Source : le monde - Julia Pascual - 16/09/2022
Ils réclament une généralisation du versement de la « prime Ségur » et une amélioration de leurs conditions de travail.
C’est un mouvement inédit. Mardi 13 septembre, des salariés de l’ONG Forum-Réfugiés, l’un des plus gros prestataires de l’Etat en matière d’accueil et d’hébergement des étrangers en France, ont débrayé à plusieurs endroits du territoire. D’après la direction de l’ONG, ils étaient quelques dizaines alors que, selon l’un des organisateurs de la grève, ils étaient près de 200, sur un total de 500 salariés [vendredi 16 septembre, la direction faisait état d’un total de 81 salariés grévistes]. Une partie s’était rassemblée à Villeurbanne (Rhône) devant le siège de l’ONG, dont les dispositifs essaiment dans tout le quart sud-est de la France.
Ce mouvement, organisé en dehors des organisations syndicales, a pour point de départ le non-versement de la « prime Ségur » à une partie des salariés de Forum-Réfugiés qui ne sont pas considérés comme relevant du travail social. La revalorisation salariale de 183 euros net, décidée par le gouvernement lors du Segur de la santé puis progressivement étendue aux travailleurs sociaux, notamment du secteur associatif, vient récompenser ceux qui ont été en première ligne pendant la crise sanitaire.
Or, les personnels de Forum-Réfugiés qui sont en grève dénoncent « une attribution inégale » de la prime dont sont exclus certains dispositifs et certaines fonctions. Un courrier signé par quarante cadres de l’ONG a également été adressé à la direction pour dénoncer un « sentiment de mépris, d’injustice et de manque de considération que ressentent les salariés » exclus de la prime.
Vincent (tous les prénoms ont été modifiés à la demande des personnes interrogées) est agent social hôtelier dans un centre d’hébergement à Clermont-Ferrand. Joint par téléphone, à l’instar de plusieurs autres grévistes, il explique au Monde que, de par sa fonction, il ne bénéficie pas de revalorisation salariale. « Alors qu’on a tous une forte dimension sociale dans notre travail », défend-il. La direction a finalement étendu la prime à tous les salariés des centres d’hébergement d’Auvergne-Rhône-Alpes.
« Ras-le-bol général »
« Une secrétaire peut par exemple être amenée à faire un travail d’accompagnement, comme le renouvellement de la complémentaire santé solidaire d’un étranger ou le dépôt de sa demande d’asile », illustre à son tour Idris, un gréviste pour qui le versement inégal de la prime Ségur a agi comme une « goutte d’eau qui fait déborder le vase » et révèle un « ras-le-bol général ».
Une lettre ouverte transmise par les grévistes à la presse évoque tour à tour une « dégradation des conditions de travail », un « turnover très important au sein des effectifs », une augmentation de la charge de travail, la complexification du droit applicable aux étrangers et « l’absence de soutien de la direction face à des pratiques préfectorales illégales », la « précarisation » des publics accompagnés ou encore une « montée de la violence ».
« L’association compte 500 et quelques salariés et il y a eu 270 recrutements en 2021, souligne Vincent. Il faut inverser la vapeur ». « Il y a aujourd’hui une soixantaine d’offres d’emploi non pourvues, prolonge Bruno, gréviste lui aussi et agent social hôtelier dans un centre d’hébergement de l’Allier. Nos salaires et nos conditions de travail déplorables ne sont pas attractifs. » Lui touche 1 450 euros nets par moi après quatorze années d’ancienneté. « J’ai une collègue secrétaire en poste depuis douze ans et qui touche 1 350 euros alors qu’elle fait un travail énorme », ajoute-t-il.
L’arrêt de travail du 13 septembre est « historique », veulent croire les grévistes. « C’est la première fois qu’une mobilisation concerne les salariés et pas le sort réservé aux réfugiés », témoigne Mikis Charalambos, délégué CGT de Forum-Réfugiés.
Des financements de l’Etat qui plafonnent
Sollicité, le directeur général de l’ONG Forum-Réfugiés, Jean-François Ploquin, reconnaît une situation compliquée. « Il y a un double critère d’éligibilité [à la prime Ségur] selon le service et la fonction et ça laisse des gens de côté, dit-il. Nous avons plaidé auprès du gouvernement pour avoir une application la plus large possible. » Il estime qu’in fine, « la très grande majorité » des effectifs bénéficiera d’une hausse de salaire mais il évoque une mise en œuvre « lente et complexe » puisque seulement 137 salariés ont bénéficié des 187 euros sur leur fiche de paie en août.
Du reste, le directeur de l’association rattache la situation de sa structure à un contexte plus large d’un « secteur social qui souffre d’une persistance de conditions d’exercice difficiles » qui découlent notamment d’un « public difficile », d’un « bâti qui vieillit » et de financements de l’Etat qui plafonnent à 19,50 euros par jour pour un hébergement en centre d’accueil de demandeurs d’asile.