Source : le monde - Philippe Jacqué - 05/11/2022
Le gouvernement italien de Giorgia Meloni rechigne à accueillir les rescapés secourus par les ONG, dont ceux sur l’« Ocean Viking ». Il a toutefois assigné un port au bateau de SOS Humanity, vendredi soir. Les gouvernements français et allemand se sont dits prêts à prendre en charge une partie des migrants en attente sur les navires humanitaires.
Près d’un millier de migrants secourus en Méditerranée centrale par des navires humanitaires attendaient, vendredi 4 novembre, un lieu sûr de débarquement en Europe. Quatre ans et demi après que Matteo Salvini, le ministre de l’intérieur italien de l’époque, a annoncé vouloir fermer ses ports aux ONG de sauvetage, le gouvernement de Giorgia Meloni rechigne à son tour à les accueillir.
Vendredi soir, l’Italie a toutefois assigné le port de Catane, en Sicile, au navire Humanity 1 de l’ONG allemande SOS Humanity pour vérifier l’état de santé des 179 migrants à bord. Trois autres bateaux humanitaires, dont l’Ocean Viking, de l’ONG SOS Méditerranée et de la Croix-Rouge, et le Geo Barents, de Médecins sans frontières (MSF), attendaient toujours de pouvoir débarquer les personnes secourues en mer après qu’elles ont fui la Libye ou la Tunisie.
C’est au moment où le député (La France insoumise, Val-d’Oise) Carlos Martens Bilongo évoquait la situation de l’Ocean Viking que le député (Rassemblement national, Gironde) Grégoire de Fournas, sanctionné vendredi par l’Assemblée nationale, a prononcé sa phrase : « Qu’il retourne en Afrique », jeudi 3 novembre. « L’urgence humanitaire est de plus en plus aiguë », estime pour sa part Sophie Beau, cofondatrice de SOS Méditerranée. Alors que la météo se dégrade, 234 rescapés se trouvent à bord de l’Ocean Viking – dont dix-sept femmes et une cinquantaine de mineurs, certains depuis le 22 octobre. Elle dénonce un « non-respect du droit maritime ».
Dossier « ultra-toxique »
Le fait que les navires humanitaires attendent plusieurs jours avant de pouvoir débarquer n’est pas nouveau. La situation est récurrente depuis 2018. « Ce sont les déclarations du gouvernement italien qui ont changé », souligne Claudia Lodesani, de MSF, dont le navire Geo Barents attend de pouvoir débarquer 572 personnes, dont une soixantaine de mineurs et trois femmes enceintes. Le ministre italien de l’intérieur, Matteo Piantedosi, a annoncé envisager une interdiction d’entrée dans les eaux territoriales des navires humanitaires.
« On est dans une impasse politique », regrette Sophie Beau. Les opérations de sauvetage des ONG ne représentent pourtant que 15 % des quelque 85 000 personnes arrivées cette année en Italie par la mer, dont la moitié est originaire du Bangladesh, de Tunisie et d’Egypte. « La majorité des gens sont secourus par les autorités italiennes ou arrivent directement à Lampedusa », souligne Flavio di Giacomo, porte-parole de l’Organisation internationale pour les migrations. Du reste, les arrivées restent près de deux fois inférieures à ce qu’elles ont été en 2016. « On a vu avec la guerre en Ukraine 170 000 personnes arriver en Italie en quatre mois et personne n’a parlé de situation de crise », ajoute-t-il.
Au moins 1 287 personnes sont mortes noyées cette année en Méditerranée centrale et 18 000 ont été interceptées par les garde-côtes de Libye, pays où elles sont soumises à de la détention arbitraire et à des mauvais traitements.
Vendredi, les gouvernements français et allemand se sont dits prêts à prendre en charge une partie des rescapés. Au niveau européen, le sujet de la relocalisation empoisonne le débat depuis 2015 et la crise dite des réfugiés. A l’époque, la Commission Juncker avait proposé que l’ensemble des pays membres accueillent de manière solidaire des réfugiés. Scandalisé par la proposition, le groupe de Visegrad, qui réunit les Etats d’Europe centrale, a bloqué le processus.
« Depuis, ce dossier, très complexe, est devenu ultra-toxique », rappelle un haut fonctionnaire européen. En juin, la France avait convaincu vingt Etats membres (ils sont vingt-trois désormais) de s’engager avec elle à « mettre en œuvre un mécanisme de solidarité volontaire, simple et prévisible », afin de venir en aide aux Etats de la première ligne (Italie, Chypre, Grèce, Espagne, Malte). Depuis, treize pays se sont engagés à accueillir 8 000 personnes, dont 3 000 pour l’Allemagne et 3 000 pour la France. Dans les faits, selon la Commission européenne, l’Allemagne en a accueilli 74 en octobre, et la France 38 fin août.
Mi-octobre, la présidence tchèque de l’Union européenne (UE) a relancé les discussions en valorisant le concept de « solidarité flexible », permettant aux pays qui ne souhaitent pas accueillir de demandeurs d’asile d’être mis à contribution financière. La Suède, dont le gouvernement est soutenu par l’extrême droite et qui prend la présidence de l’UE en janvier, ne devrait rien faire pour promouvoir un tel instrument.