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Souce : médiapart - Mathilde Goanec- 03/03/2023

Faisant depuis douze mois l’expérience de la guerre pour les unes, celle de l’exil pour les autres, des Ukrainiennes témoignent auprès de Mediapart et tentent de se comprendre, sans échapper toujours aux jugements et à la culpabilité.

Les réseaux sociaux ont toujours fait partie du terrain de jeu de la poétesse et écrivaine Kateryna Babkina : maintes fois primée pour son travail, elle poste depuis des années sur Facebook ou sur Instagram des textes, des photos de voyage, des annonces de performances ou des nouvelles de sa petite fille Micha. Messages remplacés depuis le 24 février 2022 par des échos de sa fuite hors d’Ukraine, des appels incessants aux dons pour les enfants ukrainiens, entrecoupés de quelques mots pour décrire sa rage contre l’invasion russe.

Cette figure littéraire ukrainienne, intensément féministe, a ressenti après quelques mois d’exil et une installation à Londres la nécessité d’écrire sur la « toxicité » de certaines de ses relations sur les réseaux sociaux, notamment ses compatriotes resté·es au pays. « Si j’avais le malheur de poster une tasse de café sur Instagram, je recevais des dizaines de messages, du type “Salope tu as quitté le pays !”. Si j’écrivais que la vie à l’étranger était difficile, on me répondait : “Pourquoi tu ne reviens pas ?” C’était massif. »

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Une compatriote a pris cette photo de Kateryna à la fin du mois de mars 2022, en Pologne. « C’était peut-être le premier jour normal que nous passions toutes les deux, depuis le 24 février », raconte-t-elle. © Photo Oksana Borovets

Kateryna Babkina le sait parfaitement, elle est l’archétype de « l’émigrante de luxe ». Elle parle plusieurs langues et possédait avant la guerre un large réseau de connaissances, des ami·es prêt·es à l’aider, à l’accueillir dans une telle épreuve.

Mais les images du « cool » de la vie londonienne sont évidemment trompeuses. « Au fond de moi, je ne suis que souffrance et détresse. C’est si dur de prendre soin seule de mon enfant, d’être avec ma mère, avec qui je n’ai pas vécu depuis vingt ans, presque 24 heures sur 24. Je nous porte, y compris financièrement, toutes les trois à bout de bras. »

La plupart de ses ami·e s sont resté·es en Ukraine, des proches sont décédés, le père de son enfant (dont elle est séparée) s’est engagé comme soldat. Kateryna et Micha peuvent rester sans nouvelles de lui pendant plusieurs jours, sans savoir s’il est mort ou vivant. 

À l’œuvre quelques semaines comme volontaire à la frontière polonaise après le déclenchement de la guerre, la jeune femme se souvient également de ces femmes ukrainiennes, « avec moins d’argent et plus d’enfants », qui ont déboulé en catastrophe de Kharkiv, Izioum, Slaviansk, « tellement sous le choc qu’elles étaient littéralement incapables d’écrire leur nom en lettres latines ». « Les gens qui sont restés en Ukraine considèrent parfois ceux qui sont partis comme des traîtres, comme s’ils étaient moins ukrainiens, peut-être pour se prouver à eux-mêmes qu’ils font le bon choix », constate l’exilée.

Les vraies amitiés aident à conserver la tête hors de l’eau. « J’ai une amie proche restée à Kyiv avec qui nous échangeons beaucoup, raconte Kateryna. Je lui disais à quel point je l’admirais d’avoir eu la force de rester. Elle m’a répondu qu’elle m’admirait pour avoir eu la force de partir. »

En Europe, les Ukrainiens sont les ambassadeurs d’une tragédie malgré eux. En Ukraine, nous sommes des survivants, avec l’énergie que cela induit.
Sasha Koltsova, restée à Kyiv

Cette amie s’appelle Sasha Koltsova, elle est journaliste, mais aussi chanteuse, et depuis peu créatrice de bijoux. Nous l’avons rencontrée dans un café de son quartier à Kyiv, en décembre 2022. « Ce que Katia [en Ukraine, employer des diminutifs est très courant, c’est un signe d’affection – ndlr] traverse me semble plus dur que ce que je subis, confirme Sasha. Je vis dans un pays en guerre, mais je suis avec mon mari, ma fille va à la crèche, mes parents sont près de moi. » La famille a pourtant passé près d’un mois dans le sous-sol de son immeuble, au début du conflit, quand les Russes étaient aux portes de la capitale.

« Les Ukrainiens réfugiés à l’étranger ne voient que les mauvaises nouvelles, ils ne sont pas portés par ce qui nous habite ici, un sentiment de cohésion incroyable, le côté brillant, très fort de toute cette période, poursuit la Kyivienne qui se remémore ce concert « incroyable » donné quelques jours avant notre rencontre. Bien sûr qu’il y a un décalage : en Europe, les Ukrainiens sont les ambassadeurs d’une tragédie malgré eux. En Ukraine, nous sommes des survivants, avec l’énergie que cela induit.

ukraine la force de partir

Sasha Koltsova, dans un studio d'enregistrement, à Kyiv, en décembre 2022. © Photo Igor Ishuk

Il y a quelques mois, Sasha Koltsova est partie quelques jours pour une mission professionnelle en Finlande, elle a expérimenté pour de bon les sentiments qui ont pu traverser son amie Katia. « Depuis le début de la guerre, je ne verse presque pas une larme, mais en Finlande je pleurais tout le temps : vous êtes loin, vous avez peur sans cesse pour vos proches, vous perdez totalement le contrôle de la situation. Ici, en Ukraine, ce que l’on vit arrive à tout le monde. En exil, cela n’arrive qu’à vous. »

Si sa notoriété a exposé plus que de raison Kateryna Babkina à la critique, d’autres Ukrainiennes ayant entrepris de raconter leur vie à l’étranger subissent des épreuves similaires. Nous avions fait connaissance avec Anastasia (prénom d’emprunt) au sixième jour de guerre, elle décrivait alors la ville de Kharkiv sous le feu russe. Après avoir longuement hésité, elle s’est installée en France avec sa fille et réside désormais dans le Loiret. Elle poste de temps à autre de longs textes sur Facebook pour décrire sa nouvelle vie. Sur l’un d’eux, elle explique avoir remis, pour la première fois depuis longtemps, du rouge sur ses lèvres.

Proche du burn-out

Anastasia utilise les mêmes mots pour décrire certaines de ses interactions, dans les commentaires ou en messagerie privée : « Les gens qui ont quitté l’Ukraine peuvent être vus comme des traîtres. Même si c’est Kharkiv que tu quittes, ça ne compte pas. Moralement, cela me brise à chaque fois. »

Cette psychologue se retrouve également dans la supposition de Sasha, sur cet air qui vibre moins fort quand on vit en exil malgré la tranquillité retrouvée, loin de la guerre. « Mes amies et moi, en France, en Lituanie, en Pologne, on se retrouve suspendues : nous ne sommes plus là-bas, nous ne sommes pas vraiment ici non plus. »

Anastasia sait qu’au fil du temps, les choix se durcissent, et les positions s’éloignentElle admet avoir douté de « la rationalité de ces mères », cet hiver à Kharkiv, alors que l’électricité, l’eau, le chauffage étaient parfois interrompus pendant plus de dix heures chaque jour. L’été dernier aussi, lorsqu’une bombe est tombée sur un abri de bus de la ville, faisant de nombreux morts, dont un enfant de 13 ans. « Je me demande pourquoi ils ont opté pour ça. Je comprends mieux les gens qui me jugent car moi non plus, parfois, je ne comprends pas ceux qui restent. »

Avoir quitté le pays bien avant le début de la guerre en 2022 ne protège pas des états d’âme, bien au contraire. Iryna habite dans le sud de la France depuis des années où elle y a fondé une famille. Elle vit en apnée depuis le 24 février 2022, sa tête et son corps tendus vers l’Ukraine, et a trouvé sa manière d’agir en fondant une organisation de soutien pour venir en aide aux réfugié·es dans sa ville.

Sa cousine, proche comme une sœur, se trouvait au début de la guerre toujours à Kyiv. « Au début, elle était très en colère, elle pensait que je ne pouvais pas comprendre ce qu’elle vivait sous les bombes, alors que moi j’avais l’impression de me démener jour et nuit pour aider mon pays ici. On ne se parle plus beaucoup depuis... »

Nous ne sommes pas sous les bombes, mais vivons dans un état de survie, de fragilité, qui est difficilement explicable.
Iryna, de longue date en France

De passage à Kyiv en août 2022, pour voir ses parents restés sur place, Iryna a elle-même ressenti une forme de frustration : « Ils vivaient comme si de rien n’était, sans rien changer à leurs habitudes, même si j’ai appris depuis qu’ils avaient envoyé de la nourriture à un groupe de défense territoriale. Cela m’a mise en colère contre eux. Depuis, j’ai compris que tout le monde ne pouvait pas être aussi engagé que moi, qu’il fallait que je l’accepte. »

Au sein de son association, une forme d’amertume peut également se créer contre les déplacés ukrainiens, jugés parfois trop « inactifs », même plusieurs mois après leur arrivée, quand les bénévoles – souvent des Ukrainiennes installées depuis des années en France – sont en état de surmenage depuis douze mois.

« Beaucoup d’entre nous prennent des médicaments, ont besoin d’un soutien psychiatrique, décrit Iryna. Moi-même j’étais au bord du burn-out la semaine passée. Des choses anodines m’ont paru insurmontables. Nous ne sommes pas sous les bombes, mais vivons dans un état de survie, de fragilité, qui est difficilement explicable. »

Tout blesse, surtout à l’approche du 24 février, date anniversaire du début de la guerre : une vague connaissance, réalisateur français, décide de montrer son film lors d’un festival, en Russie. Iryna se retrouve à ferrailler tout un week-end sur les réseaux sociaux pour lui prouver qu’il a tort. Un beau-frère, ex-champion olympique, dit comprendre l’émotion d’un sportif russe privé de Jeux olympiques à Paris en 2024. Iryna s’emporte à nouveau.

« Je pense toujours que les gens autour de moi vont mener ce combat pour l’Ukraine. Mais non, pas forcément, constate-t-elle. Depuis un an, c’est la même chose : la solidarité de la France, de la mairie, de ma belle-famille est incroyable, géniale. Mais en même temps, cela ne me semble jamais assez. »

Chacun vit sa guerre, par cercle de plus en plus éloigné du cœur du conflit, la culpabilité grandissant sur un même rythme concentrique. En Ukraine aussi, une habitante résidant dans la ville de Lviv épargnée par le conflit se retrouvera à l’issue de celui-ci à avoir vécu une réalité très différente de celle d’une habitante de Kherson, ou de Kharkiv.

« Là, nous sommes assises dans un café, on boit un latte, c’est normal et agréable. Dans une minute, une alerte pourrait retentir, remarque Sasha Koltsova à Kyiv. Mais ces précieux moments deviennent plus durs à perdre jour après jour. » Iryna, en France, l’a parfaitement compris : « Poutine a utilisé la peur pour faire basculer l’Occident. En Ukraine, il utilise la douleur. Et ça marche sur moi, sur toutes celles et ceux qui travaillent pour la cause. »

 


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