entrée 32 du bâtiment G du parc Kallisté, une fresque annonce la couleur : « Bienvenue du côté obscur… » On y reconnaît Dark Vador, le héros maléfique de Star Wars. Passé la porte, l’allusion prend tout son sens. Face aux boîtes aux lettres défoncées, un autre graffiti décline les tarifs que pratique le point de deal qui s’ouvre, ici, la nuit. L’ascenseur ne fonctionne pas. Pas plus que la lumière dans la cage d’escalier. A chaque étage ou presque, des portes anti-intrusions ont été défoncées pour rendre les appartements accessibles. Elles s’ouvrent sur des logements vides où ne restent que quelques meubles récupérés, des matelas posés à même le sol et parfois des marmites qui attendent sur les cuisinières…
Mardi 10 mai, une centaine de squatteurs a été évacuée des bâtiments A, I et surtout G du parc Kallisté, tout au nord de Marseille. Des expulsions pilotées par la préfecture de région, qui ont nécessité la présence de deux unités de CRS, d’huissiers et d’un volant d’artisans venus immédiatement casser les parois des appartements vidés, poser alarmes et nouvelles portes sécurisées. « L’opération concerne trente-six logements occupés illégalement pour lesquels nous avons des décisions de justice. Neuf autres suivront. Notre but est de neutraliser ces appartements pour qu’ils ne soient pas réutilisés par des occupants irréguliers », explique le préfet Christophe Mirmand, qui s’est déplacé sur les lieux.
L’opération s’est déroulée dans un calme relatif. Pour beaucoup, elle a rappelé l’évacuation du bâtiment H, quatre ans plus tôt dans la même cité. Symbole d’une situation qui se répète dans une ville où de très nombreuses copropriétés dégradées sont investies par des squatteurs, guidés là par des marchands de sommeil. « 6 590 personnes sont enregistrées à la plate-forme d’accueil des demandeurs d’asile [PADA] de Marseille. Mille environ sont hébergées par les dispositifs de l’Etat. Les autres se débrouillent », calcule rapidement Aliu Jalloh, membre fondateur de l’association des usagers de la PADA. A Kallisté, il estime à plusieurs centaines le nombre de ses adhérents qui squattent des logements.
Démolitions programmées
Devant l’entrée G32, Friday et Alhaji, deux trentenaires nigérians, patientent. « We are innocent people » [« nous sommes des gens tranquilles »], répètent-ils tour à tour. Râblé et puissant, casquette siglée « New York » sur la tête, le premier est originaire d’Edo, au sud du Nigeria. Grande djellaba immaculée, coiffe sur la tête, le second vient du nord du pays. Tous deux sont entrés en France via l’Italie autour de 2020 et attendent l’étude de leur demande d’asile. Depuis quelques mois, ils ont trouvé un toit à Kallisté. Friday a payé deux fois 250 euros à un marchand de sommeil. Alhaji, 450 euros, à son entrée dans la petite chambre qu’il occupait depuis novembre 2021. « D’habitude, nous partons à cinq heures du matin pour travailler. On ne revient là que le soir », assure Alhaji. « Des petits boulots au noir », précise-t-il.
Un policier entre dans un appartement évacué d’un immeuble squaté de la cité Kalliste à Marseille, le 10 mai 2022.
Copropriété très dégradée, Kallisté vit la même situation que d’autres cités marseillaises intégrées au programme de l’Agence nationale de rénovation urbaine (ANRU). La démolition du bâtiment G est prévue autour de la fin de l’année 2023. Mais pour la lancer, il faut d’abord reloger ses habitants.
Les décisions de justice tombent au cas par cas (constats d’appartements vacants, déclarations d’insalubrité, de défaillance des occupants, etc.) et la lenteur des procédures profite aux marchands de sommeil, notamment nigérians, qui prennent possession des appartements vides pour y installer des « locataires ». Un filon qui génère, selon des sources policières, d’importants bénéfices, et transforme le quotidien des habitants légaux, de moins en moins nombreux, en véritable enfer.
Rivalités entre locaux et Nigérians
L’opération d’évacuation à Kallisté était programmée par les services de l’Etat. « Elle devait intervenir au cours de l’été », concède le préfet Mirmand. Mais depuis dix jours, les conditions de sécurité se sont brutalement aggravées.
Révélées par le site d’information Marsactu.fr, les très fortes tensions qui ont agité le bâtiment G au cours du week-end du 1er mai ont poussé les autorités à accélérer. Samedi 30 avril, deux Nigérians ont été blessés par des tirs d’armes à billes. Des incendies se sont ensuite déclenchés dans l’entrée 29, puis dans l’entrée 31 de cette imposante barre d’immeubles, poussant quatre squatteurs à sauter par une fenêtre. Paniquées, plusieurs familles, habitant légalement leurs appartements, ont demandé à la municipalité de les reloger et alerté les médias.
Un policier entre dans un batîment squaté de la Cité Kalliste et passe devant un mur où sont tagués les prix de la drogue, à Marseille, le 10 mai 2022.
Attribuée dans un premier temps à des coups de force de marchands de sommeil tentant de prendre le contrôle de nouveaux appartements, la montée de tension serait plutôt due au trafic de stupéfiants. Déjà très présents dans la prostitution, des membres de la communauté nigériane s’intéressent de plus en plus à ce domaine. Pour le moment, ils fournissent aux réseaux historiquement implantés des petites mains taillables et corvéables à merci. « Ça chauffe depuis que le réseau a employé des Nigérians sans les payer », fait ainsi remarquer un des habitants de Kallisté, croisé au G32.
Depuis le début de l’année, la stratégie d’occupation du terrain décrétée par la préfète de police a conduit à trente-huit opérations de « pilonnage » des points de deal et à l’interpellation de trente et une personnes. « Il n’y a pas de zone de non-droit », a tenu à préciser le préfet Christophe Mirmand, mardi matin, devant la barre G de Kallisté.