Inscription au Bulletin  bulletin icon    Notre page FacebookNotre page Twitter  Bonjour Visiteur

Fermez les Centres de Rétention !

La secrétaire générale de La Cimade dénonce : les enfermements arbitraires, les violences et les mises à l’isolement répétées, un climat de stigmatisation grandissante, les expulsions illégales

Solidarite avec Mimmo Lucano

Source : slate - Nina Bailly - 22/12/2022

Dans certains cas, apporter votre aide à une personne migrante fait de vous un hors-la-loi.

«Le tribunal correctionnel de Gap condamne deux militants de l'association Tous Migrants à deux mois de prison avec sursis», peut-on lire dans le compte-rendu d'une audience du 22 avril 2021 révélé par Médiapart. «Ils avaient été interpellés le 19 novembre 2020 alors qu'ils étaient en train de porter secours, sur le territoire français, à une famille afghane repérée lors d'une maraude.»

Voici l'un des nombreux cas d'«incrimination de la solidarité» avec les personnes migrantes recensés par le Groupe d'information et de soutien aux immigrés (Gisti). Depuis 2015, cette association mène, entre autres, un travail d'archivage des différentes atteintes à la solidarité en France.

Ce qu'on nomme «délit de solidarité» –une expression qui n'a pas d'existence juridique propre– recouvre plusieurs formes d'entraves à la solidarité avec les personnes migrantes. Il désigne le plus souvent les infractions d'aide à l'entrée, à la circulation et au séjour des étrangers en situation irrégulière, inscrites dans le chapitre 3 du titre II du Code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile (Ceseda).

On en trouve les premières traces dans le décret-loi du 2 mai 1938 sur la police des étrangers, sanctionnant «toutes les officines louches, tous les individus qui, gravitant autour des étrangers indésirables, font un trafic honteux de fausses pièces, de faux passeports». Désormais, ce sont les articles L823 et suivants du Ceseda, reprenant une loi du 2 mai 1945, qui prévoient de punir «toute personne qui aura, par aide directe ou indirecte, facilité ou tenté de faciliter l'entrée, la circulation ou le séjour irréguliers d'un étranger en France».

Seulement, selon le docteur en droit et avocat spécialiste du droit des étrangers Zia Oloumi, la rédaction de ce texte ne permettait pas, à l'origine, de distinguer une aide bénévole à visée humanitaire des réseaux de passeurs organisés et lucratifs. «C'est pour cette raison que dans les années 1990, explique-t-il, la législation a introduit progressivement des immunités pour exempter certaines personnes de poursuites: immunité familiale (en 1996, 1998 et 2012), immunité humanitaire en 2003. Cette dernière indiquant qu'il n'y aurait pas de poursuite pour l'aide prodiguée à des migrants dont la vie ou l'intégrité physique est menacée.»

Ce champ de l'immunité humanitaire a été redéfini par la loi du 31 décembre 2012, pour protéger «toute personne physique ou morale, lorsque l'acte reproché n'a donné lieu à aucune contrepartie directe ou indirecte».

De l'intimidation à la condamnation

Pourtant, de nombreux militants ayant apporté leur aide à des personnes migrantes de manière désintéressée continuent d'être poursuivis en justice en France. Émilie Pesselier est coordinatrice des missions aux frontières intérieures pour l'Association nationale d'aide aux frontières pour les étrangers (Anafé). Comme beaucoup d'autres, cette militante insiste pour qu'on parle «des» délits de solidarité au pluriel: «Ce n'est pas seulement la question de l'aide à l'entrée, c'est aussi plein de pressions et d'intimidations qui peuvent être exercées à l'encontre des militants, et des délits qui peuvent prendre plusieurs formes.»

«On se fait contrôler plusieurs fois par soirée, parfois par les mêmes gendarmes.»
Isabelle Lorre, coordinatrice pour Médecins du Monde

Près de Briançon et de la frontière italienne, sur le col de Montgenèvre et le col de l'Échelle, les passages de personnes migrantes se sont intensifiés à l'hiver 2015-2016 avec le rétablissement des frontières intérieures. «Il y a tout de suite eu une mobilisation citoyenne dans la région, avec des maraudes pour venir en aide à des personnes que les risques liés à la saison hivernale mettaient en danger», explique Isabelle Lorre, coordinatrice du programme Migration Frontière Transalpine de la région PACA pour l'ONG Médecins du Monde.

Les médecins de l'association sont présents dans la région depuis 2017, dans une dynamique d'appui d'acteurs locaux tels que Tous Migrants ou encore Refuges Solidaires. «Il y a des contrôles d'identité multiples», poursuit Isabelle Lorre. «On se fait contrôler plusieurs fois par soirée, parfois par les mêmes gendarmes. Il arrive aussi qu'on se fasse suivre en filature, donc on ne peut pas agir, parce que si on trouve une personne en difficulté, la police va l'arrêter, l'interpeller et la refouler.»

Évolutions législatives: l'affaire Cédric Herrou

Cédric Herrou, un agriculteur de 42 ans habitant la vallée de la Roya, à l'est des Alpes-Maritimes, a été très médiatisé à partir de 2016. Avec d'autres habitants de la vallée, il a commencé à apporter son aide à des personnes migrantes à la frontière italienne en 2015, notamment en aidant à l'entrée sur le territoire et au séjour.

En 2017, l'agriculteur est condamné en première instance au tribunal de Nice à 3.000 euros d'amende et quatre mois de prison avec sursis pour «avoir pris en charge, en qualité de “porte-parole” de plusieurs associations humanitaires locales, des “migrants” en situation irrégulière», explique Zia Oloumi, qui est l'un de ses avocats.

Mais le parquet fait appel, ce qui mène à un second procès, dans la ville d'Aix-en-Provence cette fois-ci. Cédric Herrou est alors condamné à huit mois de prison avec sursis, mais fait appel à son tour: «Ce qui était compliqué c'est que pour moi, “avec sursis” ne signifiait pas vraiment sursis parce que je continuais d'héberger des personnes. Donc ça voulait simplement dire prison», commente l'agriculteur.

C'est à ce stade qu'intervient la Question prioritaire de constitutionnalité (QPC), posée au Conseil constitutionnel par les avocats de Cédric Herrou mais aussi des associations comme la Cimade ou la Ligue des droits de l'Homme. Cédric Herrou explique: «La devise est dans la constitution. On s'est donc demandé pourquoi à valeur constitutionnelle, il n'y avait que la liberté et l'égalité, mais pas la fraternité.»

«Pour eux, c'est inconcevable d'aider un Noir.»
Cédric Herrou, agriculteur

C'est grâce à la réponse du Conseil constitutionnel que l'article L823-9, 3 a été modifié pour indiquer: «L'aide à la circulation ou au séjour irréguliers d'un étranger ne peut donner lieu à des poursuites pénales [...] lorsqu'elle est le fait [...] de toute personne physique ou morale lorsque l'acte reproché n'a donné lieu à aucune contrepartie directe ou indirecte et a consisté à fournir des conseils ou accompagnements juridiques, linguistiques ou sociaux, ou toute autre aide apportée dans un but exclusivement humanitaire.»

Le procès s'est alors pourvu en cassation, au tribunal de Lyon. «En effet, les exemptions humanitaires étaient strictement limitées aux cas prévus par le texte et ne portaient que sur l'aide au séjour irrégulier, mais pas sur l'aide à l'entrée ou à la circulation», explique Zia Oloumi.

Le parquet de Lyon a fait appel, arguant que, si la loi indique qu'on peut aider une personne en situation irrégulière «sans contrepartie directe ou indirecte», ce n'était pas le cas de Cédric Herrou. La contrepartie, selon la cour, était «idéologique», ce qui ne constituait pas un simple acte de solidarité. «C'est vraiment l'incarnation du racisme au plus haut point», s'insurge l'agriculteur face à cet argumentaire. «Pour eux, c'est inconcevable d'aider un Noir. Pour l'extrême droite, la fraternité peut se faire entre les citoyens et pas d'un Français à un étranger. Ces reproches ont d'ailleurs été faits par l'analyse du Conseil constitutionnel.»​​​​​

De nouveau, Cédric Herrou a été relaxé, grâce à l'absence de constitution de l'infraction elle-même, la cour précisant: «Les poursuites ont été exercées sur la base des seules déclarations de Cédric Herrou et d'articles de presse.» C'est l'un des cas de délit de solidarité, à l'instar de celui des «Sept de Briançon», qui a été le plus médiatisé en France.

La solidarité ne s'arrête pas pour autant

Malgré ces événements, de nombreuses personnes continuent de venir en aide aux personnes migrantes. Mais «ce système, ces pratiques de harcèlement et d'intimidations pour empêcher indirectement les personnes de s'investir dans des actions de solidarité, épuisent les militants et les personnes», déplore Isabelle Lorre. Elle ajoute que le Collectif maraude par exemple, composé de Médecins du Monde, Tous Migrants et d'autres maraudeurs, a perdu de nombreux bénévoles en raison des «pratiques de harcèlement et d'intimidation»​​​​​​.

«Ça questionne la manière dont le pouvoir se représente la démocratie et traite son contre-pouvoir.»
Cédric Herrou, agriculteur

De fait, selon Isabelle Lorre, entre le 16 novembre 2020 et le milieu du printemps 2022, seize maraudeurs ont été convoqués en audition libre pour délit d'aide à l'entrée, deux maraudeurs ont été interpellés alors qu'ils secouraient en France une famille avec une femme enceinte, deux ont été placés en garde à vue, et une cinquantaine d'amendes pour non-respect du couvre-feu ont été distribuées. Ces dernières ont toutes été annulées, car considérées comme injustifiées.

Quant à Cédric Herrou, les poursuites sur sa personne n'ont pas eu raison de son engagement. Bien au contraire: «Ça m'a renforcé dans mes convictions. Au bout d'un moment, quand tu mènes des actions qui interrogent la société, tu t'interroges aussi. Moi, ça m'a vachement convaincu dans ce que je faisais.»

Il déplore cependant, comme toutes les associations interrogées, la situation: «De manière générale, il y a un état dépressif du militantisme français. Ici les gens sont épuisés et maltraités. On a un pouvoir qui ne supporte pas la contradiction, et c'est grave parce que ça questionne la manière dont il se représente la démocratie et traite son contre-pouvoir.»

 


Calendrier d'Événements

Lun Mar Mer Jeu Ven Sam Dim
1
2
3
4
5
6
7
8
9
10
11
12
13
14
15
16
17
18
19
20
21
22
23
24
25
26
27
28
29
30
31
Sauvegarder
Choix utilisateur pour les Cookies
Nous utilisons des cookies afin de vous proposer les meilleurs services possibles. Si vous déclinez l'utilisation de ces cookies, le site web pourrait ne pas fonctionner correctement.
Tout accepter
Tout décliner
En savoir plus
Essentiel
Ces cookies sont nécessaires au bon fonctionnement du site, vous ne pouvez pas les désactiver.
Session de l'utilisateur
Identifie la session ouverte par l'utilisateur
Accepter