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Source : Médiapart - Nejma Brahim - 20/08/2022

Les traversées depuis les côtes tunisiennes vers l’Italie sont en constante augmentation depuis 2017. Le chercheur Hassen Boubakri, spécialiste des mouvements migratoires en Méditerranée centrale, revient sur le contexte qui pousse les exilés à fuir leur pays.

14 000 migrants partis de Tunisie ont rallié l’Italie par la mer en 2020. L’année suivante, ils étaient 18 000 et cette année, la tendance à la hausse se confirme : rien que pour le mois de juillet, les Tunisiens représentaient 30 % des exilés qui ont traversé la Méditerranée centrale, soit 5 000 personnes. Une part « énorme », estime le chercheur Hassen Boubakri, professeur de géographie aux universités de Sousse et de Sfax et spécialiste des migrations. À ce nombre s’ajoute celui des migrants subsahariens qui tentent de gagner l’Europe depuis la Tunisie.

Si l’augmentation des départs par la mer reste indéniable, il faut selon lui relativiser et contextualiser ces chiffres pour mieux les saisir. Entre la fermeture des frontières et la crise socioéconomique sans précédent que connaît la Tunisie, doublée d’un manque de solidarité des pays du Nord avec ceux du Sud, la population locale ne parvient plus à se projeter. « Ceux qui ont les moyens anticipent l’avenir pour le bien de leurs enfants, et les pauvres migrent pour des raisons de survie », note le président du Centre de Tunis pour la migration et l’asile (Cetuma), pour qui les traversées risquent d’augmenter encore davantage.

Mediapart : Plus de six cents personnes ont tenté la traversée de la Méditerranée depuis les côtes tunisiennes, avant d’être interceptées, le week-end des 13 et 14 août. Comment expliquez-vous de tels chiffres, est-ce uniquement lié aux bonnes conditions météorologiques ?

Hassen Boubakri : Pas uniquement, non, car la météo est favorable depuis le mois de juin. Il se trouve que la demande est forte et que l’offre y répond, tout simplement. Et quand je parle de l’offre, il s’agit bien entendu des réseaux de passeurs. Plus l’offre augmentera, plus il y aura de départs et d’arrivées vers l’Italie. Il y aura aussi davantage d’interceptions effectuées par les gardes-côtes tunisiens et davantage d’arrestations. Il est à noter qu’il y avait à bord de ces embarcations différentes nationalités, en plus des Tunisiens.

Hassen Boubakri, spécialiste des migrations et des politiques migratoires dans l’espace euro-méditerranéen. © DR.

L’Observatoire national de la migration (ONM) note déjà une hausse de 38 % des départs par la mer depuis la Tunisie en 2021. Quid de ces cinq dernières années ?

En 2011, et c’est assez connu, près de 30 000 Tunisiens sont arrivés en Europe, plus précisément en Italie. Mais de 2012 à 2016, les chiffres étaient de l’ordre de quelques milliers. Une partie de la jeunesse tunisienne pensait qu’elle pouvait trouver un avenir en Tunisie. Cette accalmie provisoire a duré quelques années. Ce n’est qu’à partir de 2017 que le nombre de traversées et d’interceptions a augmenté, de manière constante, pour arriver à 14 000 en 2020 et 18 000 en 2021.

Entre 2014 et 2020, il y a donc eu cinq fois plus de Tunisiens qui ont emprunté la Méditerranée centrale. Cette année, en juillet, les Tunisiens représentaient le tiers des arrivées, soit 5 000 personnes. C’est énorme. Surtout si l’on compare ce chiffre aux années précédentes. Même Frontex [l’agence européenne de surveillance des frontières – ndlr] parle d’une hausse significative. Les chiffres finals de l’année 2022 risquent d’être encore plus importants que ceux de 2021.

Pourquoi le phénomène a-t-il pris autant d’ampleur ?

D’abord, les départs irréguliers par la mer, appelés aussi sea-crossings, ne caractérisent pas un phénomène nouveau. Ensuite, il est important de donner un contexte à ces chiffres. Le point de départ des traversées depuis le Maghreb (Tunisie, Maroc et Algérie) est la mise en place du système Schengen entre 1986 et 1993. Il faut souligner qu’il y avait une proximité sociale très forte entre les pêcheurs tunisiens et italiens d’un côté, et espagnols et marocains de l’autre. À partir du moment où les personnes ne pouvaient plus partir vers l’Italie ou l’Espagne et que l’Europe a commencé à se fermer, le nombre de départs a explosé.

Ces migrants syriens qui tentent de rejoindre l’Europe depuis l’Algérie

Les Maghrébins vont faire de l’Italie ou de l’Espagne un pays de destination, puis un pays de transit vers la France ou l’Allemagne. C’est ainsi que l’on connaît un glissement du centre de gravité migratoire de l’Europe classique de l’Ouest vers l’Europe méditerranéenne. Le besoin en main-d’œuvre originaire de pays tiers a aussi fait de l’Espagne et de l’Italie de grands pays d’immigration. Les Maghrébins sont les initiateurs des dispositifs de migration irrégulière par la mer, via la route de la Méditerranée centrale et le canal de Sicile. Les réseaux de passeurs en font un commerce. On ne peut pas imaginer qu’il y ait autant de départs et d’arrivées sans le système efficace qu’ils ont élaboré derrière.

Bien après, les migrants subsahariens ont rejoint ces routes, fuyant toute une décennie de guerre et de conflits en Afrique dans les années 90, du golfe de Guinée jusqu’à la corne de l’Afrique. Une partie de ces réfugiés et migrants économiques va rester en Afrique subsaharienne, une autre va traverser le Sahara pour rejoindre l’Algérie ou la Libye. Jusqu’en 2010, la Libye est d’ailleurs le principal pays de destination des migrants africains. Aujourd’hui, ce sont la Côte d’Ivoire et l’Afrique du Sud.

Pourquoi une partie des exilés subsahariens fait-elle le choix de passer par la Tunisie pour tenter de rejoindre l’Europe ?

Une partie fuit la Libye pour ne pas se trouver piégée dans des réseaux de traite. D’autres viennent directement par avion, car la Tunisie n’applique pas de visas avec des pays francophones tels que le Sénégal ou la Côte d’Ivoire. Certains tentent la traversée, d’autres restent et travaillent, ils se débrouillent comme ils peuvent. Il y a un besoin important de main-d’œuvre auquel les Tunisiens ne répondent plus. Ces derniers partent, et ceux qui restent refusent de travailler dans les métiers pénibles. On a donc une migration de substitution. Beaucoup d’universités privées accueillent par ailleurs des étudiants africains, contraints de s’adapter face à des restrictions de plus en plus importantes sur l’octroi de visas pour l’Europe, notamment la France.

Un bateau transportant 23 personnes venant de Tunisie est secouru par un navire de l’ONG Open Arms, près de Malte, le 21 mai 2022. © Valeria Ferraro / ZUMA Press Wire / REA

Quel est le profil des Tunisiens qui tentent la traversée ? Celui-ci a-t-il évolué au cours des dernières années, comme ce fut le cas en Algérie par exemple ?

Entre 2016 et 2018, c’étaient surtout des jeunes. Depuis 2021 — et c’est totalement lié à l’exacerbation de la crise tous azimuts que connaît la Tunisie —, cela concerne toutes les couches sociales, tous les âges, les femmes, les hommes, les adultes, les mineurs, les familles… Toutes les catégories socioprofessionnelles cherchent à migrer. Entre 2021 et 2022, je n’ai jamais vu autant de personnes qui partent ou se préparent à partir, y compris au sein de mes cercles proches.

Pour accompagner ces projets, il y a une mobilisation sociale et familiale surprenante. Pour réunir la somme nécessaire, le principal intéressé emprunte, sa famille aussi. Si c’est par la mer, cela peut monter jusqu’à 25 000 dinars tunisiens, soit 8 000 euros. Ceux qui partent ainsi remboursent ensuite l’argent qu’ils ont emprunté en une année de travail en Europe de l’Ouest. Ceux qui veulent s’éviter un voyage risqué par la mer ou qui n’ont pas les moyens de payer cette somme partent avec des visas légaux pour Istanbul ou Belgrade, puis empruntent ensuite la route des Balkans pour gagner l’Europe de l’Ouest, le tout avec l’aide de réseaux de passeurs.

En décembre dernier, une influenceuse aux 2 millions d’abonnés, Chaima Ben Mahmoud, s’est filmée en mer aux côtés d’autres candidats à l’exil, provoquant l’indignation d’une partie de l’opinion publique. Assiste-t-on à une normalisation du phénomène de « harraga » (départ clandestin par la mer) ?

Oui, absolument. Tous les jours, on voit des vidéos postées par les gens qui migrent, dans lesquelles ils se présentent. Ceux qui les dénigrent ou les attaquent seraient les premiers à partir s’ils trouvaient la moindre occasion. Cette semaine, on a même vu un élu municipal de la vile de Skhira, au sud de Sfax, qui est parti ainsi. Un policier également. Le grand showman Lotfi Abdelli, qui a eu beaucoup d’ennuis en termes de liberté d’expression (il a vu son spectacle censuré et a été harcelé par les forces de l’ordre), a annoncé qu’il vendait tous ses biens en Tunisie et partirait bientôt.

Mais je ne crois pas que les candidats à l’exil aient besoin d’encouragements. Le projet de migration est déjà là, dans tous les esprits. Une enquête récente sur les migrants internationaux a consacré un module aux familles qui ne comptent pas de migrants partis pour l’Europe. Lorsqu’on leur demande s’ils ont l’intention de migrer, 20 % répondent par l’affirmative, soit 700 000 Tunisiens. C’est beaucoup. Parmi eux, 14 % disent avoir déjà commencé à mettre en place leur projet de migration.

La crise économique et sociale qui touche la Tunisie a forcément un impact sur les tentatives de traversée…

On a, d’un côté, la fermeture des frontières et un manque de volonté d’ouvrir des routes régulières et des procédures de migration régulières (de travail, par exemple) de la part l’Union européenne, dont la France*. De l’autre, l’aggravation de la crise multiforme que traverse la Tunisie. Profitant de ces deux facteurs, il y a eu un épanouissement extraordinaire des réseaux de passeurs. Le manque d’équité fiscale et l’incapacité de l’État à mettre en place de vrais systèmes de santé, d’éducation ou de formation, qui permettraient à la société tunisienne d’avoir le minimum, jouent pour beaucoup dans la volonté de migrer. Les personnes qui n’ont pas les moyens d’aller se faire soigner dans le système privé en Tunisie meurent.

Comment voulez-vous que des gens entourés par un tel filet de vulnérabilité restent ? Les ouvriers, comme les chefs d’entreprise ou les femmes au foyer, disent tous qu’ils ne veulent pas que leurs enfants ou petits-enfants subissent le même sort qu’eux. L’absence de travail décent, pour les jeunes diplômés, est un fait. Notre économie, basée sur la contrebande, la rente et le libéralisme sauvage, ne permet pas de distribuer les richesses de manière équitable et de valoriser le travail humain. Entre 2011 et 2020, 100 000 compétences tunisiennes — médecins, ingénieurs, nouveaux diplômés — ont migré.

Il y a un consensus général pour dire qu’il n’y a plus d’avenir en Tunisie. Personne ne croit plus au système économique et politique, quels que soient les discours et promesses. Ceux qui ont les moyens anticipent l’avenir pour le bien de leurs enfants, et les pauvres migrent pour des raisons de survie. La migration est devenue le seul horizon de la société tunisienne.

La situation politique très instable et l’avenir fragile de la démocratie tunisienne sont-ils aussi un facteur à prendre en compte ?

Certainement, quand on voit que le président est là depuis trois ans, qu’il a tous les pouvoirs depuis un an mais que rien ne s’est amélioré. Au contraire, les choses empirent. Pour la première fois, on n’a plus de pain en Tunisie. Le litre d’huile a atteint 6 ou 7 dinars, contre 1 dinar auparavant. L’eau et l’électricité sont coupées, le système éducatif et le système de santé s’écroulent. Face à cela, le discours politique ne met l’accent que sur le populisme ou le complotisme. Les projets migratoires se construisent aussi sur le manque de clarté et le manque de confiance à l’égard du politique. Faut-il rappeler que seuls 30 % de la population se sont déplacés pour le référendum constitutionnel ?

Comment la Tunisie se comporte-t-elle face à la hausse du nombre de traversées ? Joue-t-elle selon vous un rôle de garde-frontière pour l’Union européenne en interceptant les embarcations en mer ?

C’est évident. À partir du moment où le pays contrôle à distance les frontières de l’UE, on est dans l’externalisation. Par exemple, une personne qui se rend à l’aéroport de Tunis pour aller en Europe avec un billet d’avion mais sans visa n’embarquera pas.

Ce n’est pourtant pas au pays de départ de gérer cela. La surveillance des côtes, les patrouilles mixtes, les contrôles à l’intérieur du pays d’origine sont autant de signes de l’externalisation.

À titre d’exemple, il est, depuis quelque temps, interdit de voyager de Sfax à l’île de Kerkennah, l’un des points de départ des migrants, si l’on n’a pas de famille établie là-bas. On interdit donc la circulation des nationaux à l’intérieur d’un pays tiers parce que ces personnes présentent un « risque migratoire », et parce que c’est ce que l’UE attend de notre État. Du côté de l’UE, les réactions ont toujours un caractère sécuritaire. On voit des dénonciations et des récupérations au niveau politique, comme en Italie, où les prochaines élections risquent d’être difficiles.

Ce rôle est-il pleinement assumé, comme cela peut être le cas pour le Maroc avec l’Espagne ou la Libye avec l’Italie et Malte ?

Les frontières au sud de la Méditerranée permettent ainsi de filtrer les personnes et de limiter le nombre de migrants qui tentent le passage. Il y a quelques jours, les gardes-côtes tunisiens ont même intercepté une embarcation transportant des Égyptiens partis de Libye, qui a certainement dû dériver vers les côtes tunisiennes. Ils sont depuis détenus dans des centres informels dans le sud de la Tunisie et seront sans doute expulsés avec l’accord des autorités égyptiennes.

 


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