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La secrétaire générale de La Cimade dénonce : les enfermements arbitraires, les violences et les mises à l’isolement répétées, un climat de stigmatisation grandissante, les expulsions illégales

Solidarite avec Mimmo Lucano

Source : le monde - Nathalie Guibert - 04/03/2023

Ambdilwahedou Soumaïla, 41 ans, administre depuis 2020 le chef-lieu du département, qui concentre tous les maux mahorais. Habitat insalubre, pauvreté, risques sanitaires, violence… L’île doit affronter une immigration et une surpopulation de plus en plus incontrôlables.

Un cyclone se déchaîne, dans toute sa puissance. Les maisons de tôle du bidonville s’envolent, pulvérisées dans la tourmente, tandis que des tonnes de boue mêlée de roches s’arrachent des collines abruptes, fauchant par milliers ses habitants.

Cette horreur possible, ce drame redouté, est le cauchemar qui hante ses nuits : Ambdilwahedou Soumaïla, 41 ans, dort peu. Parce que le jeune maire (Les Républicains) de Mamoudzou, le chef-lieu de Mayotte, veut bâtir une ville « capitale, attractive, moderne » d’ici à 2030, un projet ambitieux. Parce qu’il affronte, depuis son élection en 2020, un Himalaya de difficultés autrement plus infranchissable que ne le laissent paraître tout autour de lui les pentes verdoyantes qui plongent dans le lagon tropical. « Il faut vraiment en vouloir. Des problèmes, il y en a partout », admet l’élu local en balayant l’air d’une main fine. Le Monde s’est placé dans les pas de M. Soumaïla durant une semaine, du 20 au 26 février.

A Mayotte, il faut commencer par les chiffres, décourageants. Parmi 310 000 habitants recensés, presque 400 000 en réalité, une moitié vit dans les « bangas » (cases de tôle) des bidonvilles, situation que la France n’a plus connue depuis la fin de la guerre d’Algérie. L’île s’épuise à courir derrière un taux de natalité de 38,9 ‰, supérieur à la moyenne de l’Afrique – c’est 11‰ dans l’Hexagone. M. Soumaïla vient d’être informé par l’Insee qu’il compterait 92 000 administrés au 1er janvier. Le recensement de 2021 en dénombrait 72 000.

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Le maire de Mamoudzou, Ambdilwahedou Soumaïla (à droite), dans le quartier de Kawéni, le 22 février 2023. Il a été invité à s’entretenir avec les citoyens et les responsables locaux sur diverses problématiques qui affectent le quartier, comme le manque d’accès à l’eau.

L’île affiche un taux de pauvreté de 77 %, on y trouve 12 000 enfants à la rue, et même un record national pour le nombre d’amputations liées au diabète. L’Etat a correctement doté, en 2021, la toute nouvelle agence régionale de santé (ARS), mais le système de soins a été conçu pour 150 000 personnes et non 310 000. A l’hôpital, il manque déjà 70 sages-femmes, et vingt médecins viennent d’annuler leur candidature, effrayés par l’insécurité locale. Ouvrir le second centre hospitalier, promis en 2028, s’annonce une tâche herculéenne.

Un eldorado dans un archipel misérable

Le département français demeure un eldorado dans l’océan Indien, au sein d’un archipel que l’histoire a rendu indépendant, mais plus misérable encore : l’Union des Comores. Leurs habitants ont toujours circulé entre Anjouan, les Grande Comores et Mayotte, au gré du travail et des mariages.

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Mais vue depuis Mamoudzou, l’immigration est devenue un problème suraigu. En 2022, les trois quarts des reconduites d’étrangers en situation irrégulière à la frontière de la France l’ont été depuis Mayotte : 25 000. Autant de personnes accostent ici chaque année, venues par la mer sur les « kwassa-kwassa » après avoir versé jusqu’à 900 euros à un passeur, surtout des femmes seules, qui espèrent un avenir pour leurs enfants.

« Tout ce qui a été réalisé doit être refait sans cesse, il y a beaucoup d’usure. » Le maire de Mamoudzou

Comment prendre les problèmes quand on est maire dans ce contexte ? Vite, et par tous les bouts à la fois, l’école, la police, le commerce informel, la propreté, l’aide alimentaire, le sport, la voirie, l’habitat… « Je n’ai pas d’autre choix que d’avancer », souligne-t-il. Le discours est volontaire, les résultats précaires. « Tout ce qui a été réalisé doit être refait sans cesse, il y a beaucoup d’usure. » Ce lundi 20 février, l’élu arrive à l’hôtel de ville à 5 h 30 pour ne pas risquer de rester otage des bouchons dans sa Peugeot 508. « Ici, si les gens ne partent pas à 3 heures du matin, ils ne sont pas à l’heure au travail. »

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Ambdilwahedou Soumaïla, le maire de Mamoudzou, et son équipe, dans le quartier de Tsoundzou I, le 21 février 2023.

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Des voisins et des propriétaires étudient le plan d'aménagement de la route de contournement de Mamoudzou, à Tsoundzou 1, le 21 février 2023.

La circulation sur les deux entrées de Mamoudzou est chaque jour bloquée durant des heures, par congestion. La municipalité voudrait relier ses « villages » (quartiers) entre eux sans qu’il soit besoin d’emprunter la route nationale côtière, honnie. Les travaux d’un tronçon reliant directement le quartier de Tsoundzou 1, au sud, à Koungou, le bourg voisin du nord, doivent commencer.

Mais, dans une ville qui ne maîtrise que 25 % de son domaine foncier, où seuls 15 % des gens ont une adresse valide, quand les habitations illégales couvrent le territoire, comment se frayer un chemin ? « Les bidonvilles mahorais ont franchi un cap en atteignant près de 30 000 logements, soit 150 000 à 170 000 habitants, un peu moins de la moitié de la population réelle de l’île », indique Attila Cheyssial, sociologue et architecte du cabinet Harappa. Une étude qu’il vient de réaliser révèle que dans ces lieux insalubres, les ménages sans titre de séjour – soit 30 % des résidents – affichent un taux de natalité de 64 ‰ : les femmes se trouvent au cœur de l’explosion sociale de Mayotte, département où la polygamie perdure et où le livret de famille n’existe pas.

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« Aucune politique publique ne peut se mettre en œuvre dans ces conditions. Il y a quinze ans, la pression des services de l’Etat parvenait à contrôler notre frontière, ce n’est plus le cas. Sans l’immigration, on n’aurait pas toutes ces difficultés », assure le maire, à l’unisson du Collectif des citoyens de Mayotte, dont le président, Fatihou Ibrahim, dénonce, lui, « l’abandon total de l’Etat ».

« Tous les jours, une salle de classe naît au Centre hospitalier de Mayotte », poursuit le sérieux Ambdilwahedou Soumaïla. « Entre juillet et septembre, nous avons en plus les “kwassas scolaires”, des bateaux remplis de mineurs seuls, par groupe de trente à cinquante, que les passeurs déposent sur les plages. Quand vous faites une école pour dix et que vous en recevez cent, vous perdez la main. » A Mamoudzou, 54 % des résidents seraient étrangers, mais 80 % des écoliers inscrits. Les établissements ne peuvent offrir que des demi-journées de classe par rotation entre les familles. Pour construire les 230 classes nécessaires d’ici à 2030, il faudrait investir 500 millions d’euros. Hors de portée.

Les jeunes dans un cul-de-sac

« Il faut qu’on inverse la tendance démographique », répète M. Soumaïla, qui réclame une politique de contrôle des naissances, pour les Mahoraises comme pour les Comoriennes. Il vient de demander au département de relancer la campagne d’information « 1,2,3, bass ! » (« 1,2,3, ça suffit ! »), qui avait bien fonctionné dans les années 1990. « Les prévisions parlent de 750 000 habitants en 2050. Je refuse de l’envisager. Il faut viser la décroissance de la population. Les 42 kilomètres carrés de Mamoudzou ne sont pas extensibles. »

Après, convient-il, « l’Etat doit s’organiser pour intégrer les enfants nés en France, car c’est une chance ». Mais la loi fait que les enfants naturalisés français n’ont pas le droit de quitter Mayotte, excepté les bacheliers titulaires d’une mention très bien. Ici nul ne s’étonne que dans ce cul-de-sac, les jeunes deviennent enragés. Les bandes s’affrontent de plus en plus violemment, cherchant tous les moyens de survivre. En 2022, la délinquance générale a encore augmenté de 12 %.

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A l’hôtel de ville, ce lundi matin, un vieil homme flottant dans son survêtement noir se présente dans le salon du premier étage aux larges fauteuils de cuir, dans lequel le maire reçoit une fois par semaine sans rendez-vous. En langue shimaoré, il s’inquiète pour son fils né aux Comores en 2009, collégien à Kawéni, un des quartiers les plus difficiles de la ville. Le père demande un titre de séjour provisoire. « Je ne peux que saisir le préfet, regrette M. Soumaïla. Si ces jeunes qu’on amène au bac ne peuvent être insérés, ils deviennent des délinquants en puissance. Ce statu quo ne peut plus durer

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Dans le quartier de Kawéni, le 22 février 2023, le maire de Mamoudzou, Ambdilwahedou Soumaïla, se déplace en voiture de police pour aller rencontrer la population.

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Dans le quartier de Kawéni, le 22 février 2023, pendant une visite du maire de Mamoudzou; Ambdilwahedou Soumaïla.

L’élu local s’est déjà fait caillasser sur la route, comme nombre de ses administrés. D’autres, coincés dans les embouteillages, sont détroussés par des « coupeurs de route ». Police et gendarmerie ont réussi à faire chuter les statistiques officielles des cambriolages, mais les maisons se protègent de murs toujours plus hauts.

Dans le salon municipal entre maintenant une jeune femme brune, son bébé dans les bras. Agente de Pôle emploi, elle demande un coup de pouce pour un logement qu’elle attend depuis trois ans. « Et puis, il y a quinze jours, quelqu’un s’est installé chez moi en pleine nuit. Avec la petite, on s’est enfermées dans la chambre. J’ai saisi le procureur », raconte-t-elle simplement, sans se plaindre.

« J’ai été bombardé premier adjoint sans expérience »

M. Soumaïla, dont le père est Comorien, a grandi avec ses huit frères et sœurs à Tsoundzou 2, un des cantons de Mamoudzou. « Nous n’étions que deux bacheliers dans ce petit quartier. L’ancien maire UMP cherchait des jeunes pour constituer sa liste. Avec mon BTS de gestion, j’ai été bombardé premier adjoint sans aucune expérience en 2008, chargé des finances et du sport. » Joueur de football, il cultive depuis les importants réseaux sportifs de l’île – jeudi, nous marcherons en groupe pour la « randonnée hebdomadaire » du maire, sur les hauteurs grignotées par les bangas.

Devenu secrétaire départemental de la fédération du parti Les Républicains, il est retourné en 2017 à l’université de Dijon pour valider un master en « économie et gouvernance des territoires ». Il dirigera deux fois la campagne du député Mansour Kamardine, chez LR. « LR est ici le seul parti structuré, et sa logique a toujours été de se tenir aux côtés du gouvernement à Paris », résume-t-il. Le maire est un homme d’appareil, estime Estelle Youssouffa, l’autre députée mahoraise, qui a choisi le groupe LIOT (Libertés, indépendants, outre-mer et territoires) à l’Assemblée nationale. « Mais il a le sens des générations, veille sur ceux qui reviennent à Mayotte, et représente l’avenir. »

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Devant des associations de parents, un peu plus tard dans l’après-midi, le maire évoque sa « grande cause communale pour les dix ans à venir : la prévention ». Il compte sur les bénévoles pour améliorer la propreté des quartiers, comme la sécurité. « Dans chaque village existe déjà un groupe WhatsApp d’alerte pour signaler à la mairie un problème d’éclairage public, une carcasse de voiture, un regroupement de jeunes. Nous allons installer une plate-forme de signalement à la mairie. » Pour impliquer les anciens peu familiers des réseaux sociaux, il installe ces jours-ci un « comité des sages ».

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Le maire de Mamoudzou, Ambdilwahedou Soumaïla, discute avec les citoyens et les responsables locaux du quartier de Kawéni, le 22 février 2023.

Le Collectif des citoyens le critique pour ainsi déléguer ce qui doit relever de l’action publique. Tant pis. « Faites remonter les éléments de terrain, pour toutes nos politiques publiques on manque de données. Repérez les jeunes qui ont des diplômes et besoin d’être insérés, pour les autres, pas le choix, ce sera la case prison. » Autour de la table, Anissa Saïd, une aide-soignante récemment rentrée de l’Hexagone vivre à Mayotte, approuve. « On va léguer quoi à nos enfants, sinon ? Aujourd’hui, on a tous peur de vivre. Mes cousines font fuir leurs enfants à La Réunion. Nos maisons sont barricadées. »

Aménager à marche forcée

Ce mardi 21 février, derrière un grand portail métallique, au village de Cavani (un quartier du centre), une famille attend le maire dans la petite cour de la maison où des chaises recouvertes de tissu rouge ont été disposées. Le 15 février, un élève de 18 ans sans histoire du lycée Bamana est mort, frappé à coups de barre de fer alors qu’il jouait avec d’autres sur le terrain de sport en synthétique du quartier. La maman, couverte de son voile noir et or brodé, laisse d’abord parler le beau-père. Celui-ci remercie l’élu local : « Vous êtes le papa de la commune, aussi. »

Une semaine après son élection, le 5 juillet 2020, Ambdilwahedou Soumaïla s’était rendu sur les lieux d’un autre drame, très tôt, un matin. Un enfant avait été retrouvé sans vie, mutilé, entre Kawéni et Koungou. « La violence était telle qu’on ne pouvait même plus parler. J’ai décidé de faire de la sécurité ma priorité. » Il dit avoir « résisté pendant deux ans avant de céder sous la pression sécuritaire » pour entourer les établissements scolaires de barbelés et rehausser leurs murs. Les policiers municipaux, trente-huit en 2020, seront 70 à la fin de la mandature. L’Etat a ouvert 72 postes de la police nationale immédiatement à des candidats locaux, par dérogation.

Mais pour modeler la cité « attractive » de demain, il faut surtout aménager à marche forcée. A Tsoundzou 1, village au sud, on retrouve, cet après-midi-là, les « parents relais » bénévoles, en gilets jaunes, mobilisés pour accueillir le maire au faîte d’une colline du quartier « Tanafou », au cœur du bidonville. La route qui reliera le nord de Mamoudzou en évitant la congestion du centre doit passer par ici, le maire voudrait que les travaux commencent en avril. Une trentaine de familles sont expulsables.

L’équipe municipale a dressé des panneaux explicatifs à destination de la population inquiète, rassemblée sous la houlette des imams. Les jeunes se tiennent en retrait des policiers municipaux armés de lanceurs de balles de défense, restant perchés sur les ruines de ce qui fut un gîte rural, May’Hôte, désormais squatté. « Quand la route sera construite, la situation va sûrement s’améliorer, avance un père, mais quelles seront les mesures de sécurité pour protéger nos enfants sur le chemin de l’école » ?

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Un jeune homme en tee-shirt rouge se lève : « Nous ne sommes pas tous des délinquants, le problème est que la police fait l’amalgame. Mais nous avons d’abord besoin d’eau, d’électricité, de communications Internet. » Le maire promet des fontaines. Il encourage surtout les familles à répondre aux enquêtes sociales préalables à l’expulsion, pour obtenir un autre hébergement. « La police n’a pas besoin de nous pour reconduire des gens à la frontière, précise-t-il au Monde. Je suis transparent : les irréguliers n’auront pas de droits, les autres sont invités à se manifester car on veut les aider. »

Opérations de « décasage » controversées

M. Soumaïla lance le 9 mars des Assises de la reconquête foncière, dont il espère beaucoup pour mobiliser les autres acteurs du territoire. Parcelle après parcelle, partout, ses services négocient avec des familles propriétaires peu enclines à lâcher un terrain dont le prix est passé en une génération de quelques centimes à 400 euros le mètre carré. Ils régularisent mètre par mètre, convient des agences de développement économique.

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Le maire de Mamoudzou, Ambdilwahedou Soumaïla, visite le projet de rénovation de certains logements du quartier de M’Gombani et la maison témoin construite au bout de la rue commerçante, le 22 février 2023.

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Pendant la visite du maire de Mamoudzou dans le quartier de M’Gombani, le 22 février 2023.

La municipalité appuie surtout toutes les opérations de « décasage », la destruction souvent traumatisante des habitats illégaux que le préfet mène depuis deux ans, tambour battant, à raison d’une fois par mois. En 2021, selon le bilan officiel, 1 652 bangas ont été détruits, 522 personnes hébergées, 589 clandestins interpellés.

Cette première vague massive a provoqué des violences. Des agressions graves ont été déplorées en représailles, un agent de l’ARS a été violé. Les ONG dénoncent la brutalité et l’irrégularité des procédures, se mobilisent. Le Syndicat de la magistrature dénonce « l’instrumentalisation dont fait actuellement l’objet l’institution judiciaire à Mayotte ». En 2022, 434 bangas ont été détruits, 44 personnes relogées, 119 étrangers irréguliers interpellés, officiellement toujours.

« On est en train de détruire notre territoire, demain il n’y aura plus d’eau, plus d’arbres. Les bidonvilles sont des lieux dangereux pour ceux qui y habitent. » Le maire de Mamoudzou

Onze des dix-sept communes de l’île se sont engagées dans le plan. Certains élus mahorais y demeurent opposés, soit qu’ils profitent de la situation en louant leurs propriétés à des marchands de sommeil, soit qu’ils s’assurent les faveurs d’une clientèle électorale dont les nombreux enfants sont autant de votes potentiels. M. Soumaïla, lui, soutient l’éradication des bangas – « Le plus vite sera le mieux, dit-il. On est en train de détruire notre territoire, demain il n’y aura plus d’eau, plus d’arbres. Les bidonvilles sont des lieux dangereux pour ceux qui y habitent. Je ne veux pas être le maire qui fait comme si tout ça n’existait pas. »

Son directeur général des services, Philippe Ramon, vient de la Creuse et peine parfois à mettre de l’organisation administrative dans cette situation hors normes. Sur ses cartes, la réalité sociale explose : à Kawéni, les habitats précaires et leurs 6 000 habitants occupent, en zone de risques naturels forts, une surface équivalente au village existant. Le directeur se console en saluant le grand dynamisme du maire, mais il a des journées difficiles.

Problème de logement

A Kawéni, où M. Soumaïla se rend mercredi 22 février pour une réunion publique consacrée à la vie quotidienne, passent tous les ministres venus de Paris. Femmes en tenues colorées sur le pas des maisons, échoppes repérables à leurs guirlandes de paquets de bonbons, plaques de tôle partout contre les façades, rivière d’excréments et d’ordures… La rue monte, très raide, vers Kakal, où un chapiteau a été dressé. Après une prière, les anciens demandent de l’eau pour les habitants, les imams des chaises pour l’école coranique, qui accueille 300 élèves. Sa fillette dans les bras, Abouhadijah, elle, s’inquiète : « Pourquoi personne ne parle du projet ? »

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Le projet ? La destruction redoutée du quartier. Le ministre de l’intérieur, Gérald Darmanin, a annoncé en janvier des « actions spectaculaires » de décasage. L’Etat en a divulgué les contours dans la presse, pour, dit-on officieusement, « créer un effet psychologique ». Elle aura lieu ce printemps, après le ramadan. Il est prévu de doubler les effectifs de gendarmes sur place, selon les informations du Monde, avec un total de 1 050 militaires. Et d’envoyer 120 policiers de plus, pour atteindre un effectif de 820. Jamais Mayotte ne recevra un tel appoint de forces. De quoi mener quotidiennement, pendant deux mois, des opérations simultanées de grande ampleur.

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Visite du maire de Mamoudzou dans le quartier de Kawéni, le 22 février 2023.

La préfecture assure avoir désormais « les compétences et le potentiel pour que toutes les familles qui demandent à être logées le soient ». Action Logement, gros opérateur copiloté par les syndicats et le patronat, vient de s’installer à Mayotte. Deux entreprises réunionnaises de modulaires et logements en containeurs se sont implantées aussi. Mais la SIM, filiale de la Caisse des dépôts et unique acteur immobilier dans l’île à ce jour, ne projette de livrer que 300 logements en dur par an, quand il en faudrait 1 000. Et le 27 février, le tribunal administratif retiendra l’absence de proposition de relogement dans les formes pour donner raison à certains habitants de Majicavo qui devaient être décasés, suspendant l’opération pour eux.

« Les gens se laissent chasser et reconstruisent ailleurs. Il faut une production massive de logements. Mais aussi l’eau, les routes, les équipements, or tout cela n’avance pas », critique l’architecte Attila Cheyssial. Le bidonville, peuplé à 70 % de Français ou d’étrangers dont les enfants sont Français, ne peut être regardé « comme une tumeur qu’il suffirait de retirer », souligne-t-il. « Il vit de la ville, s’articule à la ville. Il se branche par ses hommes aux réseaux du travail, et par ses femmes aux opportunités d’association [avec des époux mahorais] ». On ne peut plus parler d’une société en marge : « Cette marge contrôle presque seule la transformation urbaine et l’augmentation du nombre de logements. La population aisée constitue le principal employeur du travail clandestin fourni par cette population, en particulier dans les secteurs du bâtiment, de l’agriculture, du commerce. »

« Un changement radical a eu lieu »

Situation hors de contrôle ? Pas pour le général Olivier Capelle, commandant de la gendarmerie. Un « véritable investissement a été mené au niveau sécuritaire » rappelle-t-il, qui est salué par les élus locaux, à commencer par le maire du chef-lieu. « Il n’y a pas un seul quartier où nous n’entrons pas, note le militaire. Mais nous sommes dans des équilibres précaires, lancés dans une course contre la montre. »

Le maire, lui, s’interroge : « Est-ce que je serai toujours écouté demain ? Un changement radical a eu lieu dans notre peuple, pacifique, chaleureux dans l’accueil. On a vu la bascule quand certains ont mis le salouva [le tissu traditionnel orné des femmes mahoraises] à Marine Le Pen. »

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A peine retardé par l’orage, Ambdilwahedou Soumaïla rejoint vendredi 24 février à 6 heures les équipes de la voirie qui attaquent des monceaux de déchets, sur la place Zakia-Madi, au cœur de la cité. En sandales en plastique, survêtement et polo vert vif, l’élu balaie pendant une heure et demie, portable vissé à l’oreille. C’est sur cet espace très fréquenté, là où débarquent les voyageurs arrivés par la barge depuis Petite Terre où se trouve l’aéroport, qu’il voudrait ériger « le bâtiment symbole » de Mamoudzou. Il en a étudié le concept à Singapour : une tour de vingt étages, abritant bureaux, salles de sport, commerces, crèches. Le maire n’a pas la folie des grandeurs. La municipalité demeure peu endettée. Il compte sur les fonds européens et étatiques pour financer son Projet 2030 de 400 millions d’euros. « Avoir peu de moyens n’empêche pas de voir grand. Mayotte est un territoire où on a, aussi, besoin de rêver. » Un besoin, vital, de conjurer le cauchemar.

 


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