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Fermez les Centres de Rétention !

La secrétaire générale de La Cimade dénonce : les enfermements arbitraires, les violences et les mises à l’isolement répétées, un climat de stigmatisation grandissante, les expulsions illégales

Solidarite avec Mimmo Lucano

Source : le monde - Christophe Ayad - 27/05/2023

Soumis à la pression démographique et à une pénurie de soignants encore plus sévère qu’en métropole, le système de santé du 101ᵉ département français est l’objet d’un bras de fer inédit : des collectifs de Mahoraises bloquent depuis plusieurs semaines l’accès des Comoriens aux structures de soins.

Vendredi 26 mai, le soleil n’avait pas encore atteint son zénith que l’atmosphère était déjà brûlante au dispensaire de santé de Jacaranda, sur les hauteurs de Mamoudzou, la capitale économique de Mayotte. De part et d’autre de la route, deux groupes de femmes : les unes, comoriennes pour la plupart, veulent accéder à la pharmacie centrale attenante au dispensaire ; les autres, mahoraises, ne veulent pas de leur présence ici. Elles portent les mêmes boubous, parlent souvent la même langue, vivent sur la même île, mais tout les sépare.

Soudain, une femme médecin, une « muzungu » comme on désigne ici les Blancs et les personnes venues de la métropole, traverse la route, passe entre les deux gardes de sécurité, une pile de carnets de santé et d’ordonnances sous le bras. Elle ressort de la pharmacie quelques minutes plus tard, un gros sac en plastique rempli de médicaments à la main. Fébrile, elle retraverse la route et fait signe aux femmes qui attendent leurs médicaments de la rejoindre. Là, elle déballe et distribue à toute allure les boîtes de comprimés aux unes et aux autres, sur un coin de parking.

Les femmes d’en face s’approchent, les invectivent en mahorais, s’énervent. La médecin s’engouffre dans l’hôpital, les autres s’éparpillent sans demander leur reste. Comment comprendre cette scène énigmatique où la tension, aussi soudaine qu’inattendue, jaillit d’un coup ?

« Nous ne sommes pas venus ici pour souffrir »

Depuis le 4 mai, des collectifs de femmes mahoraises qui se présentent sous des noms divers – Collectif des citoyens de Mayotte, Collectif 2018 – bloquent l’accès aux structures de santé du 101département français. Le dispensaire de Jacaranda, bien qu’officiellement rouvert, reste le dernier à ne pas pouvoir fonctionner normalement, tout comme la pharmacie du Centre hospitalier de Mayotte (CHM), un grand bâtiment blanc situé juste en face. Une demi-heure après l’incident, une voiture de police vient stationner devant la pharmacie. Encore une demi-heure et la distribution normale de médicaments reprend.

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Kamladi, une Comorienne, range discrètement les médicaments qu’elle vient de récupérer pour ses enfants à la pharmacie de l’hôpital de Mamoudzou, à Mayotte, le 26 mai 2023.

Kamladi (les personnes citées par leur seul prénom ont souhaité rester anonymes) se faufile discrètement, récupère les médicaments que son fils épileptique attend depuis trois jours et dont sa fille asthmatique a besoin au quotidien : « Elles ne veulent pas que je vienne parce qu’elles disent que je vole la place des Français. Mais nous ne sommes pas venus ici pour souffrir, juste pour nous soigner. » Elle repart après avoir fourré les médicaments dans son petit sac à main, afin de ne pas provoquer la colère des autres en passant devant elles.

 

Les centres de santé sont devenus à Mayotte l’enjeu d’un bras de fer inédit, voire de ce que certains soignants qualifient de « prise d’otages ». Jamais jusqu’à présent, le système de santé n’avait été pris pour cible à ce point par les revendications politiques. « Nous sommes là pour nous assurer que “Wuambushu” sera bien mis en œuvre », clame la cheffe du groupe des occupantes de dispensaires, prénommée Safina, qui se présente comme une héritière des « Chatouilleuses », ce mouvement de femmes qui, dans les années 1960 et 1970, a milité pour le rattachement à la France plutôt qu’aux Comores. Assise dans le hall d’entrée du dispensaire avec une vingtaine de femmes âgées, dont certaines ont apporté un drapeau tricolore, elle se montre réticente à parler à une presse hexagonale qu’elle juge biaisée.

« Vous voyez, c’est eux les racistes »

« On nous traite de racistes, de tous les noms, s’énerve-t-elle. Nous sommes ici pour protéger notre bien et montrer qui est maître de Mayotte. C’est une guerre civile et communautaire. Ce dispensaire refuse de soigner les Mahorais, il est réservé aux sans-papiers comoriens. Quand on vient, on nous répond : “Tu as la Sécu, vas dans le privé”. On doit payer nos consultations, nos médicaments et eux, les Comoriens, qui sont venus ici sans rien, ils ont tous les droits et tous les égards. Qu’ils se soignent chez eux, la France leur donne de l’argent pour ça ! » Un groupe de jeunes passe et les nargue : « Vive les Comores ». « Vermines ! Vous voyez, c’est eux les racistes », réagit Safina.

Lire le récit : Article réservé à nos abonnés Entre les Comores et Mayotte, le lagon des migrants disparus
 

Une fois qu’elle a commencé à parler, il est difficile de l’interrompre : toutes les doléances y passent, l’insécurité, la guerre des ventres et l’invasion rampante menées par les Comores à Mayotte, la Russie qui tire les ficelles, la Chine tapie dans l’ombre, la métropole laxiste et sans considération, etc. Elle félicite la préfecture et les forces de l’ordre mais s’emporte contre le ministère de la santé. Les propos sont outranciers, Safina n’a pas peur de choquer. Ses prises de position lui ont valu l’incendie d’une parcelle de terrain qu’elle possède hors de la ville.

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Une médecin du centre hospitalier de Mamoudzou accompagne un père et son fils blessé pour aller chercher des médicaments à la pharmacie de l’hôpital. À Mayotte, le 26 mai 2023.

Quel rapport entre « Wuambushu », vaste opération contre l’immigration clandestine, la délinquance et l’habitat insalubre, et l’accès aux soins ? C’est que le système de santé, sous pression à cause du manque de soignants (3,5 fois moins qu’en métropole) et de la démographie (plus de 300 000 personnes vivent sur un territoire de moins de 400 km2), est, avec l’éducation et l’accès à l’eau, l’un des lieux où se matérialise la concurrence pour les ressources.

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Dans ses doléances, Safina énonce plusieurs contre-vérités. Les soins ne sont pas gratuits pour les sans-papiers, qui ne bénéficient pas de l’aide médicale de l’Etat à Mayotte et doivent acquitter un forfait mensuel de 10 euros. Les dispensaires ne sont pas interdits aux Mahorais, les après-midi sont même réservés aux consultations sur rendez-vous car les matinées, il faut faire jusqu’à six ou sept heures de queue.

« Ce qui se passe confirme nos craintes »

La crise a été renforcée par l’inaction initiale des forces de l’ordre. « Au lieu de dégager les bloqueuses, on a évacué les patients », s’emporte une médecin appartenant à un réseau d’une cinquantaine de « soignants vigilants » opposés à l’opération « Wuambushu ». Puis la crise a fait boule de neige. Vendredi 19 mai, des bloqueuses ont été attaquées à l’entrée de l’hôpital de Dzoumonié par un groupe de jeunes, sans doute des Comoriens. Ils ont détruit le poste de garde et volé des téléphones portables. Il a fallu évacuer le centre médical, qui est resté fermé une semaine et n’a rouvert que vendredi 26 mai.

Pendant ce temps, la population a été invitée à appeler les pompiers ou à se rendre ailleurs, à plusieurs dizaines de kilomètres. Même des permanences pédiatriques ont été bloquées. Trois jours plus tard, un bus d’élèves infirmières a été caillassé sur la route départementale. Les syndicats, chauffés à blanc et proche des thèses des collectifs de bloqueuses, ont invoqué leur droit de retrait. Au pic des blocages, une femme sur le point d’accoucher a dû être examinée dans la rue avant qu’on ne la laisse finalement pénétrer un centre de soins. Des interruptions volontaires de grossesse n’ont pas pu avoir lieu.

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Le dispensaire de Dzoumonié a été fermé durant une semaine à la suite d’agressions commises par des jeunes s’étant introduit dans le centre. À Mayotte, le 25 mai 2023.

« Nous avons veillé à la continuité de l’accès aux soins, assure le directeur de l’agence régionale de santé, Olivier Brahic. Les urgences ont continué à fonctionner en permanence. Depuis jeudi, l’ensemble des services du CHM sont rouverts, avec quelques perturbations à Jacaranda. » Une pharmacienne de l’hôpital se plaint d’avoir dû déprogrammer un dépistage de cancer pour une femme en situation critique. Nombre de diabétiques ont dû interrompre leur traitement, tout comme des enfants dénutris. Les campagnes de vaccination ont pris du retard.

On ne connaîtra jamais les conséquences précises de cet épisode de blocage de l’accès aux soins sur la population, mais les soignants sont unanimes sur le fait qu’il a déjà un impact négatif. « Ce qui se passe confirme nos craintes au moment du lancement de l’opération “Wuambushu”, dans laquelle la dimension de santé n’a pas été prise en compte, regrette Florence Rigal, présidente de Médecins du monde, présente sur place. D’autant que les personnes sans-papiers se cachent pour éviter les contrôles et disparaissent du circuit de santé. »

Ce qui est sûr, c’est que les blocages ont approfondi les failles déjà béantes de Mayotte entre pro et anti- « Wuambushu », entre le personnel médical venu de métropole, perçu comme pro-sans-papiers, et une partie des paramédicaux locaux, entre affiliés à la Sécurité sociale et sans-papiers, entre Mahorais et Comoriens.

Lire aussi l’analyse : Article réservé à nos abonnés Démographie, immigration, habitat : les défis de Mayotte
 

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