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La secrétaire générale de La Cimade dénonce : les enfermements arbitraires, les violences et les mises à l’isolement répétées, un climat de stigmatisation grandissante, les expulsions illégales

Solidarite avec Mimmo Lucano

Source : le monde - Noé Hochet-Bodin - 26/05/2023

Depuis le 22 mai, environ 200 personnes ont été expulsées par la France. Des retours volontaires, selon les autorités de l’archipel, mais que des refoulés interrogés par « Le Monde » décrivent comme forcés.

Ça s’agite, ça crie, ça se bouscule aux abords du port de Mutsamudu, sur l’archipel des Comores. Dans une chaleur moite, La Citadelle vient d’accoster sur l’île d’Anjouan, à 60 km de Mayotte, avec à son bord 90 expulsés en provenance de l’île française. C’est le quatrième trajet que le bateau effectue en une semaine.

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Un ferry avec des passagers expulsés dans le cadre de l’opération « Wuambushu » entrant dans le port de Mutsamudu, sur l’île d’Anjouan, aux Comores, le 24 mai 2023.

Les gendarmes et la douane comorienne bouclent la zone. Le port, d’habitude ouvert, n’est plus accessible. Ni aux familles, ni aux médias, pas même au gouverneur d’Anjouan, un farouche opposant à l’opération « Wuambushu » (« reprise », en mahorais), qui entend détruire l’habitat insalubre et lutter contre l’immigration clandestine et l’insécurité à Mayotte. Initialement, les autorités françaises souhaitaient procéder à 20 000 reconduites à la frontière, avant de diviser de moitié cet objectif. Depuis le début des expulsions, lundi 22 mai, environ 200 refoulés ont atteint Anjouan.

Le gouvernement comorien a d’abord tenté d’engager un bras de fer avec la France, refusant d’accueillir les personnes expulsées et fermant ses ports aux navires en provenance de l’île voisine pendant trois semaines. Mais il a fini par céder sous la pression de Paris. Depuis le 17 mai, les Comores reçoivent officiellement des candidats au « départ volontaire » de Mayotte, un territoire dont elles revendiquent pourtant la souveraineté.

« Je vais y retourner le plus vite possible »

A Mutsamudu, personne n’est dupe. Les étrangers en situation irrégulière rejetés par la France n’ont pas fait le choix de rentrer aux Comores. « Volontaire », Ibrahim Saïd Hamadi ne l’est absolument pas. Il débarque à Mutsamudu épuisé, en colère, simplement vêtu d’un tee-shirt Coca-Cola et d’une pochette bleue qui renferme une poignée de documents.

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Un homme expulsé lors de l’opération « Wuambushu », dans le port de Mutsamudu, sur l’île d’Anjouan, aux Comores, le 24 mai 2023.

« J’ai passé vingt-quatre jours dans un centre de détention à Mayotte. Ils m’ont menacé de me laisser un mois de plus en prison si je ne revenais pas aux Comores », grogne-t-il. Au moment où le bateau a accosté à Mutsamudu, ses documents de voyage lui ont été confisqués par la douane comorienne. Il ne faut pas laisser de traces de ce trajet. « Il y avait écrit “volontaire” dessus, mais je n’étais pas du tout d’accord ! », clame-t-il.

Le jeune homme, débarqué clandestinement à Mayotte en 2018 par kwassa-kwassa (une embarcation légère utilisée pour la traversée), a laissé derrière lui sa femme, française, et ses trois enfants, français eux aussi. Son banga (maison en tôle) du quartier de Doujani, à Mamoudzou, chef-lieu du 101e département français, a été détruit en mars par les autorités, déjà dans le cadre de la lutte contre l’habitat insalubre.

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Patrouille de police juste après l’arrivée de personnes expulsées lors de l’opération « Wuambushu », à Mutsamudu, sur l’île d’Anjouan, aux Comores, le 22 mai 2023.

« Je vais y retourner le plus vite possible, confie-t-il. C’est une affaire de deux ou trois jours, j’attends que ma femme m’envoie de l’argent et je file. » Pour cela, il empruntera une voie clandestine et embarquera une nouvelle fois sur un kwassa-kwassa. Ce n’est pas un tabou à Mutsamudu. Comme Ibrahim Saïd Hamadi, plusieurs hommes expulsés par la France depuis le début de l’opération « Wuambushu » ont déjà rejoint les côtes de Mayotte illégalement. Parfois, ils y sont revenus dès le lendemain de leur expulsion.

 

La Citadelle est prise entre deux feux. A Mayotte, la colère contre les clandestins, accusés de voler le travail des Mahorais et d’être à l’origine de l’insécurité sur l’île, est si forte qu’il a fallu prouver que les migrants étaient bien à bord du bateau. Mais à Anjouan, tout est fait pour cacher les expulsés à leur arrivée aux Comores. « La police surveille notre navire sur le quai la nuit et nous escorte parfois », admet un employé de la compagnie maritime SGTM, qui opère les reconduites aux frontières. Il craint des représailles de comités nationalistes comoriens.

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Patrouille de police juste après l’arrivée de personnes expulsées lors de l’opération « Wuambushu », à Mutsamudu, sur l’île d’Anjouan, aux Comores, le 22 mai 2023.

Le mécontentement gronde sur la montagneuse Anjouan, 330 000 habitants, vers où sont acheminés les clandestins. Les maires de l’île ont vigoureusement rejeté, par communiqué, « le déversement forcé dans le port de Mutsamudu des Comoriens vivant à Mayotte ». Plus significatif encore, un élu de l’opposition a déposé une double requête devant la Cour suprême des Comores, mercredi, pour suspendre l’opération « Wuambushu » et destituer le président Azali Assoumani, qu’il accuse de « haute trahison ».

« La clandestinité est notre unique option »

A force de compromis, le gouvernement comorien se trouve dans une position des plus inconfortables. D’un côté, il réclame la restitution de Mayotte aux Comores, une demande soutenue par de multiples résolutions des Nations unies. De l’autre côté, en coulisses, il ne cesse de faire des concessions avec Paris, qui, grâce à son statut de premier partenaire commercial, a des moyens de pression.

La sortie de crise sur ce dossier des migrants n’a-t-elle d’ailleurs pas été négociée à Paris, début mai, lors d’un entretien à huis clos à l’Elysée entre Emmanuel Macron et Azali Assoumani ? Depuis, d’autres ministres comoriens ont été priés de se rendre à Paris, ainsi que le bruyant gouverneur d’Anjouan, pour y rencontrer des membres du gouvernement français.

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Au bord de la route principale à Moroni, sur l’île de la Grande Comore, le 22 mai 2023.

« Nous avons su rappeler à plusieurs ministres qu’ils avaient la double nationalité comorienne et française », confie, cinglant, un proche collaborateur du ministre français de l’intérieur, Gérald Darmanin, en évoquant les récentes rencontres bilatérales. Le ministre comorien des affaires étrangères, Dhoihir Dhoulkamal, est visé par une enquête pour des fraudes présumées aux prestations sociales en France.

Là réside peut-être une des raisons qui expliquent la reculade de Moroni sur le dossier « Wuambushu ». Si les Comores parlent de dialogue constructif avec « l’amie qu’est la France », les opposants crient à la « trahison ». « L’Etat comorien s’est mis à genoux en France et a inventé ce concept de “départs volontaires” pour apaiser les tensions, juge Saïd Ali Ibouroi, un membre de l’opposition. J’ai honte qu’Azali Assoumani, en tant que président en exercice de l’Union africaine depuis février, se fasse malmener comme cela par la France. Pourquoi ne fait-il pas de communiqué sur Mayotte, comme il en fait sur d’autres dossiers comme l’Ukraine ? »

 

Plus diplomate et un brin résigné, le porte-parole des maires d’Anjouan, Mohamed Abdou Nassim, reconnaît que « les Comores n’ont tout simplement pas les moyens de tenir tête à la France ». C’est depuis sa commune de Moya, dans le sud de l’île, que partent la majorité des kwassa-kwassa vers Mayotte. « Moi-même j’en ai pris trois fois pour me rendre sur l’île française afin de voir des proches et pour emmener mon père à l’hôpital », affirme-t-il sans fard.

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Le maire de Moya, Mohamed Abdou Nassim, porte-parole des maires d’Anjouan, aux Comores, le 23 mai 2023.

Depuis 1995, les Comoriens doivent obtenir un « visa Balladur » pour se rendre à Mayotte, alors qu’ils en étaient exemptés auparavant. La libre circulation permettait des échanges fréquents entre ces îles sœurs sur lesquelles se répartissent souvent les membres d’une même famille. « Aujourd’hui avec le visa Balladur, la clandestinité devient notre unique option », dit Mohamed Abdou Nassim.

« Beaucoup de jeunes sont des passeurs »

En contrebas, sur la plage de Moya cernée de roches volcaniques, il suffit de faire quelques pas pour croiser un passeur. Ils opèrent au vu et au su des autorités locales. A 21 ans, Ahmed (le prénom a été changé), grand, fin et le visage encore creusé par le sel, pilote son kwassa-kwassa depuis quatre ans, une activité qui lui a valu de passer un an derrière les barreaux à Mayotte. « C’est la seule activité qui rapporte. Ici, beaucoup de jeunes sont des passeurs, il n’y a pas d’autre choix, il n’y a ni espoir ni travail aux Comores », assure le jeune homme. Les bons mois, il récolte 2 000 euros, soit environ quinze fois le salaire moyen sur l’archipel. Les Comores sont placées au 156e rang mondial au classement du développement humain.

Les passages illégaux vers la France s’effectuent de nuit, dans des embarcations où s’agglutinent une trentaine de personnes. La traversée dure moins de deux heures et est d’autant plus facile qu’elle se déroule avec la complicité de certains garde-côtes. « Souvent, on les “rince” à l’avance pour qu’ils ferment les yeux », prévient Youssouf, un garde-côte comorien qui souhaite rester anonyme. Lui-même a fait passer illégalement des clandestins en France pendant des années, ajoutant à son business la contrebande de cigarettes. « La lutte contre les kwassa-kwassa n’est pas efficace, même les vedettes rapides livrées par la France aux Comores ne sont quasiment plus en service », sourit-il.

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Un homme impliqué dans le trafic de clandestins de l’île d’Anjouan vers Mayotte, le 24 mai 2023.

Dans ce Lampedusa de l’océan Indien, comme certains surnomment ce bras de mer entre Anjouan et Mayotte, environ 20 000 passagers auraient trouvé la mort en deux décennies, engloutis par les caprices de la haute mer. Pour éviter ce drame humanitaire, Moroni demande la levée du visa Balladur. Une requête à laquelle Paris reste sourd.

En 2019, les deux pays avaient trouvé un terrain d’entente : un accord de partenariat dans lequel la France s’engageait à investir 150 millions d’euros d’aide au développement en quatre ans pour, entre autres, œuvrer en faveur d’une « gestion rationnelle de la circulation des personnes ». « Le but est de fixer les populations grâce aux projets de développement », affirme Houmed Msaidié, le porte-parole du gouvernement. Quatre ans plus tard, de toute évidence, l’objectif n’a pas été atteint.

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Sur la côte de Moya, sur l’île d’Anjouan (Comores), où il est très courant que des personnes partent clandestinement pour Mayotte, le 23 mai 2023. Les bateaux représentés ne sont pas en partance pour Mayotte.

« C’est ubuesque, affirme Saindou Ali Assane, directeur de cabinet du gouverneur d’Anjouan. Par exemple, nous avons obtenu un projet de l’Agence française de développement à Sadapouani, dans le sud de l’île, mais dans ce village la majorité des habitants sont quand même partis vers Mayotte. » L’envie de rejoindre l’île française serait irrépressible, mêlant raisons économiques, familiales mais aussi sanitaires, pour pallier la quasi-absence de soins à Anjouan.

 

Saindou Somahila, 23 ans, vient d’être débarqué du navire La Citadelle sous escorte policière. C’est la quatrième fois qu’il est expulsé. Malgré cela, il s’apprête à retourner à Mayotte une fois de plus « pour chercher les moyens de survivre », dit-il, le regard perdu sous son bonnet noir. « Ma vie est là-bas », clame-t-il avant d’expliquer que sa femme et son entreprise de maçonnerie l’attendent. Il peste : « Je suis plus un habitant Mayotte que d’Anjouan, mais ils ne m’acceptent pas là-bas ! »

 

 

 


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