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La secrétaire générale de La Cimade dénonce : les enfermements arbitraires, les violences et les mises à l’isolement répétées, un climat de stigmatisation grandissante, les expulsions illégales

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Source : InfoMigrants - Leslie Carretero - 02/09/2022

Pour les migrants, les violences subies dans le pays d'origine ou sur la route de l'exil peuvent être si importantes qu'elles laisseront des traces à vie, malgré des années de thérapie. Des souffrances dont certaines institutions françaises ne tiennent pas toujours compte, selon Judith Trinquart, médecin légiste, psychiatre, et secrétaire générale de l’association Mémoire traumatique et victimologie. Entretien.

Dans une tribune publiée le 17 août par le journal Le Monde, la médecin légiste et psychiatre Judith Trinquart ne mâche pas ses mots à l'égard de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides (Ofpra).

Depuis sept ans, Judith Trinquart établit des certificats pour appuyer les récits des personnes se présentant à l'Ofpra et la CNDA (Cour nationale du droit d'asile). Selon elle, les agents et les juges de ces deux organismes chargés d'enregistrer les demandes d'asile et d'entendre les récits des exilés peuvent parfois faire preuve de "froideur" et d'"inhumanité". La psychiatre regrette un manque d'empathie pour ces personnes fortement traumatisées par les violences subies dans leur pays ou/et sur la route. Entretien.

InfoMigrants : Vous établissez des certificats pour l’Ofpra et la CNDA, en quoi cela consiste-t-il ?

Judith Trinquart : Depuis 2015, je fais des consultations bénévoles à l’hôpital de Montreuil (Seine-Saint-Denis) tous les samedis matin. Je rencontre des demandeurs d’asile et j’évalue leur état psychologique et physique.

J’établis des certificats qui seront ensuite intégrés au dossier de la personne pour son rendez-vous à l’Ofpra et à la CNDA.

L’examen se compose en trois parties :

-       Un entretien pour recueillir l’historique de la personne.

-       Un examen clinique global. En fonction du récit et des violences physiques et/ou sexuelles subies dans le passé, je vais rechercher des lésions et des cicatrices qui peuvent corréler le témoignage.

-       Une évaluation psychologique pour évaluer l’état de stress post-traumatique.

IM : Quelles difficultés rencontrez-vous le plus souvent lors de vos séances ?

JT : Le plus difficile est la barrière de la langue. Lorsque je reçois des personnes non francophones, je suis accompagnée d’un interprète.

>> À (re)lire : Les demandeurs d'asile face aux erreurs d'interprétation

Mais malgré cette aide, c’est très complexe d’aller chercher le ressenti de la personne dans une autre langue. C’est d’autant plus dur quand il y a un grand traumatisme, qui empêche les patients d’exprimer leurs émotions.

IM : Dans votre tribune publiée dans le journal Le Monde, vous déplorez que les entretiens menés à l’Ofpra font parfois preuve de "froideur" et d’"inhumanité". Vous vous dites atterrée par certaines questions des agents, pourquoi ?

JT : Lorsqu’on travaille dans ce domaine, on a affaire à des personnes qui ont vécu des violences extrêmes : persécutions dans leur pays, parcours migratoire chaotique, femmes victimes de violences physiques et sexuelles ou de prostitution forcée… Ces personnes sont traumatisées par les multiples violences vécues dans leur pays et sur la route.

Le passage devant l’Ofpra est un moment très difficile car il leur faut raconter très précisément ce qu’ils ont vécu, dans les moindres détails. Les exilés ont souvent face à eux des agents faisant preuve d’une absence totale d’empathie, qui leur pose des questions techniques, à côté de la plaque et déconnectées de la réalité.

>> À (re)lire : Dans les coulisses de la CNDA : "Le juge s'intéresse aux faits, pas à la manière dont ils sont vécus"

Je raconte dans la tribune l’histoire d’un Guinéen, un opposant politique emprisonné et torturé dans son pays. Sa femme a été violée à mort sous ses yeux, son père tué par le régime. Sur la route, il a vu tout un tas de gens mourir autour de lui. Mais tout cela l’Ofpra n’en a pas tenu compte. Les agents lui ont demandé quel était son parti politique, combien il y avait d’adhérents, quel type d’activité lui avait valu la prison… Aucune question sur sa famille massacrée ou sur les tortures subies.

J’ai du mal à comprendre l’écart entre le récit de ces personnes et les questions posées par l’Office. C’est très violent pour les demandeurs d’asile.

IM : Mais c’est aussi le rôle de l’Ofpra d’évaluer le récit et de récolter suffisamment de preuves pour corroborer les faits…

JT : Je comprends qu’ils doivent être vigilants mais cela ne veut pas dire être dénué d’empathie. Je rappelle que l’Ofpra est un Office de protection, parfois je cherche la protection en question et je ne la trouve pas.

Lorsque je rédige des certificats, je suis moi-même vigilante. Je ne prends pas tout ce qu’on me dit pour argent comptant, je ne suis pas naïve et je sais déceler lorsqu’il y a des décalages dans le récit. Cela fait aussi partie de mon travail, je sais faire la part des choses.

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Selon moi, on demande un niveau de preuves que ces personnes ne peuvent quasiment jamais fournir. Une fois encore, je comprends que l’Ofpra essaye de faire corroborer le récit avec des éléments mais lorsque c’est impossible on peut aussi le faire avec le constat des lésions, l’état psychologique, les conséquences psychiatriques. La preuve absolue n’existe pas, et certaines choses ne peuvent pas se prouver.

Par exemple, j’ai eu l’histoire d’un berger mauritanien qui a dû fuir son pays après un conflit avec des personnes cherchant à spolier ses terres, transmises de génération en génération. Son père a été tué par les agresseurs. L’Ofpra a demandé à cet homme d’apporter les actes de propriété de ses terres. Mais, en Mauritanie, les choses se font à l’oral. Comment voulez-vous qu’il produise un tel document ?

IM : Dans quel état psychologique sont les personnes déboutées par l’Ofpra que vous recevez dans votre cabinet ?

JT : Elles sont désespérées, hyper angoissées et ont peur d’être renvoyées au pays. Recevoir une réponse négative est quelque chose de très violent pour elles : elles ont l’impression de ne pas avoir été entendues, de ne pas avoir été crues et d’avoir été rejetées. Autant de sentiments qui aggravent le traumatisme déjà existant. On observe un syndrome dépressif qui s’ajoute à l’état de stress post-traumatique.

IM : Vous appelez les demandeurs d'asile des héros, pourquoi ?

JT : On ne réalise pas ce par quoi ils sont passés. La plupart sont des personnes qui ont surmonté des traumatismes effroyables mais ils restent debout malgré tout. Ils ont vécu des choses horribles, qu’on ne peut même pas imaginer.

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Ce sont des survivants, des héros.

Certains resteront traumatisés à vie, même avec une thérapie. Certains arriveront à vivre avec, sans jamais oublier. Certains disent qu’ils sont morts à l’intérieur et c’est effectivement le cas. On n’arrivera pas à les ressusciter. On atténuera leurs souffrances, leurs crises d’angoisse, ils dormiront un peu mieux mais malheureusement ils sont condamnés à vie à la souffrance.

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