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La secrétaire générale de La Cimade dénonce : les enfermements arbitraires, les violences et les mises à l’isolement répétées, un climat de stigmatisation grandissante, les expulsions illégales

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Source : médiapart - Fabrice Arfi et Nejma Brahim - 09/03/2023

Santé, logement, sécurité, éducation, justice... Mediapart révèle un rapport rédigé en janvier 2022 par six ministères sur l’état de l’île-département. Son contenu est dévastateur pour l’État français. Il montre aussi que la seule approche sécuritaire proposée par Gérald Darmanin ne pourra suffire.

Le gouvernement conserve depuis janvier 2022, sans le rendre public, un rapport alarmant sur la situation de l’archipel de Mayotte, le département le plus pauvre de France, en proie à une situation dramatique dans les domaines de la sécurité, la santé, la justice et l’éducation nationale.

Mediapart a pu prendre connaissance de ce document rédigé par une mission spéciale, composée des inspections générales de six ministères (intérieur, justice, affaires sociales, finances, éducation et affaires étrangères), qui a auditionné plus de 300 personnes dans tous les corps de l’administration et de la société pendant plusieurs semaines.

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Affrontements entre les jeunes et les forces de l’ordre dans le quartier Doujani à Mamoudzou après une opération d'arrestations de migrants clandestins, le 2 septembre 2020. © Photo Grégoire Merot / Abaca

Le diagnostic qu’il met en lumière, au travers de la situation des mineurs sur l’île, est dévastateur pour l’État français tant tout y semble incontrôlable : la précarité galopante, une politique migratoire contre-productive, une situation sanitaire alarmante et des violences partout prégnantes, le tout face à des réponses publiques largement sous-dimensionnées.

Dans ses conclusions, le rapport note que « le sentiment qui prédomine au sein des services de l’État est une forme d’impuissance face à l’ampleur des défis ». Stigmatisant une « absence de concertation sur les politiques publiques en direction de la jeunesse », il constate que « les dépenses de l’État sont proportionnellement plus faibles à Mayotte que dans les autres départements et régions d’outre-mer (DROM) ».

Au fil des pages du rapport caché se dessine le constat d’une faillite généralisée que les seules mesures sécuritaires de Gérald Darmanin, qui a multiplié les voyages et les annonces sur place ces derniers mois, vont, de toute évidence, avoir du mal à régler. Selon les informations de Mediapart, le ministère de l’intérieur a d’ailleurs pesé de tout son poids pour que le rapport ne soit pas rendu public.

Sollicités, les services du ministre n’ont souhaité faire « aucun commentaire ».

Une pauvreté massive qui ne décourage pas la migration comorienne

Petite île de l’océan Indien vingt fois plus petite que la Corse, Mayotte comptait 279 000 habitant·es en 2020, soit quatre fois plus qu’en 1985. Avec 10 000 naissances par an, l’île est devenue aujourd’hui la plus grande maternité de France. Le mal-logement y est un fléau conduisant à la création de bidonvilles aux quatre coins de l’île, comme celui de Kawéni, à Mamoudzou, surnommé « le plus grand bidonville de France ». En 2017, l’Insee estimait que l’île comptait 40 % de logements informels, dont certains installés sur des zones à risque.

Malgré la pauvreté massive qui y règne – 8 personnes sur 10 vivent en dessous du seuil de pauvreté, un actif sur trois est au chômage et l’espérance de vie plafonne à 75 ans –, Mayotte demeure huit fois plus riche que l’archipel voisin des Comores, indépendant depuis 1975, où le taux de pauvreté national s’élevait à 42,4 % en 2014 et où un quart de la population vivrait dans des conditions d’extrême pauvreté.

Ces difficultés poussent de nombreux Comoriens et Comoriennes à tenter la traversée du bras de mer séparant Anjouan de Mayotte, sur 70 kilomètres (soit environ trois à quatre heures), à bord de kwassa-kwassa – un type d’embarcation rendu tristement célèbre par les mots d’Emmanuel Macron, en juin 2017, lorsqu’il avait déclaré que le « kwassa-kwassa pêchait peu » mais « amenait du Comorien ». Selon un rapport sénatorial de 2012, entre 7 000 et 12 000 personnes avaient péri ou disparu le long de cette route migratoire depuis 1995 ; et de nombreux naufrages y sont régulièrement répertoriés.

« On peut imaginer que c’est beaucoup plus aujourd’hui, surtout depuis la départementalisation [rendue effective en mars 2011 – ndlr] », soulève une source basée à Mayotte, qui préfère garder l’anonymat. « Les personnes que l’on voit arriver ici sont de tous les milieux et ont des profils divers : femmes, personnes gravement malades ou handicapées, enfants voyageant seuls, irréguliers qui étaient intégrés à Mayotte et qui retentent la traversée après avoir été expulsés… » Tous viennent dans un même objectif, celui d’avoir « une vie meilleure ».

Mais les consignes données par le préfet, correspondant à une politique de durcissement s’agissant des arrivées sur l’île, finissent par engendrer des drames, poursuit-elle, en référence à un naufrage survenu fin décembre. « La police aux frontières [PAF – ndlr] est chargée d’intercepter les embarcations en mer coûte que coûte, avec l’assentiment de la société mahoraise. Lorsque le conducteur du kwassa-kwassa refuse de s’arrêter, il arrive qu’il percute le bateau de la PAF et que l’embarcation se retourne. C’est bien l’intervention des forces de l’ordre qui génère le naufrage. »

« La lutte contre l’immigration irrégulière ne parvient pas à empêcher l’entrée et l’installation de très nombreux clandestins à Mayotte », peut-on lire dans le rapport, qui suggère de renforcer les moyens nécessaires à la PAF pour réduire le nombre d’arrivées sur l’île.

Selon le scénario le plus alarmiste de l’Insee, l’immigration comorienne pourrait conduire à comptabiliser 760 000 habitant·es à l’horizon 2050. « Dans l’hypothèse d’un maintien des flux migratoires au niveau actuel, la situation deviendrait explosive », pointe le rapport que le gouvernement a préféré taire. Gérald Darmanin a donc misé sur un volet répressif pour tenter de tarir les départs depuis les Comores… Et de chasser les personnes exilées déjà présentes sur l’île à coups de bulldozers censés raser les bangas (des habitations précaires faites de tôle ondulée), où vivent de nombreux Comoriens et Comoriennes.

Comme l’a révélé le quotidien Les Nouvelles de Mayotte le 2 février dernier, le ministre prévoit ainsi d’envoyer pas moins de cinq escadrons de gendarmerie mobile supplémentaires sur l’île, soit 400 gendarmes, pour « remettre de l’ordre » dès le mois d’avril. Selon Le Canard enchaîné, l’idée a été validée par Emmanuel Macron lui-même lors d’un conseil de défense. Une vaste opération de « décasage », devant servir à vider les bidonvilles de leurs occupants – souvent des sans-papiers –, à interpeller les têtes de réseaux de délinquance et à renvoyer un maximum de personnes vers les Comores.

L’enfer de l’enfance

Beaucoup d’enfants et de jeunes risquent ainsi d’être déracinés et renvoyés dans un pays où une situation bien pire les attend. De retour aux Comores après un renvoi forcé ou non, les mineurs non accompagnés (MNA dans le jargon, pour tout enfant mineur ayant emprunté une voie de migration seul) « ne seraient pas les bienvenus » selon le rapport invisible du gouvernement, qui explique que « le mieux pour eux consiste à repartir d’où ils viennent ».

le gouvernement cache un rapport explosif

Un mineur dans le bidonville de Kawéni sur l'île de Mayotte, en novembre 2022. © Photo David Lemor / Abaca

Pour ceux restant à Mayotte, le rapport fait état d’une situation « hors norme » les concernant et alerte sur les dangers auxquels ils sont confrontés. Alors que 4 500 MNA étaient recensés sur l’île en 2016, le chiffre « n’a pu que croître ces dernières années en raison des modalités des opérations de lutte contre l’immigration irrégulière », qui alimentent « mécaniquement les situations d’isolement des mineurs », alertent les membres de la mission inter-inspection.

« Les enfants comoriens ont beaucoup de mal à être scolarisés à Mayotte, car les collectivités font blocage en prenant prétexte du manque d’infrastructures et de places. Elles mettent donc sciemment des bâtons dans les roues des parents en situation irrégulière qui souhaitent scolariser leurs enfants, alors que l’éducation est un droit pour tous », déplore la source déjà citée. Certains iraient jusqu’à confier leurs enfants, « sur le papier », à des personnes en situation régulière pour pouvoir les scolariser. Une démarche « insensée » sachant que leurs vrais parents sont à Mayotte.

Plusieurs données brutes de ce même rapport disent aussi à elles seules, de manière générale, le drame des enfants et des jeunes de Mayotte. Selon la mission d’inspection, le nombre de « mineurs en risque majeur de désocialisation » s’élève à 6 600. Pire : 9 200 enfants en âge d’aller à l’école primaire n’y avaient pas accès en 2020. « Les capacités d’accueil de l’école ne permettent pas, à ce jour, d’accueillir tous les enfants et jeunes de 3 à 16 ans », souligne le rapport.

Autre chiffre saisissant : « 5 400 enfants mineurs vivent dans un logement, mais sans leurs parents », relève l’inspection, qui estime que « le dispositif de protection de l’enfance reste largement sous-dimensionné ».

C’est à Mayotte que l’on trouve les effectifs les plus élevés de France dans les collèges, avec les plus mauvaises performances scolaires du pays : 71,1 % des jeunes ont des difficultés de lecture, contre 9 % sur le territoire national. C’est la raison pour laquelle la mission recommande de « faire de la scolarisation de tous les enfants dans le premier degré, à partir de 3 ans, une priorité de court terme ». Avec cette autre recommandation qui a de quoi alarmer : « garantir une alimentation de qualité », les « moyens mis en œuvre pour fournir une alimentation pendant le temps scolaire étant encore insuffisants ».

Car sur le terrain sanitaire, le constat est, lui aussi, accablant. Alors que le rapport rappelle que « l’offre de soins […] reste encore très insuffisante », il alerte en parallèle sur une « précarité alimentaire des jeunes » jugée comme « massive », avec, précision terrible, une « difficulté de mise en œuvre des dispositifs de distribution des repas dans les écoles, collèges et lycées ». « À tous les âges, les jeunes de Mayotte sont en moins bonne santé que partout ailleurs en France », affirme encore le document.

Faiblesse « structurelle » de la justice

S’agissant des questions de sécurité, le rapport parle de « politiques régaliennes en difficulté et souvent mises en échec ». L’insécurité demeure la « préoccupation majeure » des habitants, confrontés à une délinquance massive et parfois des faits d’ultraviolence commis en bande. Dans les vols avec violence, les mineurs représentent par exemple 81 % des auteurs, même si « beaucoup de victimes ne portent pas plainte, notamment parmi les étrangers en situation irrégulière ».

On bidouille pour tenter de faire au mieux.
Un haut fonctionnaire basé à Mayotte

L’état de décrépitude des institutions publiques a pour conséquence, côté justice, d’engendrer « une pression qu’aucune juridiction de l’Hexagone ne connaît ». Et face à cette « faiblesse structurelle », il faut ajouter des « facteurs aggravants », selon le rapport : des personnels de la magistrature et du greffe souvent sans expérience, une faible attractivité, mais aussi une « désorganisation des services et un déficit de travail collectif ».

Résultat : « Des réponses en mode dégradé et une justice de l’urgence qui s’impose au détriment du règlement des questions de fond », souligne le document que Mediapart s’est procuré.

« On bidouille pour tenter de faire au mieux », résume un haut fonctionnaire, qui reconnaît un véritable « problème structurel » plus qu’un manque de moyens. « Il y a un défaut d’attractivité qui empêche une certaine stabilité et entraîne un turnover important, mais aussi un défaut de formation ou de hiérarchie intermédiaire dans les recrutements, avec des magistrats sortis d’école se retrouvant aux côtés d’un président d’audience très expérimenté. On rencontre des difficultés liées à la langue, aussi, car les interprètes ne sont pas assez nombreux. »

Les greffiers seraient selon lui mal formés et ne resteraient pas suffisamment longtemps, créant un « sentiment d’insécurité », en particulier chez les jeunes magistrats. Les greffiers seraient aussi aspirés par la rétention administrative (visant à enfermer les étrangers en situation irrégulières en vue de leur renvoi) pour aller prêter renfort aux juges de la liberté et de la détention. « Cela participe de la désorganisation des services. Il y a un tel flux et une telle pression du préfet sur ce sujet que tout tourne autour de cela. »

Dans une situation comme celle-ci, le rôle de « régulation sociale » de la justice est d’autant plus accru, d’après le rapport, qui déplore, faute d’un « engagement fort du parquet de Mamoudzou [la capitale de l’île – ndlr] », que la lutte contre le travail clandestin, la fraude documentaire, les violences faites aux femmes ou la corruption soient un peu délaissées.

 


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