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La secrétaire générale de La Cimade dénonce : les enfermements arbitraires, les violences et les mises à l’isolement répétées, un climat de stigmatisation grandissante, les expulsions illégales

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Source : médiapart - Nejma Brahim et Pascale Pascariello - 03/05/2023

Le jeune homme de 17 ans affirme ne pas avoir participé aux affrontements entre jeunes et police à Doujani, dans la banlieue sud de Mamoudzou, jeudi 27 avril. Il a reçu une balle dans le mollet et a depuis été placé sous contrôle judiciaire. Il s’exprime pour la première fois auprès de Mediapart.

En dehors de ses parents et de quelques amis, Kaïl* n’en a encore parlé à personne. Il a trop peur, dit-il, d’être assimilé aux « délinquants ». « Les Mahorais pensent qu’on est tous des voyous, nous les Comoriens. Mais moi, je ne suis pas comme ça, je n’ai rien fait », clame-t-il lorsque nous le retrouvons à Doujani 1, le quartier où il vit avec ses parents et ses frères et sœurs, et où il apprécie parfois, en soirée, la compagnie d’une bouteille de vodka. Le soir où tout a basculé, le jeune homme de 17 ans était justement dans cette configuration.

« J’étais tranquille, avec ma bouteille, au plateau à Doujani 2. La police est arrivée vers 22 heures et a commencé à gazer, alors je suis parti, tout seul, m’asseoir sur un banc un peu plus loin. » Le banc en question se situe le long de la rue de la Carrière, qui mène à Doujani 2, et au pied du garage Chadhuli, principal repère pour les personnes qui s’aventurent ici. Environ trente minutes après que les forces de l’ordre ont fait usage de gaz lacrymogène, Kaïl dit entendre des cris. Il se lève, s’approche de la colline située derrière le garage, avance la jambe pour « tenter de voir ce qui se passait » et reçoit une balle dans le mollet.

« J’étais un peu alcoolisé, donc je n’ai pas senti la douleur tout de suite. Quand j’ai vu le sang sur mon pantalon – il y avait beaucoup de sang –, j’ai compris que j’avais pris une balle », relate-t-il, l’air hagard, comme s’il était encore inconscient de la gravité de ce qu’il avait vécu. Son premier réflexe est de vérifier si la balle a touché l’os : il voit deux impacts et suppose qu’elle est entrée puis ressortie. Lorsqu’il soulève le bas de son survêtement, deux plaies apparaissent sur sa peau noire. « J’ai retiré le pansement ce matin car ça me démangeait trop. »

 

Illustration 1

La blessure du jeune homme et le banc sur lequel il s’est assis dans le quartier de Doujani où se sont déroulés les affrontements avec la police ainsi que la ruelle où un policier aurait tiré des coups de feu. © Photos Nejma Brahim / Mediapart

Au milieu des affrontements, blessé, il parvient à stopper un automobiliste qui passe par là et lui demande de le déposer en urgence à l’hôpital. Mais une fois sur les lieux, il panique : « J’ai eu peur d’avoir des problèmes, même si je savais que je n’avais pas participé aux affrontements avec la police. » Alors il s’enfuit. Il rentre à Doujani en stop, cache comme il peut sa blessure. À son retour chez lui, il souffre le martyre. « J’ai raconté à ma mère ce qui s’est passé et elle s’est fâchée contre moi, en disant que je n’aurais pas dû aller voir. » Son père, lui, en veut aux forces de l’ordre. « Mes petites sœurs étaient choquées, elles n’arrêtaient pas de pleurer en voyant mon état. »

Il crie son innocence

Mais lors de son passage express à l’hôpital, Kaïl, 17 ans, a communiqué son nom à l’accueil, ainsi que les coordonnées de sa mère. Selon lui, c’est ainsi que la police aurait remonté sa trace : elle se serait présentée au domicile de ses parents le lendemain (soit vendredi), alors qu’il était retourné à l’hôpital se faire soigner. « Les policiers de la BAC [brigade anticriminalité –ndlr] sont venus me chercher là-bas et m’ont emmené au commissariat de Mamoudzou. »

Interrogé, il aurait assuré qu’il n’avait « rien à voir » avec les affrontements de la veille, sans pouvoir les convaincre. Il laisse un silence avant de poursuivre : « Ils ne m’ont pas cru. Ils m’ont menacé, m’ont dit qu’ils s’en prendraient à mes parents pour les faire expulser aux Comores. J’ai eu très peur pour eux. » Le jeune homme est placé en garde à vue durant près de deux jours, durant lesquels il dit avoir souffert à la jambe et ressenti une grande fatigue – avant d’être présenté devant un juge au tribunal de Mamoudzou, dimanche 30 avril.

Il a depuis été placé sous contrôle judiciaire et serait poursuivi pour « participation à un attroupement armé ». Contacté, le parquet de Mamoudzou n’a pas encore répondu à nos questions à l’heure où nous publions cet article. Selon une source du ministère de l’intérieur qui confirme qu’« un policier a fait usage de son arme et a blessé un mineur au mollet », les forces de l'ordre auraient été « menacées par plusieurs jeunes armés de pierres et de machettes ». Malgré nos relances, la direction générale de la police nationale n'a pas répondu à nos questions.

« C’était la première fois que je voyais un juge, c’était un peu impressionnant. Il m’a donné quelques règles à suivre, comme ne plus sortir au-delà de 18 heures le soir ou ne pas traîner avec des groupes de jeunes. » Mais de toute façon, poursuit-il, il n’a déjà « pas beaucoup d’amis » et se prépare surtout à passer le bac en fin d’année scolaire, au lycée de Chirongui. Plus tard, il voudrait être plombier ou plaquiste – pourquoi pas les deux ? – et a déjà repéré un CAP équivalent.

Depuis cette histoire, il « galère » pour « tout ». Il souffre de la jambe lorsqu’il dort, il peine à marcher. Lorsque nous le rencontrons, il avance à l’aide d’un vélo en poussant avec la jambe valide. Il ne sait rien du policier qui lui a tiré dessus ce soir-là : « Je ne l’ai pas bien vu mais je sais qu’il était sur ma gauche. Je ne savais pas que j’avais le droit de porter plainte », souffle-t-il lorsque nous l’interrogeons sur les éventuelles suites qu’il pourrait donner à l’affaire.

« Il y a eu plusieurs coups de feu », complète un jeune, qui habite la ruelle où Kaïl a reçu la fameuse balle. Il était chez lui lorsqu’il a entendu, aux alentours de 22 heures, le début des affrontements entre forces de l’ordre et groupes de jeunes. « Le gaz lacrymogène est rentré jusqu’à chez nous, c’était insupportable », confie celui qui a préféré ne pas mettre le nez dehors pour rester à l’abri, jusqu’au lendemain matin. Selon lui, les jeunes se révoltent aussi parce que les autorités « veulent détruire leur maison ».

Une nuit noire à Doujani

Pour Mouss*, qui se plaint d’être régulièrement contrôlé par la BAC et évoque des violences policières, les forces de l’ordre « savaient qu’en venant ici, elles provoqueraient les jeunes ». « Avant [l’opération] Wuambushu, on ne les a jamais vues venir en nombre comme ça. Depuis chez moi, j’ai aperçu douze camions de CRS au loin. » Il dit avoir été « tabassé dans la rue », un jour, et relève la manche de son tee-shirt pour dévoiler son bras, marqué par une cicatrice.

« Quand ils nous tabassent comme ça, ils partent et nous laissent, ils ne nous emmènent pas en garde à vue… », soupire celui qui avoue avoir eu des démêlés avec la justice mais, précise-t-il, sans jamais avoir été condamné. Il affirme également avoir déjà signalé le comportement de deux policiers, lors d’une convocation au commissariat. « Une fois, il m’a montré une balle réelle et m’a dit : “Tu vois ça, moi je vais te tirer dessus avec ça, j’utilise pas le flashball.” »

 

À Doujani 1, les familles étaient terrorisées et calfeutrées chez elles. © Nejma Brahim / Mediapart

C’est « compliqué », résume Mouss, qui se plaint également de propos racistes. « Ils nous traitent de “sale Anjouanais” ou de “sale négro”. Ils nous disent que la loi, c’est eux. » Ici, c’est la France souligne-t-il. Mais il a comme l’impression que les policiers font des choses qu’ils ne se permettraient pas en métropole. Comme le fait de « tirer à balle réelle » sur des jeunes.

La veille, nous rencontrions deux adolescents âgés de 15 ans, entre Doujani 1 et 2, qui avaient en mémoire la soirée des affrontements du jeudi 27 avril. Ils étaient à Doujani 2 quand tout a commencé. Ils se souviennent avoir été encerclés par les forces de l’ordre alors qu’ils étaient « posés là-bas ». « Ils nous ont gazés, certains jeunes se sont enfuis en courant, ils ont tiré. Mais les jeunes croyaient que c’était des balles à blanc. » Les affrontement auraient duré toute la nuit, jusqu’au lendemain matin. « On entendait les grenades jusqu’au collège de Doujani 1. »

C’est à Doujani 1 que les jeunes se sont dispersés plus tard dans la soirée. Lundi matin, alors que le calme est revenu depuis plusieurs jours, les femmes sont occupées à faire leur lessive dans des bassines pleines d’eau mousseuse sur le trottoir, faisant ensuite sécher leur linge sur les rambardes, devant les cases en tôle qui longent la route. Salwa raconte que cette nuit-là (jeudi 27 avril), elle n’a pas fermé l’œil.

Cette nuit-là, reprend-elle, il y a eu la « guerre » entre les jeunes et la police. « Je suis asthmatique, je ne supportais pas le gaz lacrymo. J’ai dû rester chez moi mais d’autres familles sont carrément parties de leur maison. » Vers 23 heures, elle affirme avoir vu des jeunes masqués et les avoir interpellés : « Je leur ai demandé pourquoi ils faisaient ça, en précisant qu’il y avait des familles et des gens malades qui vivaient ici. C’est là qu’ils m’ont dit qu’ils avaient blessé un jeune par balle. Ils m’ont dit qu’ils n’avaient pas commencé. »

La mère de famille dit en « avoir assez de ce que font les forces de l’ordre ». « Quand [les policiers] viennent comme ça, ils ne cherchent pas à savoir s’il y a des familles ou des enfants. Ils ne se contrôlent pas. » Pour les ados cités plus haut, la police les provoque sans cesse, allant jusqu’à leur demander « s’ils ne veulent pas jouer un peu », alors « on prend des pierres pour les leur jeter dessus ». Salwa aimerait, conclut-elle, que des solutions soient trouvées pour ceux qui sont nés à Mayotte mais restent sans papiers à leur majorité, et qui « ne peuvent que tomber dans la délinquance ».


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