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La secrétaire générale de La Cimade dénonce : les enfermements arbitraires, les violences et les mises à l’isolement répétées, un climat de stigmatisation grandissante, les expulsions illégales

Solidarite avec Mimmo Lucano

Source : médiapart - Nejma Brahim - 06/10/2022

Depuis le début de la guerre d’invasion russe en Ukraine, des centaines de Russes sont venus chercher refuge en France. Confrontés à un manque criant de politique d’accueil et à des obstacles en tout genre, ils ont surtout trouvé de l’aide auprès de réseaux d’entraide.

Elle a vécu le harcèlement des hommes de main de Poutine, les arrestations successives et la violence en prison. Taisiya, 40 ans, a travaillé plus de dix ans pour l’ONG russe Memorial avec la volonté de défendre les droits humains. « J’ai même participé à la production de clips des Pussy Riot », raconte cette professeure de montage, passionnée par l’audiovisuel et le cinéma, depuis un hébergement situé à Montreuil, en Seine-Saint-Denis.

C’est là, au rez-de-chaussée d’une maison occupée par un couple d’hébergeurs solidaires, que Taisiya, son conjoint et leur fille de 5 ans ont trouvé refuge après avoir quitté la Russie en mars dernier. « On avait peur d’être arrêtés et torturés, comme ça a déjà pu être le cas par le passé. Et mon compagnon pouvait être envoyé à la guerre, ce que nous refusions car nous sommes contre l’invasion russe en Ukraine. »

Du jour au lendemain, ils parviennent à se faire acheter un billet d’avion et sont pris en charge par le neveu de Taisiya, qui avait déjà fui en Arménie avant eux. Puis ils obtiennent un visa humanitaire pour la France grâce à l’aide d’une ONG. « Je disais à ma fille que c’était comme le film La vie est belle, que  c’était l’aventure [dans le film de Roberto Benigni, sorti en 1997, un père et son fils sont envoyés dans un camp de concentration fasciste. Le père persuade son fils que le but des occupations du camp est d’accumuler des points pour remporter son cadeau d’anniversaire : un vrai char d’assaut – ndlr]. Mais quand on est arrivés en France, elle était traumatisée. » La première nuit, sa fille l’enlace si fort que Taisiya ne parvient pas à se libérer.

Juliette et Michael, le couple d’hébergeurs qui les accueille, les accompagnent dans leurs démarches au quotidien, aident à l’inscription de leur fille à l’école maternelle et à la mise en relation avec le réseau Pause qui soutient les scientifiques et artistes en exil. « Juliette et Michael nous ont aussi donné de l’argent pour les trois premiers mois. Ils ont été comme une famille pour nous. »

Una, Taisiya et Vasily dans leur chambre d’hôtel à Paris, en octobre 2022. © Photo Sébastien Calvet / Mediapart

Sur les conseils de ces réseaux d’entraide, Taisiya et son conjoint, Vasily, se rapprochent des autorités pour demander la prolongation de leur visa humanitaire. Sans réponse durant trois mois, ils se tournent vers la préfecture pour solliciter un titre de séjour. « Notre visa avait déjà expiré, nous étions donc sans papiers en France. Ça a été long et il a fallu qu’un membre de Pause insiste beaucoup auprès de la préfecture. »

Le couple vient tout juste d’obtenir un titre de séjour. Mais rien pour leur fille Una. « On est coincés, on ne comprend pas cette décision. On a une opportunité de travail pour un festival organisé dans un autre pays européen mais on ne peut pas partir sans notre fille. »

Une situation de « blocage » en préfecture

Ces difficultés administratives, Natalia Morozova, ancienne juriste de l’ONG Memorial, a pu les constater pour de nombreux exilés russes venus s’installer en France. « Pour ceux qui ont tenté de changer leur visa humanitaire pour un titre de séjour à la préfecture, cela a pris beaucoup de temps. En attendant, ils ne peuvent rien faire, ni travailler ni se loger. »

Elle n’a en tête qu’un seul cas, celui d’une famille arrivée en même temps qu’elle, en mars dernier, avec un visa humanitaire et qui a réussi à obtenir un titre auprès de la préfecture de Paris. « Mais c’est parce que quelqu’un appelait tout le temps la préfecture pour défendre leur cas. »

S’il n’y a de son point de vue « rien à redire » sur le ministère des affaires étrangères – selon plusieurs sources, il aurait largement contribué à la délivrance de visas humanitaires pour les Russes contraints de fuir leur pays –, le ministère de l’intérieur fait quant à lui obstruction pour les régulariser une fois sur notre sol. Contactés, ni le ministère de l’intérieur, ni celui des affaires étrangères n’ont répondu à nos questions à l’heure où nous publions cet article.

D’autres, comme Natalia Morozova, se sont orientés vers une demande d’asile, constatant que la situation s’aggravait dans leur pays d’origine. « L’ultime décision » pour beaucoup, explique celle qui a souhaité mettre à l’abri son fils en s’exilant en France car il était sur le point d’avoir 18 ans après le début du conflit en Ukraine.

« Il y avait déjà des pressions sur les défenseurs des droits humains en Russie. Je me suis interrogée sans forcément penser à l’asile. J’ai appris que des ONG cherchaient à obtenir des titres pour les défenseurs des droits humains, mais je savais que ça pourrait être long et difficile. »

Selon l’Office français de protection des réfugiés et apatrides (Ofpra), les demandes d'asile formulées par des ressortissants russes ont connu une tendance à la hausse depuis le déclenchement de la guerre en Ukraine. « Sur les huit premiers mois de l’année 2022, 1 420 demandes d’asile de ressortissants russes ont ainsi été enregistrées », indique l’office, contre 1 495 pour l’année 2021.

L’impact de la guerre sur ces demandes se manifeste notamment « par l’invocation de motifs liés à une opposition à ce conflit ou au refus de prendre part aux combats ». « L’office est très attentif au risque de persécutions attaché à ces motifs. [Mais] l’examen individuel est toutefois la règle, comme pour toute demande d’asile. »

Si les exilés restent sans papiers jusqu’en juin, comment font-ils pour trouver un travail et un logement ?
Natalia Morozova, exilée russe et ancienne juriste de l’ONG Memorial

Natalia Morozova décide de demander l’asile trois semaines après sa venue en France et obtient, pour elle et son fils, le statut de réfugié fin juin. Mais à ce jour, s’étonne-t-elle, Natalia Morozova n’a toujours pas de titre, alors que ses documents d’identité (les originaux) sont toujours en possession de l’Ofpra. « Je ne peux pas quitter la France, chercher un logement ou louer une voiture, par exemple. Heureusement que des amis m’hébergent et ne me demandent rien en retour », commente-t-elle.

Malgré ces déconvenues, qu’elle relie avec amusement à la « bureaucratie française », Natalia Morozova nuance : « Les autorités européennes n’ont pas le devoir d’aider les exilés russes. On reste les citoyens d’un pays agresseur et on est déjà très reconnaissants qu’on nous accepte ici. » Mais surtout, insiste-t-elle, les Ukrainiens « doivent passer avant tout ».

Beaucoup vont en région et sont hébergés, faute de solutions d’hébergement officielles, par des citoyens ayant une chambre supplémentaire ou mettant à disposition leur maison secondaire. « Personne n’est à la rue. Mais ça ne va pas durer : il faudra bien libérer les maisons de campagne, on ne peut pas demander aux gens de se priver de vacances éternellement. Si les exilés restent sans papiers jusqu’en juin, comment font-ils pour trouver un travail et un logement ? »

Les valises de la famille de Taisiya dans leur chambre d’hôtel à Paris, en octobre 2022. © Photo Sébastien Calvet / Mediapart

Si le nombre d’exilés russes à s’être établis en France reste difficile à déterminer, l’ancienne de l’ONG Memorial dit avoir vu passer entre 100 et 150 cas depuis le printemps dernier. « Un peu moins » au cours des dernières semaines, car comme le documentait Mediapart ici et , beaucoup de Russes transitent par les pays limitrophes (ou pour lesquels ils n’ont pas besoin de visa). Malgré tout, « une hausse des demandes de visa pour la France a été constatée depuis ces dernières semaines et de plus en plus de Russes risquent d’arriver », complète une source.

Un accès à l’emploi, au logement ou à la santé entravé

Pour Antoine, ancien professeur de littérature à l’université française de Moscou, resté en contact avec plusieurs générations d’anciens étudiants, « rien n’a été prévu » pour l’accueil des Russes en France après le début du conflit en Ukraine.

Voyant une « nouvelle vague de migration se préparer » en Russie, il a créé l’association Solidarité Russes en exil, aujourd’hui peu active faute de financements, qui fournit surtout des informations pratiques aux exilés une fois arrivés en France, en plus du soutien apporté par l’association Russie Libertés qui organise ce vendredi 7 octobre un Forum des résistances en Europe à l’hôtel de ville de Paris.

Les agents n’avaient sans doute pas reçu d’instructions concernant les Russes.
Dimitri*, exilé russe.

Le trentenaire se souvient du cas de Dimitri*, chercheur débarqué avec ses proches à l’aéroport Roissy-Charles-de-Gaulle en avril et envoyés au centre d’accueil pour les Ukrainiens situé porte de Versailles à Paris. « Évidemment, là-bas, ils n’ont pas pu les garder. Imaginez une famille avec deux enfants et un chien à la rue, le soir à Paris. »

La famille est finalement prise en charge par un réseau d’entraide, qui leur paie plusieurs nuitées d’hôtel et leur trouve des hébergeurs solidaires. « À notre arrivée, la police n’a pas su quoi faire de nous, relate-t-il dans un rire gêné. Les agents n’avaient sans doute pas reçu d’instructions concernant les Russes. »

Pour éviter de « devenir sans-papiers », Dimitri s’oriente vers une demande d’asile pour lui et ses proches, avec l’aide du centre d’information pour demandeurs d’asile russophones Ruci asile. Toujours dans l’attente d’une décision de l’Ofpra, ils ont depuis été transférés vers un lieu d’hébergement situé dans le Gard.

Pour les enseignants et étudiants, relève Antoine, la situation est plus simple « grâce à l’aide des réseaux de chercheurs et des universités ». Comme pour Dimitri, qui s’est inscrit au programme Pause. Une autre chercheuse a aussi reçu son soutien et a pu venir en France avec un contrat d’un an.

« Seuls les universitaires arrivent à s’en sortir, mais ils ne sont pas nombreux. » Pour les autres, la recherche d‘un logement ou d’un emploi reste très compliquée. Taisiya dit être allée chez Pôle emploi à trois reprises, sans parvenir à faire avancer son dossier. Une partie des exilés travailleraient au noir ; certains étudiants parviendraient quant à eux à trouver un job dans la restauration.

« J’ai aussi cherché un logement durant trois mois, poursuit Taisiya. Malgré de bons garants et toutes les annonces postées partout, personne n’a voulu nous louer un bien. » En attendant de trouver, et après six mois passés chez le couple d’hébergeurs solidaires, la famille vient d'être logée dans un hôtel à Paris par le programme Pause.

Taisiya, qui vient de se casser le pied, n’a pas réussi à ouvrir un compte à la Sécurité sociale malgré des mois d’attente. « Je me suis rendue à l’hôpital mais je n’ai pas reçu de soins. On n’a pas pu me donner de béquilles ou de botte pour le pied. »

Elle regrette également de ne pas avoir ses doses d’insuline remboursées pour soigner son diabète. « J’ai fait ma demande auprès du site Ameli il y a des mois, mais quand je les ai relancés, ils ont admis avoir perdu mon dossier », ajoute Natalia Morozova, qui voit là l’occasion de rire une nouvelle fois des joies de l’administration française.

En parallèle, l’ouverture d’un compte en banque peut s’avérer être laborieuse pour les exilés russes, trop souvent mis dans le même sac que les oligarques faisant l’objet de sanctions en France et en Europe. Julia*, arrivée en France le 26 septembre avec son mari et leur bébé, doit justement se rendre à la banque prochainement pour tenter d’ouvrir un compte. Avec un visa étudiant et un statut de boursière, elle espère ne pas connaître les mêmes difficultés que d’autres exilés russes : « Je sais que ça a pu être très compliqué pour certains. »

Pour se loger, la jeune femme a dû passer par Airbnb, sans pouvoir utiliser sa carte bleue, qui ne fonctionne pas en France. « On a dû demander à des amis non russes et utiliser la carte de quelqu’un d’autre. Quant à nos recherches, nous n’étions pas le bon profil pour les propriétaires. » Son mari, qui télétravaille, ignore encore comment il percevra son salaire en étant en France.

« Il y a un gros problème avec les banques françaises, confirme Antoine Nicolle, qui a dû mettre en sommeil son association, faute de pouvoir lui ouvrir un compte bancaire. Certains exilés doivent magouiller à base de cryptomonnaie ou de transferts d’argent via la Chine », déplore-t-il.

Partis avec une simple valise, Julia et son mari espèrent pouvoir retourner un jour en Russie un jour. « On a encore nos proches, un appartement, une vie là-bas. Mais on a fui la mobilisation et tant qu’il y a le risque pour mon mari d’être envoyé à la guerre, c’est trop dangereux. On ne veut pas être impliqués dans ce conflit auquel on s’oppose depuis le début. » La jeune femme est aujourd’hui inscrite à l’université Paris 8, bravant la barrière de la langue qu’elle appréhendait tant.


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