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Fermez les Centres de Rétention !

La secrétaire générale de La Cimade dénonce : les enfermements arbitraires, les violences et les mises à l’isolement répétées, un climat de stigmatisation grandissante, les expulsions illégales

Solidarite avec Mimmo Lucano

Source : InfoMigrants - Maïa Courtois - 02/03/2023

Après avoir annoncé, début février, son retrait du centre de rétention administrative du Mesnil-Amelot, La Cimade organisait, jeudi, un rassemblement devant le CRA. À l'occasion de visites de parlementaires, des personnes retenues ont pu s'exprimer sur la difficulté accrue de faire valoir leurs droits depuis le départ de l'association.

À peine la porte ouverte par la commandante du centre de rétention administrative (CRA), donnant sur un long couloir aux murs orange pâle, Jonathan interpelle la députée Ersilia Soudais (LFI), en visite dans le centre jeudi 2 mars. Veste kaki, bonnet entourant son visage rond, l'homme lance : "Je vote pour vous si vous me faites sortir d'ici ! J'ai des enfants en France, et je vais être renvoyé en Afrique..." Enfermé depuis un mois au Mesnil-Amelot, en banlieue parisienne, Jonathan a le débit rapide. Il a besoin de tout dire, très vite.

Juste derrière lui se trouve le local où se tiennent régulièrement des audiences en visioconférence avec l'Office français de protection des réfugiés et apatrides (Ofpra). Un peu plus loin dans le couloir, le bureau de l'Office français de l'immigration et de l'intégration (OFII). Juste après, celui de La Cimade. La porte en est définitivement close depuis le 2 février, date à laquelle l'association a annoncé son retrait du plus grand CRA de France. Quelques affiches y sont encore accrochées. L'une d'elles indique, en majuscules : "Venez nous voir dès votre arrivée, c'est urgent !!!".

"Cela faisait un moment que les tensions montaient au Mesnil-Amelot. Mais en janvier, il y a eu toute une série de dysfonctionnements", retrace Dalia Frantz, responsable nationale rétention de La Cimade.

Éloignements illégaux : "Cela se retourne contre nous"

En un mois, 11 éloignements illégaux ont été recensés. Parmi ces personnes, plusieurs avaient déposé une demande d'asile ou un recours suspensif auprès du tribunal administratif. D'autres relevaient de catégories protégées de l'éloignement. Par exemple, "monsieur B. a été expulsé alors qu'il a des enfants en France, qu'il est marié ici et qu'il avait un recours au tribunal administratif".

Ce jeudi, les intervenants de l'association dans divers CRA de France ont publié une tribune dans Le Monde au sujet de ces "pratiques arbitraires" de l'État. L'accélération de ces pratiques "se retourne contre nous", affirme Dalia Frantz. Quand une expulsion illégale est effectuée, les retenus peuvent se sentir trahis, explique-t-elle. "On nous dit : 'C'est faux, ce que vous nous expliquez !' Cela crée des tensions au sein du CRA". "Notre crédibilité s'en trouve atteinte, mise en cause", abonde Henry Masson, président de La Cimade.

>> À (re)lire : CRA du Mesnil-Amelot : La Cimade se retire pour dénoncer la dégradation des conditions de rétention

Depuis son départ du Mesnil-Amelot, La Cimade a été reçue par la Direction générale des étrangers en France, ainsi que par la direction de la Police aux frontières. Plusieurs sujets ont été mis sur la table. Entre autres, ces éloignements illégaux, mais aussi les placements en rétention de personnes vulnérables. Au Mesnil-Amelot par exemple, le cas d'une femme gravement malade a été médiatisé récemment. Soutenue tant bien que mal par ses co-retenues, elle vient d'être libérée après deux mois au CRA, grâce à une nouvelle expertise psychiatrique commandée par le juge des libertés et de la détention.

"Je ne sais pas où en est mon dossier, ni quand je vais sortir"

En attendant, depuis un mois, l'absence de l'association se fait sentir. "S'il y avait La Cimade, j'aurais eu une chance de sortir d'ici, en passant par le tribunal administratif", s'attriste Jonathan. Pour l'heure, sa rétention est prolongée. Il ne sait pas si un vol sera programmé vers son pays d'origine, ni quand. Tournant le dos, il lève ses bras en l'air : "Ne nous oubliez pas !"

Dans le bâtiment 5, des serviettes sont étendues sur des portes ouvertes. Ici, pas d'intimité : même dans les sanitaires, où les murs décrépis gardent une odeur tenace d'urine malgré le nettoyage effectué le matin, il n'y a aucune serrure. Les retenus dorment dans des chambres de deux. Dans l'une d'elles, repeinte en vert clair, un matelas est posé par terre, et un téléphone branché diffuse une musique lancinante.

"J'ai perdu quinze kilos depuis que je suis ici", soupire Abdel*, grand et fin jeune homme dans son manteau blanc. De sa poche, il tire son téléphone et ouvre Facebook, pour prouver ses dires. Sur sa photo de profil, il apparaît en compagnie d'un ami, sourire radieux, lunettes de soleil et chemise à fleurs. Avec des kilos en plus, loin du visage émacié qu'il affiche aujourd'hui. Abdel est là depuis "75 jours" précisément. "Hier, je suis passé devant le juge", dans l'annexe judiciaire présente dans le CRA. Peine perdue.

>> À (re)lire : Reportage : mobilisation au CRA de Vincennes autour d'un retenu positif au VIH

"De toute façon, là-bas, ils te disent : 'Bonjour, 15 jours !'", raille Idriss, à ses côtés, en référence à la dernière prolongation de 15 jours qu'il s'est vu prononcer. Le Malien s'est donné un surnom : "l'ancien". Cela fait cinq mois qu'il est ici, alors que la durée maximale de rétention est de trois mois.

Idriss a voulu faire appel de cette énième prolongation. Mais sans La Cimade, il a baissé les bras. "Ils m'ont dit de voir avec les policiers ici. Ils m'ont donné un numéro, mais chaque fois que j'appelais, ça ne répondait pas." Le jeune homme regrette leur présence : "La Cimade, ils nous expliquaient les jugements, ils nous prévenaient quand il y avait un vol. Maintenant, on ne sait plus rien. Je ne sais pas où en est mon dossier, ni quand je vais sortir".

Des rétentions au-delà des trois mois

Le cas d'Idriss n'est pas isolé. Lorsqu'une personne retenue fait obstruction à son éloignement - par exemple, en refusant le test PCR obligatoire, ou en refusant de se rendre à son consulat pour y être identifiée -, alors elle est déférée devant un juge au bout de ses 90 jours de rétention.

Elle reçoit alors une ITF (interdiction du territoire français). Il s'agit d'une décision juridique, différente de l'IRTF (interdiction de retour du territoire français) délivrée par les préfectures, et elle est immédiatement applicable. "Les retenus sont jugés dans l'annexe. Ils font 24 heures de garde à vue, et on les ramène à l'intérieur du CRA", explique Louise Lecaudey, responsable de l'équipe de La Cimade qui officiait jusqu'à début février dans le CRA.

"Avant, c'était très peu utilisé, mais depuis la fin de la période Covid, cela se multiplie", témoigne-t-elle. Un grand nombre de retenus ici ont connu ce parcours. "Jusqu'à trois ou quatre fois, pour certains", assure la responsable de la Cimade. Ce schéma qui se multiplie rajoute au sentiment d'impuissance des équipes de l'association.

>> À (re)lire : Un nouveau rapport souligne une fois encore un enfermement "inhumain" dans les CRA français

Pendant ces longs mois de rétention, les retenus tournent en rond entre les grillages. Au fond de la cour, l'un d'eux donne à manger à des pigeons. "Des pigeons qui donnent à manger à des pigeons", soupire Joseph*. "Il n'y a rien à faire ici. Tu t'assois et tu regardes passer les avions."

Presque à chaque minute, réglés comme une horloge, ils traversent le ciel bleu. Impossible d'en faire abstraction. Le bruit de leurs moteurs recouvrent les voix de la moindre conversation.

"Comment on va faire pour comprendre les documents ?"

À la sortie du CRA, le rassemblement de La Cimade n'échappe pas à ce bruit incessant. Les parlementaires prennent le micro pour raconter leurs visites. Une banderole est déployée : "Derrière les murs, la honte". Des bénévoles lisent, chacune leur tour, des témoignages reçus de l'intérieur.

Puis, les équipes de La Cimade parviennent à joindre par téléphone des retenues du bâtiment pour femmes. La voix de Fatima, âgée de seulement 18 ans, se fait entendre par tous, grâce à une enceinte posée au milieu du rassemblement. "On ne sait pas quand on aura un vol, quand on sera libérées... La Cimade était les seuls à nous aider ici."

La jeune femme raconte la solidarité entre co-retenues, pour pallier l'absence d'accompagnement juridique. "J'aide une Albanaise qui vient d'arriver ici en utilisant Google Traduction. Personne ne parle sa langue. Elle ne comprend même pas où elle est", se désespère-t-elle. "Je ne suis pas la Cimade..."

*Les prénoms ont été modifiés afin de conserver l'anonymat de ces interlocuteurs

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